• Aucun résultat trouvé

2. ANALYSE DU RITE DU RASAHARIAGNA

2.4. LES CAUSES INDIRECTES DU RITE

2.4.2. La peur de la mort et des morts

Les Malgaches ont vraiment peur de mourir comme tout être humain en général. D’où un adage ou maxime malgache dit que « raha ho maty aho matesa rahavako », ce qui signifie que « si je devais mourir vaut mieux que l’autre meure même s’il est de ma parenté ». La mort bouleverse les Malgaches. Un cadavre est une honte pour eux263. Les Tsimihety ne sont pas en reste de cette situation, ils ont aussi peur de la mort et des morts.

Puisque le demandeur de Rasahariaña fait souvent tomber malade une personne pour réclamer sa part, si la maladie est un fruit d’une demande de sa part, les membres vivants de sa famille lui donne ce Rasa en organisant le rite pour qu’il laisse tranquille les vivants.

260

Cf. Ibid., p. 102-103, 242.

261 Cf. Raymond DECARY, op. cit., 1962, p. 8. 262

Cf. Patricia RAJERIARISON, Sylvain URFER, op. cit., 2010, p. 77.

263

Cf. Pierre-Loïc PACAUD, Un culte d’exhumation des morts à Madagascar : le famadihana. Anthropologie

psychanalytique, L’Harmattan, Paris, 2003, p. 213-217 ; cf. aussi Louis MOLET, Le bain royal à Madagascar,

Le demandeur du Rasahariaña se manifeste quelquefois en songe ou en rêve pour demander sa part. Dès qu’on sait que l’apparition d’un mort est une demande de rasa on organise le rite du Rasahariaña pour que le défunt ne réapparaisse plus car les Tsimihety ont peur que les morts reviennent les hanter. Et c’est à cause de cette peur des morts que les tombeaux des Tsimihety sont toujours loin de leurs villages et isolés. Ce phénomène concerne surtout les Tsimihety qui habitent en milieu rural. Dans les villes comme à Antsohihy, les choses commencent à changer et sont mêmes différentes.

Les Tsimihety ne sont pas les seuls Malgaches qui ont peur des morts et qui isolent leurs tombeaux un peu loin de leurs villages. Par contre les Merina ont leurs tombeaux presque au sein de leurs villages et de leurs villes. Mais cela n’explique pas qu’ils n’ont pas peur des morts et de la mort. Cette peur de la mort et des morts semble généralisée à Madagascar bien qu’il y ait des exceptions remarquables, car les cultes des Ancêtres sont des célébrations pour éviter la mort, des célébrations de la vie ou de la victoire de cette vie sur la mort.

Chez les Tsimihety, les cadavres sont objet de peur et des fady, tabous. Les morts et les mourants sont isolés. Et quand un individu est à l’agonie chez les Tsimihety, il est considéré généralement comme ayant déjà perdu une portion de son âme, comme ayant en partie quitté cette terre. Il est transporté dans la plus mauvaise de ses cases, ou dans un abri provisoire qui lui est rapidement construit s’il n’en possède qu’une seule, et souvent dans les campagnes tsimihety sous l’ombrage d’un bosquet d’arbres. Pour certains Tsimihety et dans quelques parties de leur territoire, la case dans laquelle survint un décès doit être brulée, car elle accompagnera son propriétaire dans l’autre monde. Dans cette incinération, il s’agit comme ailleurs d’une procédure purificatoire en rapport avec le fady attaché au cadavre264.

Pour les Tsimihety qui ne gardent pas leurs morts ou leurs cadavres dans une maison avant l’enterrement, ils les mettent sous un abri qui est une sorte de forêt. Cet abri peut être le même pour les habitants d’un village. Il s’appelle en Tsimihety « fondra ratsy ». Fondra signifie une sorte de forêt, et ratsy veut dire mauvais. R. Decary le traduit en mauvais camp265. Le fondra ratsy n’est pas une maison ni une case mais toujours une sorte de forêt. On y garde le mort jusqu’à son enterrement.

Pour les Tsimihety qui gardent leurs morts dans des maisons ou dans des cases, ces maisons ne s’appellent pas fondra ratsy. Par contre les viandes des bœufs sacrifiés pour nourrir la population qui garde le mort jusqu’à son enterrement sont appelées « hena ratsy », c’est- à-dire « mauvaises viandes » car hena signifie « viande » et ratsy veut dire « mauvais ». Tout cela montre l’attitude de peur des Tsimihety envers les morts et la mort. Les morts sont mis à part ou bien distingués des vivants.

Pour cette attitude à l’égard des morts et de la mort à Madagascar, P. Ottino a montré que les Betsimisaraka, comme toutes les populations du nord de Madagascar, ont peur des morts et de la mort. Ce phénomène du nord de Madagascar est vu par l’éloignement des maisons funéraires ou des tombeaux par rapport à leurs villages. Ces maisons funéraires ou ces tombeaux sont souvent localisés loin des villages pour cette partie de l’île, de préférence

264 Cf. Raymond DECARY, op. cit., 1962, p. 127. 265

elles sont dans la forêt qui est le domaine des Ancêtres et des entités surnaturelles266. Ce phénomène commence à changer actuellement dans les villes mais non dans les villages.

Par contre, sur les hautes terres malgaches, chez les Merina et les Betsileo, ou dans l’extrême-sud de l’île, chez les Mahafaly et les Antandroy, les structures massives et ostentatoires des tombeaux, bien en vue sur les croupes latéritiques, ou arrêtant le regard dans les étendues des savanes, sont bien visibles dans le paysage267. Ces tombeaux dans ces parties de la Grande Île sont proches des villes et des villages, ils sont quelquefois dans ces villes et villages. Cela ne veut pas dire que tous les habitants de ces parties de Madagascar n’ont pas peur des morts et de la mort. Cela dépend des personnes.

Dans le nord de Madagascar, la mort transforme l’être humain, objet de droit et d’obligations. Un cadavre ou faty en malgache est objet de crainte, d’aversion et également de honte268. Cette constatation de P. Ottino est bien réelle pour les Tsimihety qui habitent aussi la partie nord de la Grande Île.

Cette attitude envers les morts et la mort est partagé alors par toutes les ethnies de Madagascar. P. Ottino nous montre encore qu’à l’intérieur d’une maison où un homme a rendu son dernier soupir s’il n’a pas été transporté ailleurs ou dans l’abri funéraire qui le reçoit, le cadavre, car il fait honte, mahameñatsy ou mahamenatra, disent les Bara, est isolé par une claie légère ou cloison de nattes appelé tako-kenatra, littéralement cela signifie cache honte, dans le vonizongo. Un proverbe malgache dit : « toy ny tongo-bakivaky ou togotra vakivaky ny fahafatesana, sady maharary no mahanenatra » : c’est-à-dire la mort est comme les pieds fendus, cela fait mal et fait honte. Ce proverbe rejoint les conceptions des Sakalava du nord surtout, des Antakarana et des Tsimihety qui perçoivent et ressentent le cadavre comme une monstruosité et assimilent la mort à un échec ou fahavoazana269. A part le mot faty, le mot fahavoazana est un autre terme pour désigner un mort ou un cadavre. C’est un terme qui montre la monstruosité de la mort ou l’échec qu’on ressent au moment d’un mort dans une famille.

A Madagascar, effectivement le cadavre est partout regardé comme une source majeure d’impureté et de contagion qui contamine tout son environnement, comme les parents et les alliés de l’unité résidentielle, l’ancestralité, les possessions, qu’il s’agisse des objets personnels abandonnés sur la tombe pour cette raison ou des autres biens y compris pour un temps du moins les terres et les troupeaux. Les habitants de l’extrême-sud de Madagascar pendant les funérailles ont quelque chose à voir avec cette idée. Le mort et ses proches sont plongés dans un état de souillure qui nécessite l’imposition d’interdit d’isolement et de protection de fady pour leur propre protection autant que pour la protection de la communauté. C’est une sorte de mise en quarantaine. Par la suite, ces interdits imposés aux proches du mort exigent des rituels de leur lever270.

A cause de la honte que la mort porte à une famille, les Sakalava du nord et les Antakarana qualifient un cadavre de « kaka », c’est-à-dire de bête ou de monstre. Chez quelques localités des Betsimisaraka, les proches parents et les alliés atteints par le malheur

266 Cf. Paul OTTINO, op. cit., 1998, p. 184. 267 Cf. Id. 268 Cf. Id. 269 Cf. Ibid., p. 184-185. 270 Cf. Ibid., p. 185.

d’un mort éprouvent un sentiment d’intense pollution qu’ils retrouvent souvent chaque fois qu’ils sont en présence de dépouilles récentes ou de restes anciens271.

A l’enterrement, un parent, chez les Betsimisaraka c’est le gardien du tombeau qui annonce aux Ancêtres la venue de leur nouveau compagnon, et demande au mort d’accepter sa nouvelle condition, de ne pas revenir au village ni faire peur au vivant sauf à celui qui l’a ensorcelé si c’est un cas d’ensorcellement272. C’est aussi le cas à Ankerika ainsi que chez les Tsimihety en général. Après l’enterrement, les gens se lavent les mains ou se baignent dans des fleuves ou des rivières pour se purifier de l’impureté que pourrait apporter le cadavre. Car il y a aussi des gens ou des familles qui sont interdits de toucher le cadavre et tout ce qui concerne le mort.

Telle est l’attitude de la plupart des Malgaches en général et des Tsimihety en particulier face à la mort et aux morts. C’est une attitude de peur ou de crainte, de respect et d’amour pour les membres de la famille du mort. L’attitude de respect est marquée surtout par l’appellation du mort en Razana même avant l’enterrement et le Rasahariaña.

Cette attitude de crainte envers les morts et la mort est l’une des raisons lointaines ou indirectes de l’organisation du Rasahariaña. Car on a peur que le mort fasse mourir les vivants si on ne lui donne pas le Rasahariaña quand il le demande, et on le lui donne. On respecte celui qui est mort dans la famille, on lui donne le Rasahariaña pour lui montrer ce respect. On aime celui qui est mort car il fait partie de la famille, on lui donne quelque chose, un bœuf, par le Rasahariaña chez les Tsimihety.

Outline

Documents relatifs