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2. ANALYSE DU RITE DU RASAHARIAGNA

2.2. LES ACTES ET LES PAROLES DANS LE RASAHARIAGNA

2.2.2. Les repas

Dans le Rasahariaña, on a deux sortes de repas. Le premier est le repas sacrificiel du Sôrontsôroño que nous avons présenté ci-dessus et le deuxième est le repas communautaire de toute l’assemblée.

2.2.2.1. Le repas sacrificiel du Sôrontsôroño

Dans le Sôrontsôroño, on prend les différentes parties du bœuf et on les cuit près du lieu du jôro, près de l’autel. Comme nous l’avons montré dans la description de ce rite, presque toutes les parties sont prises pour faire le Sôrontsôroño. Ainsi c’est l’animal entier qui est offert au destinataire et aux Ancêtres. Et le bœuf est l’une des marques de la richesse de Madagascar. Le riz qu’on mangera avec est l’aliment de base des Malgaches. On les met dans l’autel à deux étages. Cet emplacement à deux étages montre l’existence de la hiérarchie parmi les Ancêtres invités et invoqués.

Le mpitanjiny commence alors le Fôtojôro qui est le jôro sur le Sôrontsôroño en invoquant Zanahary, Dieu, et tous les Razana du demandeur de Rasa. Cette invocation exprime un désir de communion avec Zanahary et l’ensemble des Ancêtres. Et elle exprime déjà l’existence de cette communion. Les Tsimihety veulent se conformer à la volonté de Zanahary que leurs Ancêtres ont respecté et suivi durant leur vie terrestre.

Puis on leur présente la nourriture cuite en ces termes : « Io ny hani-masaka tsisy tompony fa zay avy tompony na io ny hanigny be tsara ahandro, hani-masaka » ; traduction littérale : « voilà une nourriture cuite qui appartient à tous ceux qui sont présents ici, vivants et morts, ou voilà une nourriture bien cuite ». Cette petite phrase est faite après l’invocation de Dieu et des Razana du demandeur. Cette manière d’offrir cette nourriture montre qu’elle est pour tous et non pas au demandeur seul, c’est-à-dire elle appartient aux Ancêtres puisque c’est offert à eux, au demandeur et aux vivants présents à l’occasion du rite. Chez les Tsimihety et chez la plupart des Malgaches, les aliments cuits et servis appartiennent à tous.

Selon la croyance tsimihety, on pense que tous les Razana de la famille du demandeur, qui sont déjà dans l’au-delà, sont présents et mangent. C’est pourquoi après cette parole d’offrande, il y a quelques minutes de silence pendant lesquelles tous ces Razana à qui on les offre les mangent181. Ce silence est une des manifestations de respect pour les Ancêtres au cours de ce rite et de ce repas.

En même temps quelques parents représentants des familles présentes au Rasahariaña mangent tout près. Ils mangent les viandes cuites avec le Sôrontsôroño en plus du riz. Les

180 Cf. Jean-Marc ELA, « Ma foi d’Africain », dans Klauspeter BLASER, op. cit., 2000, p. 285. 181

vivants mangent ainsi en même temps que les morts, le destinataire et les Ancêtres. En plus d’être des témoins du mpijôro ou mpitanjiny182, ces parents qui sont appelés « Sojabe » représentent les vivants qui mangent avec les Ancêtres déjà dans l’au-delà car ils sont les anciens représentants des familles dans un village ou même dans les villes des Tsimihety. Ils assurent déjà en quelque sorte l’intermédiaire entre les vivants et les Ancêtres comme le mpitanjiny.

Donc le repas pris pendant le Sôrontsôroño est un repas communautaire avec les membres de la famille qui sont déjà dans le monde de l’au-delà. Il est un repas qui lie et qui met en communion avec les Ancêtres de la famille organisatrice. C’est pour cela aussi qu’on l’appelle un repas communionnel. Il est un repas qui montre une communion verticale avec ces Ancêtres. Cela veut dire que dans la société des Tsimihety, il y a cette sorte de communion. Cette communion n’est pas limitée ni coupée par la mort.

Après les quelques minutes de silence, le mpitanjiny reprend en disant : « Zay avy ambony mody ambony, zay avy ambany mody ambany » ; traduction : « ceux (les Ancêtres) qui viennent d’en haut retournent en haut et que ceux qui viennent d’en bas retournent en bas ». On pense que les Razana sont rassasiés et ils retournent chez ceux. En même temps qu’il prononce cette phrase, le mpitanjiny asperge de l’eau sur les viandes du Sôrontsôroño, et les enfants se précipitent pour les prendre et les manger. En général, ce sont seulement les enfants qui prennent ces viandes de Sôrontsôroño car ils sont innocents et incapables de mettre le mosavy, la sorcellerie malgache, d’intoxiquer les aliments puisqu’on les prend en mains et ces enfants ne sont sûrement pas des sorciers. Si les adultes prennent ces viandes avec les mains, ils peuvent mettre des choses mauvaises ou même tuer quelqu’un au travers de la sorcellerie s’il y a des sorciers parmi eux. D’où le fait qu’on n’autorise pas les adultes à prendre les viandes du Sôrontsôroño183. L’innocence est exigée pour ce rite, surtout celui du

Sôrontsôroño. On voit à travers cette pratique la peur de la mort de la part des Malgaches. Et l’une des raisons de Rasahariaña est d’éviter le plus possible la mort en demandant la santé, le bonheur et la guérison pour ce qui est malade si la demande se manifeste par la maladie.

Dans notre Enquête II à Ambohitsarabe, Félix renforce l’idée d’innocence des enfants pour l’autorisation de prendre et de manger les viandes cuites du Sôrontsôroño. Il montre que ces enfants ont encore le cœur pur. Donc ils ne peuvent pas mettre de poison ou de la sorcellerie dans ces nourritures qu’on prend avec les mains184. Presque tous nos informateurs dans nos enquêtes partagent cette idée d’innocence des enfants pour le motif de l’autorisation accordée aux enfants de prendre les viandes du Sôrontsôroño. C’est aux enfants de manger les restes des Ancêtres considérés comme sacrés. Les os de la viande de Sôrontsôroño doivent être laissés au lieu du Fijoroaña mais pas sur l’autel185.

Pour le Sôrontsôroño, il y a deux étages de l’emplacement ou de l’autel : en bas et en haut. Ceux qui sont placés en bas sont pour ceux qui sont en bas, ce sont les hommes vivants sur la terre ; et ceux qui sont placés en haut sont pour ceux qui sont en haut, ce sont les

182

Cf. Enquete V avec Meur JAOVELO, Anahidrano le 05 aout 2011.

183

Cf. Enquete VII avec Meur FELIX, Antsohihy le 30 juillet 2011.

184 Cf. Id. 185

Ancêtres186. Cela symbolise également la communion verticale entre les vivants sur la terre que sont les hommes, et ceux dans l’au-delà que sont Zanahary et les Razana, les Ancêtres.

Les viandes de Sôrontsôroño et celles que les parents hommes ont mangées avec le riz tout près du Fijoroaña sont cuites dans une même marmite pour accentuer la communion entre les vivants qui y mangent et les Razana. Elles ne devraient pas être très cuites, elles devraient être seulement à moitié cuites. Il suffit qu’elles bouillonnent tout simplement187.

Le jôro du Sôrontsôroño appelé le Fôtojôro est une présentation du repas sacrificiel du Sôrontsôroño aux Ancêtres. Ce Fôtojôro est aussi et surtout une invitation à manger lancée à ces Ancêtres avec le demandeur du Rasahariaña ; car pendant ce Fôtojôro, le mpitanjiny déclare à tous les Razana et au destinataire du Rasahariaña que le repas est prêt. Il les invite alors à manger ce menu préparé pour eux.

Le fait de manger en même temps que les Ancêtres montre également la communion de vie entre la société divino-ancestrale et la société terrestre. Les parents ou les anciens qui mangent tout près de l’autel représentent chacune des familles présentes, ils sont destinés à devenir des Ancêtres un jour. La communion sacrale est alors exprimée par l’intervention de ces représentants qui sont les anciens et les enfants. Les anciens sont les prochains Ancêtres et les enfants montrent l’innocence, la pureté du cœur.

2.2.2.2. Le repas communautaire de toute l’assemblée

Le repas communautaire de toute l’assemblée est un repas de clôture du rite de Rasahariaña. Quand ce repas est prêt, les responsables de la cuisine préparent une place pour y installer des services pour le repas. Lorsque tout est prêt, l’un des membres de la famille organisatrice du rite invite à haute voix et par ordre hiérarchique toute l’assemblée au repas. Les premiers invités sont les antilahy, olondehibe ou olo-maventy, c’est-à-dire les anciens, les parents hommes. Après le repas de ces anciens, on invite les autres hommes qui n’ont pas encore mangé et les jeunes hommes. A l’issue du repas de ceux-ci, on invite les femmes et les enfants en dernier lieu. Cette hiérarchie symbolise non seulement la hiérarchie existante pour la société terrestre tsimihety mais aussi celle des Ancêtres et même du monde surnaturel tsimihety188. C’est la société malgache dans son ensemble qui est hiérarchique, que ce soit sur la terre ou dans l’au-delà189.

Comme nous le voyons, ce repas montre la hiérarchie dans la société et la communauté tsimihety parce que le repas lui-même est hiérarchisé avec la manière dont on le sert. Mais il est communautaire car il rassemble toute l’assistance étant donné que cette dernière participe toute à ce repas. Donc la communion dans ce repas est celle entre tous ceux qui en mangent, c’est-à-dire entre toute l’assistance. Et on y mange aussi le riz avec le même bœuf offert. C’est une communion de vie entre tous les participants à ce rite que montre ce repas

186

Cf. Enquete V avec Meur JAOVELO, Anahidrano le 05 aout 2011.

187

Cf. Enquete VII avec Meur FELIX, Antsohihy le 30 juillet 2011.

188 Pour cette hiérarchie surnaturelle chez les Betsimisaraka et qui est valable aussi chez Tsimihety, par

exemple, cf. Enzo FUCHS, Le caméléon et la sagesse malgache. Du symbolisme des animaux aux conceptions

cosmologiques qui règlent le rapport de l’homme à la nature en Pays betsimisaraka (Nord-est de Madagascar),

Ed. universitaires européennes, Sarrebruck, 2010.

189

communautaire. Une maxime malgache dit : « Izay iray vatsy, iray aina », c’est-à-dire « ceux qui ont la même provision ont la même vie ». Cette maxime exprime la communion de vie entre les participants d’un même repas. Puisqu’on a une même source, on a la même vie.

F. K. Lumbala dit que le repas communautaire est le symbole de communion à une même vie190. Tous les participants de ce rite mangent de la viande du même bœuf sacrifié. Ils partagent alors la même vie par le même sacrifice. Cela fortifie le Fihavanana, la solidarité, l’union de la famille organisatrice et de la société représentée par l’assemblée qui s’assemble à l’occasion de ce rite.

Ce même repas communautaire est également une communion de vie avec le destinataire du Rasahariaña, les Ancêtres et la famille organisatrice, car le bœuf qu’on mange est celui qu’on a offert au demandeur et aux Ancêtres. Donc, la communion exprimée par le repas communautaire ne reste pas seulement entre les vivants eux-mêmes, elle est aussi avec la société des Ancêtres qui sont dans le monde de l’au-delà. C’est-à-dire, à travers le repas communautaire du Rasahariaña, on entretient en même temps une communion sociale terrestre entre les vivants eux-mêmes, et une communion sacrale en quelque sorte verticale entre les vivants et les Ancêtres dans le monde de l’au-delà. Rakotomahefa montre aussi que tout repas est sacré car il nous fait entrer en communion avec Dieu, source de vie et la Vie même191. On peut dire ici que le repas communautaire de ce rite met les participants en communion avec Zanahary, Dieu, puisque celui-ci est invoqué au premier rang dans les deux jôro de ce rite.

Ce repas exprime l’établissement et le renforcement de la solidarité et de la communion de vie entre la famille organisatrice du rite. Le fait qu’il y a beaucoup d’assistance signifie que la famille organisatrice est en bonne entente avec la communauté villageoise. Elle est reconnue par cette dernière comme son membre intégrant. De son côté, la famille organisatrice reconnait l’assistance de la communauté villageoise par ce repas car il s’agit d’une sorte de remerciement à l’égard de la dite communauté.

Le repas communautaire manifeste donc l’union presque parfaite des convives car manger ou boire avec quelqu’un signifie entrer en interaction avec lui, laisser ses influences vitales s’échanger avec les nôtres192. Il montre l’existence de la communion sociale, de la communion avec le monde sacré puisque la communauté qui y est présente mange la partie de la viande de bœuf déjà offerte aux entités célestes193.

Ce repas communautaire est l’un des aspects qui montrent que le culte des Ancêtres qui consiste à entretenir une communion et une communication avec les Ancêtres renforce aussi les liens entre les vivants, la cohésion du groupe ethnique194.

190 Cf. François KABASELE LUMBALA, « Pâques zaïroises », dans Joseph Doré et René LUNEAU (dirs.), François

KABASELE LUMBALA (collaboration), Pâques africaines d’aujourd’hui, (Jésus et JésusChrist, n°37), Desclée, Paris, 1989, p. 23.

191 Cf. RAKOTOMAHEFA, « Repas et inculturation », dans ACM 1 (1985), p. 52. 192

Cf. MULAGO GWA, « Symbolisme dans les religions africaines et sacramentalisme », dans RCA 27 (1972), p. 478.

193 Cf. Joseph Justin RANDRIANANDRASANA, op. cit., 2000, p. 34. 194

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