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3. LES DESTINATAIRES ET L’ORIGINALITÉ DU RASAHARIAÑA

3.3. LES TSIÑY, LES GÉNIES OU ESPRITS DE LA NATURE

Le monde surnaturel malgache est rempli d’une multitude d’esprits. Ces esprits pourraient être bénéfiques, comme les Ancêtres, ou neutres comme les tsiñy, ou maléfiques comme les vazimba chez les Merina et les revenants. On a par exemple les lolo, les angatra, les matoatoa354, les boribe355, les kalanoro356, les zazavavirano357 ou les filles des eaux ou les sirènes. Les tsiñy sont aussi les esprits de la nature invoqués quelquefois lors du Rasahariaña. Le mot malgache tsiny ou tsiñy en dialectes tsimihety et sakalava revêt des sens un peu différents mais proches les uns des autres. L. Molet montre qu’étymologiquement, le mot tsiny est la corruption du mot arabe « djin ». Ce dernier signifie démon, génie, esprit malin et familier. Molet rappelle que sur le plan collectif, le tsiny et le tody sont deux notions distinctes mais complémentaires qui augmentent l’appréhension à se décider et à agir chez les Malgaches. Chez les Merina, le tsiny est une entité invisible redoutable bien que considéré comme réel comme s’il était matériel358. Pour les Malgaches en général, ce tsiny désigne aussi le blâme, le défaut, la culpabilité, le handicap et la censure. C’est pourquoi, un Malgache s’acquitte toujours du tsiny avant de prononcer un discours. Le tody désigne en gros les mauvais résultats des mauvais actes.

Les Sakalava appellent aussi ce tsiny blâme et autre culpabilité. Le tsiny en tant qu’esprit de la nature, les Sakalava du nord de Madagascar l’appellent aussi tiñy. L. Molet rappelle que pour les Sakalava, les tsiñy sont des esprits les plus proches de Dieu, ses cadets immédiats, les plus anciens occupants de la nature qui siègent dans les montagnes, les cours d’eau ou les forêts359

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R. Jaovelo-Dzao traduit ce tiñy en génies. Et la croyance à ces génies est assez ancrée chez les Sakalava. Il y a parmi ces tiñy, ceux qui sont maléfiques et ceux qui sont bénéfiques.

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Les lolo, les angatra et les matoatoa sont des termes pour désigner les esprits des morts, ce sont les fantômes ou les revenants. Cf. Robert JAOVELO-DZAO, op. cit., 1996, p. 209-210; cf. Louis MOLET, op. cit., t. 2, 1979, p. 327-345.

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Les boribe sont des esprits maléfiques de la nature. Cf. Robert JAOVELO-DZAO, op. cit., 1996, p. 206.

356 Les Kalanoro désignent à la fois les habitants primitifs de la Grande Île, et une catégorie des esprits de la

nature. Littéralement, kalanoro signifie « fille-de-félicité » ou « fille-de-joie » car kala signifie « fille » et noro veut dire « félicité » ou « joie ». Les kalanoro sont des petits êtres surnaturels presque palmipèdes puisque dotés seulement de trois orteils. Ils peuvent habiter aussi dans les eaux qu’à l’air libre, et vivent, de préférence, dans le voisinage immédiat d’un lac, d’un étang, d’un cours d’eau. Dans ce sens, cf. Hanitra Sylvia

ANDRIAMAMPIANINA, « Sirènes malgaches : un flot de paroles. Les filles des eaux dans les parlers malgaches », dans Bernard TERRAMORSI (dir.), Les filles des eaux dans l’Ocean Indien. Mythes, récits, représentations, l’Harmattan, Paris, 2010, p. 260-261 ; Malanjaona RAKOTOMALALA, Sophie BLANCHY, Françoise RAISON- JOURDE, op. cit., 2001, p. 61 et 63 ; Robert JAOVELO-DZAO, op. cit., 1996, p. 206. Pour les Kalanoro en tant que premiers habitants de Madagascar, cf. Frédéric RANDRIAMAMONJY, op. cit., 2008, p. 25-26.

357 Cf. Bernard TERRAMORSI (dir.), op. cit., 2010 ; Malanjaona RAKOTOMALALA, Sophie BLANCHY, Françoise

RAISON-JOURDE, op. cit., 2001, p. 61.

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Cf. Louis MOLET, op. cit., tome 2, 1979, p. 200 ; cf. Malanjaona RAKOTOMALALA, Sophie BLANCHY, Françoise RAISON-JOURDE, op. cit., 2001, p. 63-64.

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Lorsque ces tiñy habitent à plusieurs sur un même territoire, les Sakalava du nord les considèrent comme mari, femme et enfant360. Cela veut dire pour les Sakalava du nord, il y a des tiñy de sexe masculin et ceux de sexe féminin. Et comme chez les Tsimihety, chez les Sakalava, il y a plusieurs sortes de génies ou esprits de la nature comme les Kananoro ou les Kalanôro, les Boribe ou les hian-draha et les lôlo.

H. Giguère note : « Les tsiñy sont des esprits non humains, généralement invisibles, se réfugiant en des lieux peu peuplés tels que la forêt, les grottes, les arbres et la mer. Ils sont les premiers propriétaires du territoire. Lorsqu’un lieu vierge devient habité, ils le quittent, préférant s’isoler des humains. Tout comme les tromba, ils s’incarnent temporairement en des êtres humains. Dans plusieurs cas, ils guérissent les vivants. »361 Cela nous dit que les tsiny sont plutôt neutres, ils pourraient être bénéfiques et maléfiques si on les provoque.

Un autre nom de tsiñy chez les Tsimihety est le Hian-tany. Ce terme vient étymologiquement de deux mots que sont le hiaña et le tany. Le mot hiaña signifie esprit ou âme, et le mot tany veut dire ici terre ou sol. Donc, le terme tsimihety hian-tany veut dire esprit ou âme de la terre362. On peut le traduire par « esprit de la nature ».

Chez les Tsimihety, le tsiñy, esprits de la terre, est le plus connu ou le plus célèbre parmi les esprits de la nature. En plus de cette signification, le tsiñy tsimihety correspond aussi au dina, une amende, au niveau national malgache. Par exemple, si quelqu’un insulte un ancien ou un parent et qu’on exige de lui une certaine somme d’argent ou un bœuf pour effacer la faute qu’il a commise, les Tsimihety disent que cet insulteur est voa tsiñy, c’est-à-dire dans le tsiñy.

Pour les Tsimihety, les tsiñy en tant qu’esprits habitent dans la nature, c’est pourquoi, ils font partie des esprits dans la nature. Ils peuvent se trouver dans un arbre ; souvent un tamarinier est considéré comme habité par un tsiñy. Ils peuvent également se trouver dans des grottes, des collines, des lacs, d’une partie bien déterminé d’un fleuve ou d’une rivière, et dans une forêt et un territoire bien délimité. Les tsiñy peuvent se trouver dans les animaux sauvages et innocents comme quelques serpents et les caméléons. C’est pourquoi on ne peut pas leur faire du mal ni les tuer sinon on aura à faire avec les tsiñy. Par exemple, en faisant du mal aux caméléons ou en les tuant, selon la conviction traditionnelle tsimihety, on tombera malade et on pourrait être mort si on ne répare pas à temps le mal infligé à cette bête innocente. Seuls les gens mahery vintana ou les gens qui ont le destin fort et puissant peuvent s’en sortir des tsiny s’ils font du mal ou tuent ces bêtes innocentes. Ce phénomène explique la peur des Tsimihety à l’égard des tsiny363. Tout ceci montre que chez les Tsimihety, les tsiñy ont un rôle d’intermédiaire entre Zanahary et les bêtes sauvages et innocentes. Ils sont chargés par Zanahary de protéger ces bêtes innocentes, comme les Razana pour les humains vivants.

Les Tsimihety croient que chaque lieu et endroit possède un tsiñy en tant qu’esprit comme propriétaire et gardien. C’est pour cela quand les Tsimihety mangent et boivent dans la forêt et hors du village, ils versent un petit morceau et une petite goute pour les tsiñy afin que

360 Cf. Robert JAOVELO-DZAO, op. cit., 1996, p. 207. 361

Cf. Hélène GIGUÈRE, Des morts, des vivants et des choses. Ethnologie d’un village de pêcheurs au nord de

Madagascar, Les presses de l’université Laval/L’Harmattan, Canada/Paris, 2006, p. 79.

362 Cf. Joseph Justin RANDRIANANDRASANA, op. cit., 2000, p. 49-50. 363

ceux-ci ne les suivent ni ne les rendent malades. Mais souvent les petits morceaux et petites goutes sont aussi pour les Ancêtres.

C’est la croyance des Tsimihety à l’existence des tsiñy sur chaque lieu qui explique la mention des ceux-ci pendant les jôro du Rasahariaña et de certains autres jôro. L’invocation de ces tsiñy lors du Rasahariaña est une sorte de mise au courant qui leur est faite de ce qui se passe sur leur territoire. Elle est alors une sorte de demande d’autorisation d’organiser le rite sur le lieu que ces tsiñy habitent et gardent. Ce qui veut dire que les tsiñy ne sont pas des destinataires du Rasahariaña. Par contre, ils assurent la sacralité du lieu du jôro car les lieux du Rasahariaña sont tous sacrés selon la conviction des Tsimihety. Si on met des choses interdites ou des saletés sur le lieu du Rasahariaña, le fautif encourra des risques de maladie ou de mort. Et ce sont les tsiñy qui sanctionneront ceux qui souillent la sacralité du lieu. Les Razana aussi peuvent infliger des sanctions à ceux qui souillent les lieux sacrés comme le fijoroana du Rasahariaña.

C’est cela le rôle des tsiñy dans le Rasahariaña en général, ils gardent surtout des lieux considérés comme sacrés. Et puisque les lieux du Rasahariaña sont sacrés, les tsiñy veillent à cette sacralité et ils sont indirectement considérés comme propriétaire de ce lieu.

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