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L’INTERDICTION DE LA NÉCROMANCIE ET DU CULTE DES MORTS DANS LA BIBLE

INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE

2. LES CRITIQUES À LA LUMIÈRE DU DIEU DES VIVANTS

2.3. L’INTERDICTION DE LA NÉCROMANCIE ET DU CULTE DES MORTS DANS LA BIBLE

Nous localisons surtout notre travail dans le Pentateuque. Nous présenterons d’abord les interdictions de la nécromancie et des cultes des morts dans le Lévitique, et enfin celles du Deutéronome.

2.3.1. L’interdiction de la nécromancie et du culte des morts dans le Lévitique

Le Lévitique comme le Pentateuque dans lequel il se trouve s’offre à la lecture et à l’analyse sous l’aspect de la loi et de l’histoire. Sa caractéristique dominante est le rôle dévolu aux prêtres662. Il appartient à la législation sacerdotale. On peut le diviser en cinq parties : la première partie présente la torah des sacrifices (1-7) ; la deuxième est l’institution du sacerdoce lévitique et l’inauguration solennelle du culte au sanctuaire du désert (8-10) ; la troisième montre les conditions de pureté de l’assemblée liturgique israélite (11-16) : la quatrième constitue la Loi de sainteté (17-26) ; et le chapitre 27 est un appendice qui indique la valeur pécuniaire d’un objet ou d’une personne consacré à Yahvé663.

Puisque le Lévitique est dans la tradition sacerdotale, disons quelques mots sur cette tradition. Cette dernière provient du milieu des prêtres au retour de l’exil babylonien. Elle désigne un ensemble complexe de prescriptions, qui concernent essentiellement la pratique de différents rites, que l’on trouve surtout dans le Lévitique et dans une partie des Nombres (les chapitres 1-10, 15, 19 et 26-36), ainsi que dans quelques passages de l’Exode comme Ex 12 et

660

Cf. Ibid., p. 261-262.

661 Cf. Ibid., p. 262. 662

Cf. Paul HARLÉ et Didier PRALON, La Bible d’Alexandrie t. 3 : Le Lévitique, Cerf, Paris, 1988, p. 14-15.

663

Cf. Adrian SCHENKER, “Lévitique”, dans Thomas RÖMER, Jean-Daniel MACCHI, Christophe NIHAM (éds.), op.

Ex 31, 12-17. Ces prescriptions ont été vraisemblablement rédigées pendant l’époque perse au Temple de Jérusalem par des scribes qui étaient membres ou clients des principales familles sacerdotales qui contrôlaient ce sanctuaire. En général, on peut distinguer trois grandes étapes dans la composition de cette législation. La première collection est formée par les prescriptions rituelles en Lv 1-16. La deuxième est la Loi de sainteté en Lv 17-26. Et la troisième forme un ensemble de prescriptions rituelles complémentaires en Nombres664. Notre texte est dans la Loi de sainteté (Lv 17-26).

Trois groupes de passages du Lévitique présentent l’interdiction de la nécromancie et des cultes des morts : le premier est Lv 19, 27-28 ; le deuxième est Lv 19, 31 ; et le dernier est Lv 20, 6. 27.

2.3.1.1. L’interdiction du culte des morts en Lv 19, 27-28

Déjà dans sa relation avec la divination, le Lévitique ne témoigne que du mépris à l’égard de cette pratique. Non seulement le Lévitique ne mentionne que très rarement la divination dont fait partie la nécromancie, il ne la mentionne que pour la condamner665. Voici notre texte : « Vous n’arrondissez pas le bord de votre chevelure et tu ne couperas pas le bord de ta barbe. Vous ne vous ferez pas d’incision dans le corps pour un mort et ne vous ferez pas de tatouage. Je suis Yahvé ». (Lv 19, 27-28). Ces versets sont dans la partie qui constitue la Loi de sainteté. Comme nous le voyons, ce texte est une interdiction formelle et catégorique de la pratique de la divination et de l’incantation. La sainteté qui est le sujet principal de cette partie du Lévitique n’est pas mentionnée, mais ces versets nous révèlent que la sainteté de Dieu exclut toute forme d’impureté dont le cadavre (le mort ou la mort) est la référence principale. S’abstenir des rites dans lesquels les morts sont consultés ou adorés est donc indispensable pour rester dans la sainteté666.

Ces versets 26-28 constituent une succession d’interdits au nombre de sept. À côté d’interdictions plus globales de la pratique de la divination (שחנ nahash) et de l’évocation des morts (ןנע ‘anan) (cf. Dt 18, 10-14 ; 2R 17, 17 ; 21, 6 ; Is 2, 6 ; Mi 5, 11 ; Ex 22, 17), les autres portent sur le fait de manger avec du sang, de se couper la chevelure sur le pourtour du crâne, de couper un coin de la barbe, se faire des incisions (cf. Dt 14, 1 ; Jr 16, 6 ; 41, 5) et de se mettre des tatouages667.

La Loi de sainteté dans laquelle s’inscrit notre verset est datée de la seconde moitié du 5e siècle. C’est dans cette Loi que l’on rencontre pour la première fois dans la tradition sacerdotale une critique et une interdiction de certains rites liés au culte des ancêtres, à la nécromancie et à la pratique de la divination. Même dans cette Loi de sainteté, cette critique demeure restreinte parce que ses auteurs reprennent les interdits du Deutéronome, qui sont

664

Cf. Christophe NIHAN, op. cit., 2012, p. 158-159.

665 Cf. Mary DOUGLAS, L’anthropologue et la Bible. Lecture du Lévitique, traduit par Jean L’Hour, Bayard, Paris,

2004, p. 136.

666

Cf. Jacob MILGROM, op. cit., 2000, p. 1684.

667 Cf. Alfred MARX, Lévitique 17-27, (Commentaire de l’Ancien Testament, III B), Labor et Fides, Genève, 2011,

dirigés contre les incisions rituelles en l’honneur d’un défunt et contre la consultation des ancêtres ou la nécromancie668.

Les versets 27-28 sont plutôt des interdictions concernant des pratiques pendant le deuil d’un mort. Ces rites de deuil sont interdits car ils sont probablement considérés comme entachés de paganisme. J. Milgrom rappelle que la tonsure interdite dans le verset 27 est définie par les rabbins comme une action qui consiste à égaliser l’arrière de l’oreille avec le front669. En Lv 21, 5, une prescription analogue fait penser que ces signes sont ceux du deuil. On peut le rapprocher aussi de rites connus en Arabie, en Libye et en Egypte, qui avaient des significations religieuses ; cela pourrait expliquer leur rejet et interdiction dans la Bible670.

Concernant ces pratiques, les cheveux symbolisent la force de vie de l’individu. On reconnaît le phénomène des mèches de cheveux portées dans les tombes ou mises sur les bûchers de l’Arabie préislamique et de la Syrie antique, ou encore amenées dans un sanctuaire comme offrande de consécration671. Les interdictions dans notre passage concernent des rites idolâtres. Or ces pratiques étaient ancrées dans la vie israélite (cf. Ez 7, 18, Mi 1, 16). C’est pourquoi la tradition deutéronomiste et sacerdotale limitaient les tonsures des prêtres (cf. Lv 21, 5; Ez 44, 20). Dans ce cas, il doit être clair que l’interdiction de se couper les cheveux et de se taillader pour les morts vise uniquement les prêtres (cf. Lv 21, 5), car ils sont consacrés à Dieu (Lv 21, 6). J. Milgrom mentionne que d’après Carmichael, la motivation deutéronomiste et sacerdotale de l’interdiction de l’élimination des poils et de lacération de la chair pour un mort (cf. Dt 14, 1) vise à séparer la vie de la mort672.

La deuxième partie du verset 27 qui interdit de couper le bord de la barbe se lit dans Lv 21, 5 au sujet des prêtres. Cependant, les deux interdictions ne sont pas équivalentes car les destinataires ne sont pas les mêmes. Pour tout Israël, il est interdit de se couper la barbe. Cette pratique était probablement une coutume en temps de stress émotionnel et d’angoisse, en particulier dans le deuil. On lit dans le livre d’Esdras : « À cette nouvelle, je déchirai mon vêtement et mon manteau, m’arrachai les cheveux et les poils de barbe et m’assis accablé. » (Esd 9, 3). Pour les prêtres, il est interdit de se raser la barbe, un acte délibéré, effectué pour des raisons idolâtriques, comme le faisaient les prêtres païens. Dans certaines sociétés anciennes, y compris Israël, la barbe était le symbole de la virilité, et sa mutilation était considérée comme une honte et un châtiment (cf. 2S 10, 4-5; Is 7, 20)673.

Prenant le singulier תאפ pe’at « le coin de ou le bord de » comme un collectif, les rabbins ordonnent qu’il y avait cinq bords sur la barbe: deux de chaque côté (sur la joue supérieure et inférieure) et la pointe674. Leur interprétation peut trouver un soutien dans la description d’un rite ougaritique de deuil dans lequel il est dit qu’il a coupé ses joues et la barbe675.

668

Cf. Christophe NIHAN, op. cit., 2012, p. 160.

669 Cf. Jacob MILGROM, op. cit., 2000, p. 1689. 670

Cf. Pierre BUIS, « Le Lévitique. La Loi de sainteté », CE 116 (2001), p. 27 ; cf. aussi Jacob MILGROM, op. cit., 2000, p. 1690.

671 Cf. Jacob MILGROM, op. cit., 2000, p. 1691. 672 Cf. Id. 673 Cf. Id. 674 Cf. Ibid., p. 1692. 675

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