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2. ANALYSE DU RITE DU RASAHARIAGNA

2.4. LES CAUSES INDIRECTES DU RITE

2.4.1. L’amour de la vie ou l’attachement à la vie

Derrière le Rasahariaña et les autres cultes des Ancêtres à Madagascar, il y a l’amour de la vie, l’attachement à la vie humaine. Il faut préserver à tout prix cette vie. En organisant le Rasahariaña, les Tsimihety veulent préserver la vie à tout prix et autant que possible. Ils veulent vivre aussi longtemps que possible. La raison c’est que souvent en demandant le Rasahariaña, les défunts font tomber malade un homme vivant membre de sa famille. Et la maladie peut conduire à la mort si elle n’est pas guérie. Pour que la maladie soit guérie et pour pouvoir rester en vie aussi longtemps que possible, la famille du malade organise le Rasahariaña pour donner la part du demandeur et on sera quitte, si la maladie est le fruit d’une revendication de ce Rasahariaña.

Cet amour de la vie et cet attachement à la vie de la part des Tsimihety et des Malgaches en général est vue à travers des souhaits d’une longue vie pour les parentés, les consanguins, les prochains, les amis et les autres personnes proches de la famille. On le voit aussi à travers

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des chansons malgaches. Cet amour de la vie fait l’unité des Malgaches. La non-violence des Malgaches est aussi dans cette ligne257.

Une maxime malgache qui exprime cet attachement à la vie de la part des Malgaches dit « Lahy tokana ny aina ka arovako », ce qui veut dire que la vie est unique pour chaque personne, alors il faut bien la garder et la soigner. Cet adage montre la valeur primordiale de la vie pour les Malgaches, le souci de la soigner. Il souligne le souci et le désir de rester en vie pendant longtemps. Les Tsimihety ne sont pas en reste pour cet amour de la vie.

L’organisation du rite du Rasahariaña qui est donc une manière de donner ou de partager les biens avec les morts est faite en vue de préserver la vie, de rester en vie autant que possible, de la protéger des esprits maléfiques et de la vivre en harmonie avec les Ancêtres258. En organisant le Rasahariaña, on reçoit l’aide des Ancêtres pour la santé, le bonheur et la richesse. Ces dernières sont des valeurs qu’on demande aux Ancêtres au cours du Rasahariaña. Dans ce cas, les Ancêtres ont la charge de sauvegarder la vie, ils jouent ce rôle en assurant d’accorder à leurs descendants vivants les biens, à savoir la santé, la fécondité, la prospérité et le bonheur, qui sont nécessaires au bon fonctionnement de la vie259.

En donnant des biens aux morts et aux Ancêtres par l’organisation du Rasahariaña, les Tsimihety aident ces Ancêtres, se souviennent d’eux. Ce souvenir des vivants pour les Ancêtres est une de condition de leur existence. En plus, ce qu’on donne aux morts par le Rasahariaña leur sert pour vivre au-delà dans le monde des Ancêtres, cela leur sert surtout à devenir même Ancêtres ou Razana. Ce qui veut dire que cela leur donne la vie. Alors la vie que les Malgaches aiment tellement n’est pas seulement la vie terrestre mais aussi la vie dans l’au-delà, la vie des Ancêtres. Cet amour de la vie dans l’au-delà est l’une des raisons de la construction des tombeaux monumentaux chez les Merina du centre de Madagascar.

Il y a donc une entraide mutuelle entre les vivants et les Razana ou les Ancêtres défunts. L’aide des vivants pour les Razana est tout d’abord le souvenir et les dons faits à travers le Rasahariaña pour les Tsimihety et autres ethnies qui le font et qui font des rites semblables. L’aide des Razana pour les vivants est d’accorder la santé, le bonheur et de rendre prospère les entreprises de la vie quotidienne. Les Razana aident aussi en veillant sur leurs descendants, et ils sont des intermédiaires entre Zanahary et les hommes vivants.

Un autre aspect de l’amour de la vie dans le Rasahariaña, c’est qu’en donnant des biens aux morts on leur donne de quoi vivre dans l’au-delà, dans le monde des Razana. Sans ces moyens, les morts ne peuvent pas vivre dans ce monde des Ancêtres. Les Tsimihety comme l’ensemble des Malgaches croient à la survie, et ils veulent que les membres de leur famille déjà morts accèdent facilement à cette vie dans l’au-delà. Par le Rasahariaña, les Tsimihety font accéder leurs morts à la survie sereine au monde des Razana.

Cet amour de la vie rejoint la volonté de Dieu pour nous car notre vie vient de Dieu, et il faut bien la soigner. Puisque Dieu nous donne sa vie cela montre son amour pour nous car nous avons quelque chose de lui et nous lui appartenons puisque notre vie forme aussi notre être. Le livre de la Genèse prouve cette origine divine de notre vie. Voici ce qui y est écrit à

257 Cf. Patricia RAJERIARISON & Sylvain URFER, Madagascar, (Idées reçues, 67), Le Cavalier Bleu, Paris, 2010, p.

115 ; cf. aussi Robert DUBOIS, L’identité malgache. La tradition des Ancêtres, traduit du malgache par Marie- Bernard RAKOTORAHALAHY, Karthala, Paris, 2002, p. 89 et 129.

258 Cf. Albert Vianney MUKENA KATAYI, op. cit., 2007, p. 104. 259

ce propos : « Alors Yahvé Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2, 7 ; cf. Qo 3, 21 ; 12, 7 ; Sg 15, 8 et 11 ; Ps 104, 30 ; Jb 33, 4 ; 34, 14-15). Tous ses versets expriment l’origine divine de notre vie car celle-ci vient du souffle de Dieu. Les Malgaches reconnaissent cette origine divine de la vie. Pour les Tsimihety et pour beaucoup de Malgaches la vie de l’homme vient de Zanahary puisque Celui-ci a tout créé et est origine de toute chose.

L’importance de la vie de l’homme devant Dieu n’est pas seulement à cause de l’origine divine de sa vie mais aussi de la création de l’homme par Dieu à son image et à sa ressemblance. C’est pourquoi il est aussi écrit dans la Genèse : « Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre. » Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. » (Gn 1, 26-27 ; cf. Gn 5, 1-2 ; 9, 6 ; Si 17, 3 ; Sg 2, 23 ; Col 3, 10). Donc la mise en valeur et l’amour de la vie par les Tsimihety rejoint la volonté de Dieu vue dans la Bible. Et le Rasahariaña est l’un des rites par lesquels les Tsimihety manifestent leur leur amour pour cette vie. Ce rite est alors une valorisation malgache de la vie.

Cet amour de la vie est aussi une raison pour les Africains de s’attacher à leur religion traditionnelle et d’accomplir leurs devoirs envers leurs Ancêtres. Les différents cultes des Ancêtres africains manifestent cet amour de la vie. La vie est donc sacrée pour les Tsimihety, l’ensemble des Malgaches et pour les Africains car elle est un don reçu de Dieu et médiatisé par les Ancêtres. Elle doit être respectée et transmise à des générations futures260.

L’amour de la vie pour les Malgaches est exprimé par une autre maxime célèbre qui dit : « Mamy ny aina : douce ou agréable est la vie »261. C’est pour cela que l’aina ou la vie est l’une des valeurs communautaires qui sont chères aux Malgaches avec le respect de Zanahary, du Fihavanana et des Razana262. Cet amour de la vie de la part des Malgaches et des Tsimihety manifesté à travers le Rasahariaña est marqué aussi par la peur de mourir, de la mort et des morts.

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