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INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE

1. APERÇUS DE RITES ET DE PRATIQUES CONCERNANT LES DÉFUNTS

1.1. LES RITES DE DEUIL ET LES CÉLÉBRATIONS DES FUNÉRAILLES

1.1.1. Les termes qui désignent la mort et le deuil

Comme dans toutes les langues et les cultures, dans la Bible il y a les termes qui expriment la mort et le deuil. Nous allons voir ces termes.

1.1.1.1. Les termes qui désignent la mort

Les termes qui désignent le « corps mort » témoignent de la multiplicité et de la complémentarité du sens, et révèlent une pensée complexe, subtile et pénétrante sur cet événement383. Voici ci-dessous quelques-uns de ces termes.

Le premier mot hébreu désignant la mort qui vient à la tête est le verbe תומ mwt qui signifie « mourir ». Ce terme a aussi le sens de « se détendre ». À part ce mot, de nombreux termes désignent le passage de vie à trépas. Selon D. Faivre, à part תומ mwt, le terme le plus répandu pour désigner la mort ou mourir est celui de דבא ’bd (ou verbe abad) que l’on rencontre sous différentes formes et à plusieurs reprises. Son premier sens est « s’égarer », mais il possède un large champ sémantique et il a le sens de « périr » et de « disparaître » dans plus de la moitié des cas. Il s’applique surtout à l’homme mais peut occasionnellement être utilisé pour des cités entières (cf. Ez 26, 17)384.

L’intérêt de ce verbe est qu’il suggère l’idée d’un ailleurs. En tombant dans la mort, on s’égare de la vie. L’évolution du sens de ce terme en « disparaître », « anéantir » n’efface pas complètement cette impression de déplacement. En plus, qu’il soit employé au qal, « disparaître », ou au hiphil, « faire disparaître », on rencontre toujours cette idée de déplacement parce que le sujet quitte le monde des vivants385.

En ce qui oncerne le corps, הפוג gûpah signale le corps mort ou le cadavre (cf. 1Ch 10, 12). רגפ peger indique les cadavres humains (cf. Nb 14, 29-32 ; Jr 33, 5 ; Ez 6, 5), ceux des animaux (cf. Gn 15, 11), l’aspect collectif (cf. 1S 17, 46) et la punition divine (cf. Nb 14, 29- 32). Ce terme est utilisé comme une métaphore dans l’expression « les cadavres d’idoles » et est souvent employé pour ceux qui sont morts et restés sans sépulture (cf. Lv 26, 39 ; Nb 14, 29).

383 Cf. Hélène NUTKOWICZ, L’homme face à la mort au royaume de Juda. Rites, pratiques et représentations,

Cerf, Paris, 2006, p. 64.

384

Cf. Daniel FAIVRE, Précis d’anthropologie biblique. Images de l’Homme, (His toire et Perpectives Méditerranéennes), L’Harmattan, Paris, 2000, p. 266.

385

Un autre terme, תלפמ mappelet, au champ sémantique plus abondant, laisse transparaître une certaine conception de la mort386. En même temps, il s’applique à la ruine (cf. Pr 29, 16), à la chute (cf. Ez 26, 15) et au cadavre (cf. Jg 14, 8). Il prend son origine du verbe לפנ naphal qui signifie « tomber (dans le malheur ou la ruine) » (cf. 2S 1, 10), « mourir, périr » (1S 4, 10 ; 14, 32 ; 2S 3, 38 ; 11, 17), « abattre » (cf. Gn 4, 5), « causer la mort » (cf. 2R 19, 7), « rester inaccompli » (cf. 2R 10, 10), ou encore « se réaliser » (cf. Is 9, 7), « se jeter » (cf. Gn 17, 13), « se fondre sur » (cf. Js 11, 7), « se soumettre » (cf. Jr 21, 9), « faire mourir » (cf. Ps 106, 26), et « tomber dans un profond sommeil » (Gn 15, 12), c’est une sorte de torpeur (1S 26, 12).

Au sens figuré, תלפמ mappelet figure en Am 5, 2. Ce terme est le dénominateur commun des notions de mort, de ruine et de chute, qui laisse tant de choses accomplies et inaccomplies. Le sommeil profond qu’il évoque pourrait être le dernier et indique le changement d’état de la station debout vers la station étendue, signe de la faiblesse, de la mort et de l’acceptation de ce qui doit s’accomplir (cf. Is 9, 7)387.

Le terme הלבנ nebelah désigne les cadavres humains (cf. Jos 8, 29 ; 1R 13, 22 ; 2R 9, 37), des animaux purs et impurs (cf. Lv 22, 8). Il est souvent familier de la peur de ne pas être inhumé (1R 13, 22 ; 2R 9, 37). Le verbe לבנ nabel signifie « se dessécher et périr » (Is 1, 30) « tomber » (cf. Is 34, 4), « s’épuiser » (cf. Ex 18, 18) et « être détruit » (cf. Ez 29, 12).

Un autre terme qu’on rencontre aussi est le verbe וג gw. En général, ce verbe se traduit par « expirer » mais ne suppose pas l’idée de rendre son dernier souffle. Neutre dans son emploi, ce terme n’est pas réservé à une catégorie particulière de mourants388.

Selon les dires de D. Faivre, les désignations qui permettent les plus fructueux développements sont celles qui associent la mort au sommeil. Deux classes de verbes expriment ce sens. Il s’agit du verbe בכש skb (ou shakab) qui signifie se coucher, et du verbe ןשי ysn (ou yashen) qui veut dire « dormir » ou « s’endormir ». Là se trouve peut-être l’élément signifiant le plus important car, si on rencontre très fréquemment l’expression « se coucher parmi ses pères »389, elle s’adresse souvent à des hommes hors du commun390.

Cette expression « se coucher avec ses pères », employée comme une formule ritualisée dans les annales des rois d’Israël et de Juda, marque une attitude aristocratique à l’égard de la mort, une manière d’affirmer que le roi est plus fort que la mort puisqu’il va à sa rencontre. Pour le roi, c’est une reconnaissance qu’il a existé. Il lui est réservé un caveau particulier dans lequel il va rejoindre ses prédécesseurs et accueillera ses successeurs. « Mais l’assurance de pouvoir disposer d’une tombe n’était pas un sentiment partagé par la totalité du peuple hébreu »391.

Le verbe ןשי ysn « dormir » ou « s’endormir » est employé plus rarement, mais son intérêt n’est pas négligeable. D’après D. Faivre, le sommeil évoquait « pour les Hébreux un état proche de la mort, par l’engourdissement et l’inconscience qu’ils supposent ». C’est une

386

Cf. Hélène NUTKOWICZ, op. cit., 2006, p. 64.

387 Cf. Id. 388

Cf. Daniel FAIVRE, op. cit., 2000, p. 267.

389L’expression « se coucher avec ses pères » se rencontre 40 fois dans l’Ancien Testament dont une en Gn 47,

30, une dans Dt 31, 16, une en 2S 7, 12, 26 dans 1-2R et 11 dans 1-2Chr.

390 Cf. Daniel FAIVRE, op. cit., 2000, p. 267. 391

métaphore pour la représenter. Ainsi dans le Ps 13, il est dit : « Illumine mes yeux, que dans la mort je ne m’endorme. » (Ps 13, 4). Ce verbe ןשי ysn est aussi employé pour définir aussi bien l’action de s’endormir que l’état d’être endormi. Le terme הנש shénâh « sommeil », par extension, sert aussi quelquefois à désigner la mort, c’est un sommeil dont on ne se réveille pas, c’est un sommeil prolongé ou sans fin392.

Pour les Malgaches (traditionnels), cette attribution du terme sommeil ou dormir pour désigner la mort est réservée aux personnes hors du commun dans quelques parties de l’Île, ce sont les mpanazary « prophètes » pour les Tsimihety et les mpimoasy ou les ombiasy « devins » et « guérisseurs » pour quelques tribus. Mais on parle, dans le cas de Madagascar, de toromaso lehibe « grand sommeil »393.

H. Nutkowicz signale que le vocabulaire biblique qui évoque le corps du défunt laisse transparaître plus de nuance, qu’il suppose en effet qu’il y a une nécessité d’un temps de décalage afin de s’accoutumer à la brutalité de la mort. Le terme היוג ge

wiyâ se rapporte au corps vivant (cf. Gn 47, 18) ou mort (cf. 1S 31, 10). La perception immédiate de l’aspect concret du corps mort par les vivants révèle une sorte d’indifférenciation au travers de leur regard. Comme le reste de l’humanité, les Israélites manifestent une sorte de rattachement à la vie394.

À partir de ces mots, on voit que « la manière de mourir, la mort et sa conséquence se côtoient dans l’espace d’un même terme. La profondeur sémantique mise au jour impose d’emblée des visions et des images du corps, de la vie et de la mort étroitement mêlés. Ce qui précède la mort, c’est-à-dire l’état de faiblesse, de dessèchement, caractérise aussi le mort. Tomber, être entrainé vers la terre et la mort, distingue un état de fragilité. S’acheminer vers la ruine, la destruction, signifie être en direction de la fin, la mort, qui est elle-même une ruine, un état de destruction ». Les mots qui signifient cadavre « ont trait à l’ensemble des états qui précèdent la mort, la manière de mourir, la mort et ses conséquences physiques, que le regard des Judéens perçoit avec acuité, clairvoyance et pénétration »395. Voilà les termes concernant la mort, les morts chez les Israélites, et leur perception.

1.1.1.2. Les termes qui expriment le deuil

« À l’annonce de la mort, les Judéens manifestent désolation et souffrance par des signes et des rites, dont l’énergie et la vigueur répondent à l’intensité et à la violence du bouleversement qui les envahit. »396 Ces rites sont observés par les parents du défunt, ceux qui assistent à la mort et aux funérailles397. Ez 24, 16-17 et Lm 2, 10 énumèrent l’ensemble des rites de deuil dans l’Israël ancien. Le deuil s’exprime par le terme לבא ’abal398 « mettre ou être

392

Cf. Ibid., p. 267-268.

393 Cf. Jean-François RABEDIMY, op. cit., 1979, p. 173. 394

Cf. Hélène NUTKOWICZ, op. cit., 2006, p. 27.

395

Ibid., p. 64-65.

396 Ibid., p. 27. 397

Cf. Roland de VAUX, op. cit., 1976, p. 96.

398

Ce terme lba abal est employé au hiphil, forme causative en hébreux, par le prophète Ézéchiel quand le Seigneur ordonne le deuil le jour où Pharaon descend au shéol (cf. Ez 31, 15). Il est aussi employé comme expressions imagées ; Isaïe et Osée évoquent le pays et la terre en deuil (cf. Is 33, 10 ; Os 4, 3) ; Amos dépeint la

en deuil », qui est aussi appliqué à l’ensemble de ses manifestations extérieures (cf. Gn 37, 34 ; 50, 10 ; Dt 34, 8 ; 2S 13, 31. 37) et se rattache surtout à l’apparence et au respect d’attitudes et de pratiques analogues pour les humains et les divinités associées à la végétation399.

En hébreu, cette expression désigne deux réalités différentes. Dans sa première acception, le verbe, le substantif et l’adjectif se rapportent à l’observation des rites de deuil sous leur aspect réel et symbolique. Au hitpaël, forme réfléchie et intensive en hébreu, le verbe est utilisé dans des expressions qui signifient prendre ou être en deuil400. Ainsi Gn 37, 34, Jacob porte longtemps son deuil en apprenant la mort de son fils Joseph alors que celui-ci n’était pas encore mort mais vendu par ses frères en Egypte. En 1S 15, 35-16, 1, Samuel était en deuil pour le roi Saül alors que celui-ci n’est pas encore mort. Jephté, après avoir promis de livrer à Dieu en holocauste la première créature qui sortira de sa maison en cas de victoire, voit venir sa fille à sa rencontre et devance les rites de deuil (cf. Jg 11, 34-35). Le prophète Isaïe porte le deuil pendant trois ans afin de servir de signe et de présage (cf. Is 20, 2-3). Cela peut signifier un acte prophétique et symbolique de deuil401.

L’expression םירצמ לבא ’abel miserayim « deuil de l’Égypte ou des Égyptiens » montre que celui-ci est gravé dans la mémoire collective des fils d’Israël. Le deuil comme pour un fils unique évoqué en Jr 6, 26 et en Am 8, 10 exprime le caractère tragique et émouvant de l’évènement festif rattaché au souci de la lignée et de la mémoire transformé en jour de deuil à l’annonce d’un malheur.

Des verbes témoignent de l’affliction dans l’Israël ancien : הכב bakah « pleurer », קעז za’aq « crier de douleur », דפס saphad « célébrer le deuil, pleurer un mort, gémir », ללי yalal « pousser des hurlements », המד damah « répandre des larmes », םמד damam « rester sans voix »402.

הכב bakah décrit les lamentations exprimées avec la bouche et la voix. Joseph l’a fait à la mort de son père Jacob (cf. Gn 50, 1), David lors de la mort de Saül, de Jonathan (cf. 2S 1, 12) et d’Abner (cf. 2S 3, 32). Il peut exprimer des pleurs dont le motif n’est pas le deuil, comme par exemple émotions fortes (cf. 1S 1, 8), prière (1S 1, 10), joie (cf. Gn 29, 11), colère (cf. Jg 14, 16), des raisons religieuses (cf. 2R 20, 3), ruse (cf. Jr 41, 16). Quand il décrit les pleurs des femmes de Jérusalem pour Tammuz (cf. Ez 8, 14) et ceux de Rachel pour ses enfants (cf. Jr 31, 15), ce verbe הכב bakah est employé au piel pour souligner l’aspect intensif de l’événement.

Le mot קעז za’aq évoque les pleurs, les cris bruyants et la détresse proche du désespoir. Il est employé dans le récit du fléau de la mort des premiers-nés en Egypte pour exprimer

terre en deuil comme pour un fils unique (Am 8, 10). En Lm 2, 8, les murs et les remparts de la cité sont en deuil.

399

Cf. Hélène NUTKOWICZ, op. cit., 2006, p. 28-29. Za 12, 11 décrit un deuil aussi grandiose que celui pour Hadad Rimmôn, dans la plaine de Megiddôn. On peut le comparer avec le deuil des femmes de Jérusalem qui pleurent sur Tammuz, une divinité assyro-babylonienne de la végétation. Cette divinité est supposée morte à la fin des récoltes et de nouveau en vie au retour des saisons des pluies (cf. Ez 8, 14). Le deuil des divinités mourantes et renaissantes semble commander des rites analogues.

400

Cf. Hélène NUTKOWICZ, op. cit., 2006, p. 28.

401 Cf. Ibid., p. 28-29. 402

l’immense chagrin du Pharaon et des Egyptiens dans ce fléau (cf. Ex 12, 30), pour manifester le chagrin de David en apprenant la mort de son fils Absalom403. Quelquefois, ce verbe est employé comme invocation à Dieu sous forme de cri de détresse et de lamentation pour les morts (cf. Ex 2, 24 ; 3, 7 ; Nb 20, 6).

L’expression ללי yalal « pousser des hurlements » exprime une clameur bouleversante. Il apparaît dans des textes prophétiques qui annoncent des catastrophes ou des malheurs pour un pays entier. Il n’est pas employé dans l’Ancien Testament pour le deuil des personnes404. Prenons deux exemples de ce terme dans les livres prophétiques pour exprimer un malheur pour un pays ou un peuple. En Is 23, 1, le prophète Isaïe annonce la destruction de Tyr ; et en Jr 25, 36, on voit l’annonce d’une catastrophe pour Juda exprimé par son chef.

L’expression du deuil dans le cadre des pleurs est quelquefois difficile à distinguer de celle de la prière et des lamentations cultuelles. Ainsi le peuple d’Israël éclate en sanglots en 1S 11, 4 à l’annonce faite par les messagers de Yabesh aux gens de Gibéa. Il s’agit des pleurs liés au désastre mais aussi peut-être d’un appel à Dieu pour leur épargner ce malheur. Après l’annonce du raid des Amalécites à Çiqlag, David et ses compagnons élèvent la voix et pleurent jusqu’à ce qu’ils n’aient plus la force de pleurer (cf. 1S 30, 4), peut-être dans l’espoir d’obtenir l’intervention divine pour leur porter secours. Les supplications des enfants d’Israël (cf. Jr 3, 21) et d’Éphraïm (cf. Jr 31, 19) envers Dieu se changent en sanglots.

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