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3. LES DESTINATAIRES ET L’ORIGINALITÉ DU RASAHARIAÑA

3.1. ZANAHARY OU DIEU CRÉATEUR

3.1.3. L’être du Zanahary pour les Malgaches

Pour les Malgaches comme pour tous les hommes, l’Être suprême est inaccessible dans son essence. On ne saurait dire ce qu’est Zanahary dans ses profondeurs intimes, mais seulement ce qu’il leur paraît être. Leurs attributs divins sont les différents aspects sous lesquels la Divinité se présente à leur esprit. La physionomie de Zanahary leur apparaît comme un ensemble de perfections en relation avec le monde physique mais le concept qui s’en dégage est analogue à l’idée chrétienne de Dieu320.

Les Malgaches présentent Zanahary comme fort ancien, antérieur aux réalités du monde, mais la notion d’éternité n’apparaît pas cependant dans leur pensée321. On peut dire dans ce cas que ce Dieu est à l’origine même du temps. Zanahary est éternel, saint, Être suprême, en tant que Créateur, il est provident et omniprésent322.

Zanahary habite dans le haut, ambony, dans le ciel, any an-danitra, à une distance inaccessible. « A monter jusqu’à lui on aurait le vertige » disent les Malgaches. L’espace, comme le temps, est le cadre des choses matérielles, l’esprit humain ne saurait s’en affranchir. Au-delà de l’espace il y a un être qui le domine et qui en est la cause ; on ne saurait parvenir jusqu’à lui. C’est la notion de l’immensité de Dieu chez les Malgaches323.

Zanahary regarde d’en haut et il voit ce qui est caché « Mahita ny miafina », dit un proverbe malgache. Cela signifie que Zanahary a une vue distincte du présent, du passé et du

317

Cf. Ibid., p. 159-160.

318 Cf. Ibid., p. 129 ; cf. Lars VIG, op. cit., 2001, p. 20-21; Salomon RAHATOKA « Pensée religieuse et rituels

Betsimisaraka », dans Jean-Pierre DOMENICHINI, Jean POIRIER, Daniel RAHERISOANJATO (dirs.), op. cit., 1984, p. 43.

319 Cf. RAKOTOMALALA Malanjaona, BLANCHY Sophie, RAISON-JOURDE Françoise, op.cit., 2001, p. 45-46. 320

Cf. Pierre COLIN, op. cit., 1959, p. 65-66.

321

Cf. Ibid., p. 66.

322 Cf. Robert JAOVELO-DZAO, op. cit., 1996, p. 218-224; cf. aussi Lars VIG, op. cit., p. 21. 323

futur. Il embrasse le mouvement, synthèse du temps et de l’espace. Il est donc omniprésent, tout-puissant et omniscient. Il unit en soi ce que le temps disperse. Zanahary dispose des hommes pour la vie et pour la mort. Il sait bien réaliser les desseins immuables de sa sagesse. Cette sagesse de Zanahary, qui découle de sa toute-puissance et de son omniscience, constitue un trait de sa personnalité souveraine. Zanahary, bien qu’infiniment supérieur aux hommes, leur ressemble en quelque mesure puisqu’il leur apparaît comme le maître intelligent et libre de l’univers324

.

Zanahary est masina, saint ou sacré. Il possède le degré suprême de la force sainte, hasina, dont il est la cause et qui fait échec à la force mauvaise, mosavy, c’est-à-dire sorcellerie. A part les hommes marqués par le destin, ou devenus mpamosavy au cours de leur existence, tous les morts sont masina car ils sont tous à Zanahary. Certains d’entre eux sont devenus des zanahary. D’autres hommes sont même masina de leur vivant et participent déjà à la divinité. Pour la créature, être masina c’est être associé à Dieu325.

Le hasina de Zanahary est le maintien de sa supériorité et de son éloignement de toute créature. L’Être suprême devient alors inaccessible. Il est trop haut, trop éloigné pour que les humains puissent entrer en relation directe avec lui. Les divins Ancêtres seront les intermédiaires. Et les hommes revêtus d’un hasina exceptionnel se rapprochent de Zanahary transcendant. Les souverains malgaches, par exemple, planaient au-dessus de leurs sujets. Et aujourd’hui encore, les prérogatives dont jouissent les ombiasy les font apparaître comme des êtres distincts, en vertu de la supériorité qui leur est attribuée, et renforcent la limite qui les sépare des autres hommes326.

Le hasina de la Divinité suprême n’interdit pas cependant toutes les relations avec les hommes. Zanahary n’est pas un Dieu mort, relégué dans l’éloignement et le silence de l’infini. Les Malgaches disent et croient que Dieu est juste, marina. Ses sentences sont comme le soleil couchant, elles visitent toutes les portes. Zanahary ne fait pas acception de la personne et donne à chacun ce qui lui revient. Ainsi, l’Être suprême se conforme à l’ordre établi par lui dans l’Univers. Les divers attributs de Zanahary semblent se confondre et se résumer dans le mot hasina. Le Malgache n’éprouve pas le besoin de comprendre Dieu dans sa diversité, son esprit synthétique le porte à le saisir dans son unité indissoluble327.

Partout à Madagascar, l’idée de Dieu apparaît aussi avec et dans les rites du culte des Ancêtres. Zanahary en tant que Dieu suprême et unique est principe universel de toutes choses. Il est situé en dehors de toutes les séries de causalités historiques ou comme préexistant. Cette idée d’un Être suprême dans les termes Andriamanitra, Andriananahary, Zanahary, est vue à travers la religion malgache qui est constituée d’un culte naturiste, doublé d’un culte des Ancêtres. Crémazy note que les Malgaches sont monothéistes. Ils croient en un seul Dieu, Zanahary, créateur de l’univers, conservateur, juste et bon et, jusqu’à un certain point, rémunérateur. Mais ils semblent dans la pratique s’inquiéter peu de cet Etre Suprême. Ce Dieu est donc unique, tout puissant, souverain et maître de l’univers328.

324

Cf. Ibid., p. 68; cf. Paul de VEYRIÈRES, KER-IZ (éd.), op. cit., 1967, p. 12 ; cf. J. A. HOULDER, M. H. NOYER (éd.),

op. cit., 1960, P. 3.

325

Cf. Pierre COLIN, op. cit., 1959, p. 69.

326

Cf. Ibid., p. 70.

327 Cf. Ibid., p. 70-71. 328

Dans le contexte culturel et mental, la lecture chrétienne des religions du monde par les missionnaires tend à affirmer aussi que l’idée d’un Dieu unique et d’un Dieu Créateur, est présente dans la pensée religieuse malgache. Le pasteur Rusillon montre par exemple que chez les Malgaches, on a vu l’existence d’un Dieu Supérieur et Suprême qui est l’origine de toute chose et à qui tout doit retourner en définitif329.

Pour des missionnaires et des laïcs chrétiens, et avec leurs apports, l’idée monothéiste est acquise dans la tradition malgache. Ce monothéisme, avec l’idée de création qui lui est propre, peut constituer le point de départ pour la prédication du message chrétien. Dès lors, si l’âme malgache est en partie chrétienne, il restera à faire disparaître l’autre partie, c’est-à-dire, la multitude de rites, d’usages superstitieux, d’idolâtries et d’autres croyances absurdes, dans l’ensemble desquelles le monothéisme original a sombré au cours des siècles. Donc l’affirmation d’un Dieu unique et Créateur, dans la tradition religieuse malgache, apparaît normale et rationnelle à des esprits pour lesquels elle était dans l’ordre des choses330.

Les Malgaches croient alors à un Etre Suprême ou Dieu qu’ils appellent en général Zanahary. Ce dernier en tant que Dieu est perçu comme Principe éternel et Maître du temps, mandrakizay, et comme universel dans l’espace : Zanahary avaratra, atsimo, andrefana, atsinanana, c’est-à-dire présent au nord, au sud, à l’ouest et à l’est. Il domine le silence des vallées et les nuits obscures, il est partout où l’homme se croit seul, il voit tout et connaît tout, donne la vie et la reprend, il se trouve au-dessus des puissances perçues comme sacrées. Il est appelé à tout moment de la vie quotidienne. Son nom est parfois une composante du nom propre adopté par les hommes, noms théophores. Donc ce Zanahary qui est le nom de Dieu chez les Malgaches, a l’idée de Dieu unique avec une multitude d’attributs qui n’arrivent pas à l’enfermer dans une seule définition331

.

Les formules techniques et populaires dans les liturgies comme les couples Zanahary- homme et Zanahary-femme, Zanahary-paternel et Zanahary-maternel, Terre et Ciel, Lune et Soleil, manifestent l’idée de fécondité et de source de vie en Zanahary332

. Ces mêmes formules sont l’expression de la force vitale créatrice de Zanahary. Par conséquent, la fécondité de la nature, son développement et sa parenté trouvent leur source primordiale et puisent leur vitalité dans la fécondité divine333. Zanahary est considéré dans ce cas comme l’expression de la plénitude et de la perfection divine qui se déploie dans un couple ou dans une bipolarité dialectique. Toutes les richesses de l’homme, lehilahy, et toutes les valeurs de la femme, vehivavy, se trouvent à la fois condensées, en état de perfection et de plénitude, en Zanahary. Toute la vitalité de la nature trouve sa source et son principe en lui. La divinité est à la fois géniteur et génitrice, père et mère334.

En partant de l’expérience de la fécondité dans la nature, signe universel du dynamisme interne de celle-ci, l’intelligence malgache conçoit l’Etre suprême comme la source de cette

329 Cf. Ibid., p. 48-49. 330 Cf. Ibid., p. 56. 331 Cf. Ibid., p. 81 et 70. 332

Cf. Robert JAOVELO-DZAO, op. cit., 1996, p. 223.

333 Cf. Ibid., p. 224. 334

fécondité elle-même, comme la source primordiale de la vie et comme la vie elle-même. Ce Dieu est donc proche du Dieu-Relation-Trinité et Amour du christianisme335.

R. Dubois montre clairement que pour les Malgaches, Zanahary est vraiment le seul Créateur et maître de l’aina ou la vie de l’être humain ou de toute sorte de vie ; et ce Zanahary est inséparable de cette vie dont il est l’auteur336.

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