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La critique de la nécromancie et du culte des morts dans le premier Isaïe

INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE

2. LES CRITIQUES À LA LUMIÈRE DU DIEU DES VIVANTS

2.2. LA CRITIQUE DE LA CONSULTATION ET DU CULTE DES MORTS

2.2.2. La critique de la nécromancie et du culte des morts dans le premier Isaïe

Le prophète Isaïe est né aux environs de 765. Il a reçu dans le Temple de Jérusalem sa vocation prophétique en 740, l’année de la mort du roi Ozias, la mission d’annoncer la ruine d’Israël et de Juda en punition des infidélités du peuple (6, 1-13). C’est un prophète du 8e

siècle. Il a exercé son ministère pendant 40 ans, principalement à Jérusalem, qui furent dominés par la menace grandissante que l’Assyrie fait peser sur Israël et sur Juda.

Le livre d’Isaïe qui se divise en trois grandes parties attribuées à des auteurs différents est donné comme un seul livre attribué au prophète du 8e siècle616. La première partie ou le « Proto-Isaïe » (1-39) contient des oracles. La deuxième ou le « Deutéro-Isaïe » (40-55) porte le nom de « livre de la consolation d’Israël ». La troisième partie ou le « Trito-Isaïe » (56-66) se focalise sur l’évocation de Sion comme centre de pèlerinage des nations.

Nous étudions d’abord les quelques passages sur l’évocation des morts dans la première partie du livre. Cette partie se divise en quatre parties : la première montre le péché et le malheur de Juda et de Jérusalem (1-12) ; la deuxième annonce le malheur du monde païen (13-27) ; la troisième présente le deuil, puis le triomphe d’Israël, de Juda et de Jérusalem (28- 35) ; et la dernière (36-39) montre l’intervention d’Isaïe pendant le siège de Jérusalem par Sennachérib en 701, et la délivrance de cette ville.

2.2.2.1. La critique des pratiquants de la nécromancie en Is 8, 19 ; 29, 4

Dans notre premier texte, le prophète interroge : « Et si on vous dit : « Allez consulter les spectres et les devins qui murmurent et qui marmonnent », n’est-il pas vrai qu’un peuple consulte ses dieux, et les morts pour les vivants ? » (Is 8, 19). Ce passage est daté de l’époque où Achaz avait fait appel à Téglat-Phalasar III, roi d’Assyrie, pour se protéger de l’attaque de Raçon, roi de Damas, et Péqah, roi d’Israël. Isaïe s’opposait à cette politique de recours d’Achaz.

Notre passage apparaît dans la section qui forme le « livret de l’Emmanuel » (6-12). Dans le chapitre 8, ce texte est situé vers la fin de la partie dans laquelle le prophète raconte l’origine divine de sa mission (cf. Is 8, 11-20). Il est dans la section d’Is 8, 19-23, et constitue l’une des traditions bibliques qui nous fournissent la preuve de la pratique de la nécromancie

614

Cf. Samuel TERRIEN, Job, (Commentaire de l’Ancien Testament, XIII), Labor et Fides, Genève, 2005, p. 171- 172.

615

Cf. Theodore Joseph LEWIS, op. cit., 1989, p. 169.

616

Cf. Jacques VERMEYLEN, « Ésaïe », dans Thomas RÖMER, Jean-Daniel MACCHI, Christophe NIHAM (éds.), op.

en Israël617. Puisque ce texte critique la pratique de la divination et de la nécromancie, cette pratique fait alors partie de la mission du prophète pour ramener le peuple à Dieu, pour que ce peuple reste toujours fidèle à son Dieu.

Nous avons déjà analysé les termes בואה ha‘ob « esprits » et de םינעדיה hayyiddene‘onim

« devins » plus haut. Le terme םיפצפצמה hamezaphezephim « ceux qui sifflotent », du verbe ףפצ zaphaph « siffloter », est à l’intensif (pilpel) et au pluriel. Ce sont les devins qui sifflotent. La BJ traduit « par ceux qui marmonnent ». L’autre mot est םיגהמהו wehammahegim « et ceux qui murmurent », au participe pluriel. Les sujets de ces verbes sont תובאה ha’obot « les spectres ou les spirites » et םינעדיה hayyidde‘onim « devins ». La suite du passage montre que ceux qui ont recours à ces spécialistes le font en vue de consulter les morts, c’est-à-dire pour pratiquer la nécromancie.

R. Martin-Achard montre que, dans ce passage, Isaïe surprend les Judéens ou Israélites qui, dans une période de crise vers 735 avant J.-C., sont en train de faire appel aux devins et aux nécromanciens en méprisant en même temps les promesses et les exigences de Dieu618.

Selon T. Lewis, ce passage (Is 8, 19) démontre que la pratique nécromancienne est d’usage courant dans la religion populaire dans le milieu juif au 8e

siècle malgré l’existence des lois qui l’interdisent. Par ce passage, ajoute cet auteur, le prophète Isaïe n’attribue aucune efficacité à cette pratique619. C’est-à-dire il ne reconnaît pas l’efficacité de ces morts ou de ces esprits consultés à qui on attribue un certain pouvoir surnaturel.

Le prophète veut faire apparaître la vraie fidélité à Dieu. Et c’est Dieu lui-même qui incite Isaïe à s’opposer au peuple de Juda dans ses perversions, et à n’avoir confiance qu’en Dieu seul. Donc il ne faut pas chercher d’autre pratique comme la nécromancie dans la vie mais il faut toujours se fier à Dieu qui est Créateur, principe, source et origine de toute chose. Les morts qu’on invoque dans la nécromancie et les autres esprits dans la divination sont des créatures et non le Créateur.

Les morts ou leurs esprits sont quelquefois désignés, même dans la Bible, par le terme dieux ou êtres divins ; et on leur reconnaît un certain pouvoir selon ce passage Is 8, 19. Ils sont censés connaître les choses cachées, leur langage n’est pas comme celui des vivants, c’est du murmure et du sifflement, c’est ce qui convient à des esprits selon ce que nous voyons en Is 29, 4 en ces termes : « Tu seras abaissé, ta voix s’élèvera de la terre, de la poussière elle s’élèvera comme un murmure ; ta voix comme celle d’un esprit viendra de la terre, comme venant de la poussière elle murmurera. » Les mots sont en partie semblables à Is 8, 19. Le verbe ףפצ zaphaph « murmurer » qui appartient à la voix des esprits se rencontre dans les deux passages. Les morts sont alors dans le monde des esprits par leurs voix et leur localisation qui est souterraine.

La parole sur la consultation des morts et des esprits étonne un peu dans le contexte. Elle est là pour s’opposer à la foi et à l’espérance : c’est une attitude contraire du peuple et une conception erronée de la recherche de la parole divine. Au lieu de s’en tenir au témoignage ferme et clair de la parole de Dieu annoncée par le prophète, le peuple cherche son inspiration auprès des esprits des morts auxquels on reconnaît un certain pouvoir. C’est

617

Cf. Brian B. SCHMIDT, op. cit., 1994, p. 147.

618

Cf. Robert MARTIN-ACHARD, op. cit., 1988, p. 60.

619 Cf. Theodore Joseph LEWIS, op. cit., 1989, p. 132; pour le contexte de ce passage d’Is 8, 19, cf. aussi Joseph

pourquoi on les appelle quelquefois םיהלא ’elohim (cf. 1S 28, 13) et םינעדי yidde‘onim, ce qui peut vouloir dire aussi « doués d’une connaissance supérieure ». Ce phénomène montre une montée de la pratique du culte des ancêtres que les interdictions du Deutéronome (cf. Dt 18, 11) et du Lévitique (cf. Lv, 19, 31) n’arrivent pas à éliminer620.

L’opposition qui suit la référence aux ancêtres défunts qui possèdent un savoir surnaturel se réfère vraisemblablement « au fait que ces ancêtres s’expriment depuis leur séjour souterrain dans le shéol, le monde des morts, et leur voix parvient aux vivants de façon déformée. La communication de ce savoir surnaturel rend les ancêtres défunts comparables » à des divinités tutélaires de la famille, appelées הלאםי élohim, une notion attestée ailleurs dans le Proche-Orient ancien et que l’on retrouve aussi dans le récit de 1S 28621.

On voit bien que dans ce passage Is 8, 19, le prophète dénonce la consultation des autres esprits à travers les spectres et les devins, et la consultation des morts pour et par les vivants. Dieu, par la bouche du prophète Isaïe, s’oppose à la consultation des ancêtres défunts malgré son existence au sein de son peuple. Et il veut justement supprimer cette pratique au sein de ce peuple Israël. Le prophète Isaïe montre que le peuple Israël a rejeté Dieu à travers cette pratique nécromancienne622.

Le passage d’Is 8, 19-20 illustre la « solidarité intergénérationnelle dans laquelle s’inscrit la pratique de la nécromancie en Israël au Ier

millénaire avant notre ère ». En échange du culte qui leur est rendu, les morts ou les ancêtres défunts peuvent s’adresser aux vivants, leurs descendants, les mettant au bénéfice d’une forme de savoir inaccessible à la sagesse empirique623.

Dans la pratique du culte des Ancêtres, les Malgaches sont en partie dans cette ligne ; parce qu’en échange des cultes que les vivants rendent à leurs ancêtres, ceux-ci donnent aux premiers la bénédiction et la protection, en particulier à leurs descendants.

Notre deuxième texte se situe au début du règne d’Ézéchias, dans le contexte de l’alliance militaire étrangère que cherche ce roi avec l’Egypte pour s’opposer à l’Assyrie ; et le prophète Isaïe est en défaveur de cette alliance. Voici notre passage qui est déjà cité plus haut : « Tu seras abaissée, ta voix s’élèvera de la terre, de la poussière elle s’élèvera comme un murmure ; ta voix comme celle d’un esprit viendra de la terre, comme venant de la poussière elle murmurera. » (Is 29, 4).

Is 29, 1-8 décrit le salut de Jérusalem. B. Schmidt rappelle que la date et l’auteur de ce passage restent contestés. Clements, au contraire, conclut que Is 29, 1-4 était d’Isaïe et est, par conséquent, composé juste avant 701, tandis que les versets 5-8 ont été ajoutés plus tard par un rédacteur josianique624.

Kaiser a rejeté l’appartenance à Isaïe du noyau d’Is 29, 1-8. Il a fait valoir que l’insertion de la phrase « et il est » היהו vehayah dans le verset 4 est indicative d’une part rédactionnelle. Pour lui, dans les versets 1-4, le prophète prédit la destruction de Jérusalem. La présence des termes בוא ’ob (v. 4) et ינעדי yidde‘onî dans les traditions d’Isaïe et dans ce

620

Cf. Joseph BLENKINSOPP, op. cit., 2000, p. 132.

621 Cf. Christophe NIHAN, op. cit., 2012, p. 146-147. 622

Cf. Joëlle FERRY, Isaïe. “Comme les mots d’un livre scellé…” (Is 29, 11), (Lectio Divina, 221), Cerf, Paris, 2008, p. 108.

623 Cf. Christophe NIHAN, op. cit., 2012, p. 146. 624

verset pourrait constituer des preuves de la présence d’idéologie deutéronomiste. En d’autres termes, Is 29, 4, comme Is 8, 19 et Is 19, 3 est d’une main deutéronomiste625.

Notre passage est un oracle de condamnation contre Ariel, la ville de David, ce qui renvoie au siège de Jérusalem par Sennachérib en 701626. Au verset 3, Yahvé annonce qu’il va mettre le siège devant la ville. Son discours se poursuit dans notre passage qui représente l’humiliation de la ville dont l’état est si désespéré qu’elle est comparé à un homme mort.

La consultation des esprits des morts était bien connue pour que notre auteur puisse s’inspirer de cette pratique dans sa métaphore. Il utilise l’image du culte des morts pour dépeindre l’état de Jérusalem considéré comme une ville de morts. Le passage ressemble à Is 8, 19 sous un certain aspect, en ce qui concerne les esprits ou les nécromanciens avec la םיפצפצמ mesapsepîm627.

Ainsi, il ressort d’Is 8, 19 et 29, 4 que l’auteur a utilisé l’image de la nécromancie. La même chose peut être dite pour Is 19, 3 qui fait partie de la collection des oracles contre les nations (Is 13-23). Pourtant, la nécromancie n’est jamais présentée dans une vision positive dans la Bible. L’image n’est pas une allusion à l’efficacité de la pratique, elle est utilisée dans un sens péjoratif. Même si notre passage se révèle comme une description métaphorique des alliances étrangères des dirigeants civils, comme l’alliance avec la mort, l’image du culte des morts y brille628.

La traduction Revised Standard Version (JPS) considère la comparaison בואכ ke’ôb (v. 4) comme la voix du fantôme de la terre ; alors que la traduction Jewish Publication Society (RSV) interprète la comparaison comme la voix de Jérusalem qui surgit de l’enfer comme un fantôme. Cette phrase exprimerait une analogie du sort mortel de la ville. La première traduction suppose que la voix des morts pouvait être entendue s’élevant du sol, cela suggère que le fantôme lui-même pourrait revenir à la terre des vivants. Dans notre passage (Is 29, 4), le בוא ’ob est entendu comme venant du monde souterrain (רפע ‘apar, la poussière)629.

B. Schmidt voit l’efficacité supposée de la nécromancie dans Is 29, 4 comme en 1S 28 et contrairement à Is 8, 19 où une telle efficacité est niée. L’utilisation métaphorique de la nécromancie pour le sort mortel des habitants de Jérusalem en Is 29 ne tient pas si les croyances sur le monde des morts avaient été entièrement rejetées par l’auteur. Ainsi, la dénonciation deutéronomiste de la nécromancie en Is 29, 4 est mieux comprise comme une réponse à la croyance mésopotamienne adoptée par certains secteurs de la société judéenne de l’époque du rédacteur. Cette croyance montre que la conjuration et la communication avec les morts servent pour obtenir des connaissances sur l’avenir de la vie. Le rédacteur deutéronomiste a cherché à démontrer que la source préférée de la révélation est la prophétie yahviste630.

625

Cf. Ibid., p. 162-163.

626 Cf. Theodore Joseph LEWIS, op. cit., 1989, p. 135-136. 627

Cf. Ibid., p. 137.

628

Cf. Id.

629 Cf. Brian B. SCHMIDT, op. cit., 1994, p. 163. 630

2.2.2.2. Les dénonciations des faux dieux et des spécialistes de la nécromancie Is 19, 3

Le nouveau passage que nous allons étudier se trouve dans la partie qui parle du malheur du monde païen. L’Egypte est visée ici car les chapitres 18-20 parlent de ce pays. Le passage est daté du début du règne d’Ézéchias en Juda. Ce roi cherchait l’appui de l’Egypte contre l’Assyrie. Isaïe s’oppose à cette alliance militaire ainsi qu’à toute autre alliance militaire étrangère. Notre texte est dans ce contexte. Voici le passage : « L’esprit de l’Egypte s’évanouira en elle, et je confondrai son conseil. On consultera les faux dieux et les enchanteurs, les spectres et les devins. » (Is 19, 3). Le passage vise alors l’influence de l’Egypte dans le domaine religieux, et il est dans l’oracle contre l’Egypte (Is 19, 1-15). L’ensemble de cet oracle joue un rôle important dans l’étude de notre passage. Is 19, 1-15 se divise en trois parties. Les versets 1-4 dépeignent l’effondrement de l’ordre religieux et civil, les versets 5-10 représentent le manque des crues du Nil, la base économique de l’Egypte, et les versets 11-15 décrivent l’impuissance de ses dirigeants politiques face à la catastrophe631. Notre passage se situe dans le cadre de l’effondrement religieux et civil. La pratique qui y est dénoncée entrainerait alors cet effondrement.

Notre passage est l’un de ceux qui montrent que la pratique nécromancienne et divinatoire en Israël vient de l’Egypte. La dénonciation de la consultation des différents spécialistes des pratiques nécromanciennes dans ce passage est précédée par la mention de faux dieux de l’Egypte.

Comme Is 8, 19, notre passage fait aussi mention de תובאה ha’obot « ceux qui retournent » et םינעדיה hayyidde‘onîm « les connaisseurs », mais dans le cas présent, ils sont dépeints comme le reflet des pratiques de nécromancie égyptienne. Certains commentateurs attribuent cette connexion à l’ignorance de la magie et la religion égyptiennes de la part de l’auteur. D’autres concluent que c’est en accord avec sa position yahviste, et pensent que ce verset se base sur d’autres expressions de ce livre d’Isaïe (cf. Is 8, 19 et Is 29, 4)632.

L’influence de l’Egypte que critique le prophète entraine un désordre dans la société israélite de l’époque même dans le domaine moral. J. Blenkinsopp dit que la démoralisation conséquente des pouvoirs spirituels de l’Egypte, caractérisé comme םילילא ’elilim « nullités » (cf. Is 2, 8. 18. 20 ; 10, 10. 11; 31, 7), prépare la voie à l’effondrement de l’ordre politique et civique et le désastre écologique, qui rappelle la lutte entre les représentants de la divinité israélite et les magiciens égyptiens dans le récit des fléaux (cf. Ex 7, 8-11, 10). L’auteur ajoute que le résultat de ces pratiques dénoncées est le trouble social avec peut-être une allusion au conflit entre la Haute et la Basse Egypte. Comme il arrive souvent dans cette situation de désordre et d’anomie, les gens se tournent vers le point de vue prophétique (cf. Is 8, 19), et le culte des morts était un aspect important de la religion égyptienne633.

Après la mention de םילילאה haèlilim « faux dieux » ou « nullités », ce passage de Is 19, 3 utilise trois termes appartenant à la nécromancie et à la divination, à savoir םיטאה haittim « enchanteurs ou nécromanciens », תובאה ha’obot « spectres ou nécromanciens » et םינעדיה

631

Cf. Ibid., p. 154-155.

632 Cf. Ibid., p. 154. 633

hayidde’onim « devins ». J. Blenkinshopp traduit ce dernier par « celui qui consulte une ombre ou un fantôme », il suggère que le couple בוא ’ob et םינעדי yidde‘onim mentionné dans notre verset se rapporte aux esprits des morts plutôt qu’à leurs manipulateurs humains634. C’est en quelque sorte le culte des morts, la nécromancie et d’autres pratiques divinatoires qui sont dénoncées dans ce verset (cf. aussi Is 44, 25 ; 46, 1-2 ; 47, 9. 12-13).

T. Lewis signale qu’il est facile de voir comment םיהלא ’elohim pourrait être remplacé par םילילא ’elîlîm. Un scribe n’a pas reconnu la connotation « l’esprit des morts » pour םיהלא ‘elohim et a écrit םילילא ’elîlîm à la place ; il est, peut-être, influencé par la présence de ce terme dans Is 19, 1. Le précédent ’el peut aussi avoir entraîné une certaine confusion. Cependant, ce serait plus plausible une décision consciente d’un scribe pieux à choisir un mot (םיליל ’elîlîm) qui ne serait pas susceptible d’être mal interprété (comme םיהלא ’elohim א pourrait l’être). Ce serait semblable à la Tiqqûné Sopherim et d’autres instances d’euphémismes qui ont été utilisées pour éviter des phrases qui pourraient offenser. Les trois autres mots de ce verset que nous avons étudié plus haut ont tous à voir avec les esprits des morts. Dans ce cas, םיהלא ’elohim serait la lecture initiale635.

Dans ce passage, il n’y a pas de mention explicite des morts ni de leur consultation par les vivants. Mais la mention des spécialistes de cette pratique et du recours à ces spécialistes suppose l’existence de cette nécromancie. Et ce passage est une sorte de dénonciation du recours aux spécialistes de consultation des morts et des esprits.

Comme dans Is 8, 19, la nécromancie est regardé avec mépris dans notre passage (Is 19, 3). Les Egyptiens se tournent vers cette pratique après qu’ils ont perdu toute raison et conseil. Dans notre passage, cette pratique nécromancienne est vouée à l’échec. En effet, à un certain moment, quand le terme םילילא ’elîlîm a été inséré dans le texte, les esprits des morts, vers lesquels les Égyptiens se tournent pour chercher conseil, ont été raillés comme « non-entités » (cf. Lv 19, 4 ; Ps 96, 5)636.

2.2.2.3. La critique de l’alliance avec la mort et le shéol en Is 28, 15. 18

Voici notre texte : « Vous avez dit : Nous avons conclu une alliance avec la mort, avec le shéol nous avons fait un pacte. Quant au fléau menaçant, il passera sans nous atteindre, car nous avons fait du mensonge notre refuge, et dans la fausseté nous nous sommes cachés… votre alliance avec la mort sera rompue, votre pacte avec le shéol ne tiendra pas. Quant au fléau destructeur, lorsqu’il passera, vous serez piétinés par lui. » (Is 28, 15. 18). Le passage est à la fin du premier Isaïe.

Évidemment, il s’agit dans ce passage d’une critique contre l’alliance avec la mort et un pacte avec le shéol ; en d’autres termes, c’est une attaque contre le culte des morts qui se trouvent au shéol. Les métaphores ne sont pas tendres avec la mort et l’au-delà637.

L’accusation est contre l’élite de Jérusalem, et de la Judée en général. Le geste de « conclure une alliance avec la mort et un pacte avec le shéol » est quelquefois une allusion

634 Cf. Ibid., p. 315; cf. Theodore Joseph LEWIS, op. cit., 1989, p. 133-134; cf. aussi Brian B. SCHMIDT, op. cit.,

1994, p. 157.

635

Cf. Theodore Joseph LEWIS, op. cit., 1989, p. 133.

636 Cf. Ibid., p. 134. 637

aux négociations avec l’Egypte en vue d’un front commun anti-assyrien, une situation assez fréquente dans les dernières années du 8e siècle avant notre ère (cf. Is 30, 1-5 ; 31, 1-3). J. Blenkinsopp signale que des commentateurs ont soupçonné une référence tacite à la préoccupation égyptienne pour la mort et l’au-delà. D’autres suggèrent qu’il s’agit d’une allusion à la nécromancie et à des pratiques occultes, souvent invoquées dans les périodes de crise et qui sont bien représentées dans Isaïe (cf. Is 2, 6 ; 8, 19-22 ; 29, 4; 57, 8-9)638.

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