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INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE

1. APERÇUS DE RITES ET DE PRATIQUES CONCERNANT LES DÉFUNTS

1.2. LES PRATIQUES D’INHUMATION, LES OFFRANDES ALIMENTAIRES, LE MONDE DES MORTS ET LEUR MÉMOIRE

1.2.2. Le monde des morts : le Shéol

Pour les Israélites, la mort est un terme, une rupture mais elle n’est pas un anéantissement absolu447. C’est pour cela que les morts ont un monde, un lieu. C’est ce lieu qui fait l’objet de notre étude ici. « Les auteurs de l’Ancien Testament sont quasiment unanimes sur le lieu de destination de tous les défunts, quelle que soit l’origine, hébraïque ou étrangère. Le terme le plus fréquemment rencontré pour définir cet endroit est le shéol, dont

442 Cf. Jacques BRIEND et Michel QUESNEL, op. cit., 2001, p. 115. 443

Cf. Roland de VAUX, op. cit., 1976, p. 98.

444

Cf. Christophe NIHAN, « La polémique contre le culte des ancêtres dans la Bible hébraïque » dans Jean- Marie DURAND, Thomas RÖMER et Jürg HUTZLI, Les morts et les vivants, (OBO, 257), Academic Press Fribourg, Fribourg, 2012, p. 157.

445

Cf. Roland de VAUX, op. cit., 1976, p. 98.

446 Cf. Id. 447

l’étymologie reste très contestée »448. Ce terme « shéol » est un nom propre au féminin. Il est un lieu souterrain où les défunts mènent une autre existence.

L’appellation du shéol pour le monde des morts semble spécifique à la Bible. En dehors des textes bibliques, shéol apparaît une seule fois dans les papyrus araméens d’Eléphantine. Son étymologie n’a pas de parallèle en akkadien et ougaritique. Elle reste très discutée449.

Certains spécialistes rapprochent ce substantif shéol de la racine האש « sha’ah » qui signifie « être désert, dévasté, chaotique ». Selon cette racine de האש sha’ah, le shéol serait une zone caractérisée par sa vacuité, son désordre, sa désolation. Il correspond dans ce cas alors à l’arallû des Mésopotamiens et à l’Hadès des Grecs450. Cette étymologie montre peut- être qu’à l’origine ce terme, shéol aurait été un nom d’une divinité.

De nombreux mots dans la Bible sont en pratique synonymes de shéol selon leur contexte451. Par exemple la tombe (cf. Gn 23, 4. 9 ; Ps 88, 12) ; la fosse (cf. Is 38, 18 ; Ps 28, 1 ; 30, 4 ; etc.) ; l’abîme et le gouffre, ou lieu de la perdition (cf. Ps 88, 12 ; Jb 26, 6 ; Pr 15, 11 ; etc.), la fosse où l’on s’enfonce (cf. Ps 7, 16 ; Is 38, 17 ; Ps 16, 10 ; 49, 10).

Le shéol est comparé à d’autres réalités pour manifester le monde des morts. Tout ceci révèle la multiplicité des termes employés pour décrire le lieu de séjour des trépassés452. À titre d’exemple les profondeurs (cf. Is 51, 10 ; Ps 130, 1), l’océan primordial (cf. Ps 107, 26), les abîmes (cf. Ps 106, 9), les eaux grandes et tumultueuses, et leurs vagues (cf. Jon 2, 4 ; Ps 90, 3 ; Qo 3, 20 ; Is 26, 19 ; Dn 12, 2). Le psaume 88 emploie ces termes : « Tu m’as mis au tréfonds de la fosse, dans les ténèbres, dans les abîmes ; sur moi pèse ta colère, tu déverses toutes tes vagues. (…). Parle-t-on de ton amour dans la tombe, de ta vérité au lieu de perdition ? Connaît-on dans les ténèbres tes merveilles et ta justice au pays de l’oubli ? » (cf. Ps 88, 7-8. 12-13).

Pour d’autres, le shéol est un monde souterrain, un monde de poussière et d’obscurité, que les rédacteurs décrivent généralement en des termes déprimants. L’Ancien Testament parle d’un monde sans Dieu (cf. Ps 88, 7-8. 12-13). Dans ce cas, la mort et la descente au shéol mettaient le défunt hors d’état d’honorer Yahvé car le Dieu d’Israël est un Dieu de la vie, non de la mort, une divinité ouranienne plutôt que chthonienne453.

Selon R. Martin-Achard, ce shéol se trouve sous la terre ; le lieu d’en bas, à l’extrême opposé du ciel, où habite le Dieu vivant, selon les conceptions cosmologiques d’Israël (cf. Ps 63, 10 ; 86, 13 ; 88, 7 ; 139, 5 ; Am 9, 2 ; Jb 11, 8 ; etc.). Cet auteur évoque même la possibilité de l’existence d’un espace qui soit réservé au plus profond du shéol pour accueillir les morts sans sépulture comme les incirconcis, les meurtriers, les suppliciés, les enfants morts en bas âge, les tyrans et autres454 ; c’est une sorte de trou au fond de l’abîme (cf. Is 14, 15 ; Ez 28, 10 ; 31, 18 ; 32, 23). Descendre au shéol peut signifier mourir (cf. Gn 37, 35 ; 42, 36 ; 1R 2, 6 ; Ps 28, 1 ; 30, 4 ; 88, 5), comme dans d’autres textes, retourner ou descendre

448 Daniel FAIVRE, op. cit., 2000, p. 268, cf. aussi Hélène NUTKOWICZ, op. cit., 2006, p. 209. 449

Pour la discussion sur cette étymologie du shéol, cf. Hélène NUTKOWICZ, op. cit., 2006, p. 209-213.

450

Cf. Robert MARTIN-ACHARD, La mort en face selon la Bible hébraïque, (Essais Bibliques, 15), Labor et Fides, Genève, 1988, p. 72-73.

451

Cf. Ibid., p. 73.

452

Cf. Id.

453 Cf. Daniel FAIVRE, op. cit., 2000, p. 270, cf. aussi Hélène NUTKOWICZ, op. cit., 2006, p. 220-221. 454

dans la poussière (cf. Gn 3, 19 ; Ps 90, 3 ; 104, 29 ; Jb 10, 9 ; 34, 15 ; Qo 3, 20). Les défunts sont les habitants de la poussière (cf. Is 26, Dn 12, 2).

Le shéol n’est pas un lieu de punition dans les mentalités israélites. Tous les hommes y descendent et y ont des conditions d’existence globalement les mêmes (cf. Jb 3, 19). Cela veut dire qu’à l’époque, les actions bonnes et mauvaises étaient jugées du vivant de leurs auteurs. L’abondance de biens, la descendance nombreuse et une longue vie étaient perçues comme la récompense des actions bonnes ; tandis qu’une existence de souffrance, la perte des enfants et l’esclavage étaient considérées comme la sanction des actions mauvaises. La mort était alors perçue comme la réconciliation de tous les hommes, riches et pauvres, bons et mauvais. Le shéol est pris comme un lieu de repos (cf. 1S 28, 15)455.

Cependant certains passages révèlent l’existence de différences parmi les habitants du séjour des morts dans le shéol. Cela montre l’évolution de la pensée israélite sur le shéol. Selon Is 32, les trépassés seraient groupés par nations ; d’après Is 14, les personnages importants durant leur vie terrestre conserveraient en quelque sorte leur dignité dans l’au-delà. Certaines catégories de défunts privés de sépulture pour des raisons variées, seraient alors logées à part (cf. Ez 32)456.

L’obscurité et la poussière sont deux éléments qui caractérisent le shéol. Les ténèbres recouvrent le shéol et les hôtes de celui-ci séjournent au sein d’une terre totalement desséchée, qui leur sert de nourriture. Le lien entre l’obscurité ou la poussière et le shéol est étroit. À cause de ce lien, le premier sert souvent pour désigner le second. Dans plusieurs passages, le shéol est appelé comme la poussière, les ténèbres, pays de ténèbres et de l’ombre457.

Le sort des défunts dans ce lieu est pitoyable et désagréable. La Bible évoque le shéol à travers des images comme une sorte de sous-existence, le contraire d’une vie riche et comblée, exprimé par des termes négatifs, comme les ténèbres et la poussière. Le shéol est alors une sorte de non-monde qui se confond plus ou moins avec le chaos originel et ses manifestations diverses458. Il est une terre de silence (cf. Ps 94, 17 ; 115, 17) et d’oubli (cf. Ps 88, 13), un lieu sans mémoire (cf. Qo 9, 5s), sans communication entre ses hôtes et Dieu (cf. Is 38, 11. 18 ; Ps 6, 6 ; 30, 10 ; 88, 6. 11-13).

À partir de l’Exil, avec l’imposition du monothéisme, une nouvelle vision du shéol commence à apparaître, le monde des morts ne constitue plus un monde à part459. Selon quelques livres tardifs, en particulier celui de Daniel, un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle (cf. Dn 12, 2-3 ; 2M 7, 9 ; Ez 37, 10). Ce passage de Daniel qui prédit le mauvais sort des persécuteurs du peuple de Dieu prévoit la résurrection des justes.

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