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INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE

1. APERÇUS DE RITES ET DE PRATIQUES CONCERNANT LES DÉFUNTS

1.1. LES RITES DE DEUIL ET LES CÉLÉBRATIONS DES FUNÉRAILLES

1.1.2. Les soins donnés aux corps et les rites de deuil

Les soins donnés aux corps et les différents éléments de rites font partie des traitements post mortem de l’être humain accordés par les vivants aux défunts.

1.1.2.1. Les soins donnés aux corps et les éléments de rites de deuil

En ce qui concerne les soins donnés aux corps, la coutume de fermer les yeux des défunts (cf. Gn 46, 4) est à peu près universelle et s’explique probablement par l’assimilation de la mort au sommeil405. Les proches parents peuvent embrasser le cadavre (cf. Gn 50, 1). C’est ce qu’a fait Joseph à la mort de son père Jacob (Gn 50, 1). On signale aussi la probabilité d’une toilette funèbre mais cette pratique souffre d’un manque d’informations avant le Nouveau Testament (cf. Mt 27, 59 ; Jn 11, 44 ; 19, 39-40). Les épingles et les ornements retrouvés dans les tombes indiquent que les morts étaient enterrés vêtus, et Samuel, remontant du shéol drapé dans son manteau explique aussi cet enterrement avec vêtement406. D’après Ez 32, 27, les guerriers sont ensevelis avec leurs armes ; leurs épées sont mises sous la tête et leur bouclier sous le corps.

403

Cf. Ibid., p. 31-32.

404

Cf. Ibid., p. 32.

405 Cf. Roland de VAUX, op. cit., 1976, p. 93-94. 406

À l’exception de Jacob et de Joseph (cf. Gn 2-3. 26), l’embaumement n’est pas pratiqué en Israël. C’est une coutume empruntée à l’Égypte407. Le cercueil n’est non plus pas d’usage en Israël (cf. 2R 13, 21), celui de Joseph est encore une coutume égyptienne. On porte le cadavre sur une civière à l’époque (cf. 2S 3, 31 ; cf. aussi Lc 7, 14).

Concernant les rites de deuil, l’émotion ressentie à l’annonce de la nouvelle de la mort provoque les larmes et les pleurs de la part des parents, des amis et de tous les proches du défunt. Ces larmes et ces pleurs se manifestent sous diverses formes408. Ils sont les échos immédiats de la désolation face à la violence absolue de la mort. Ils constituent la réaction face à la mort chez tous les peuples et à toutes époques409. H. Nutkowicz note : « Les pleurs font partie des rites de deuil réel et symbolique et leur langage peut s’appliquer à des situations qui lui sont identifiées. Ils répondent à des règles précises de formes et de fond, expressions d’une émotion, d’un sentiment d’intense douleur, d’un devoir envers les morts, d’une manifestation sociale apparente, qui n’est pas toujours le reflet d’un véritable chagrin intérieur. »410.

D’après R. de Vaux411, déchirer ערק qar‘a ses vêtements est le premier geste des parents, des proches parents et des amis à l’annonce de la mort d’un être cher (cf. Gn 37, 34 ; 2S 1, 11 ; 3, 31 ; 13, 31 ; Jb 1, 20). Jacob fait ce geste en apprenant que son fils a été dévoré par une bête féroce (cf. Gn 37, 34) ; de même David après la mort de Saül et de Jonathan (cf. 2S 1, 11), et celle d’Ammon (2S 13, 31). Job a fait le même geste à l’annonce de la mort de ses enfants (cf. Jb 1, 20).

Arracher ou déchirer ses vêtements exprime aussi un deuil symbolique dans des situations exceptionnelles. Le fait que le roi Saül saisit le manteau de Samuel qui se déchire au moment où ce dernier se détourne pour partir symbolise la perte de la royauté pour Saül (cf. 1S 15, 27-28) et anticipe le deuil que Samuel mène sur lui (cf. 1S 15, 35 ; 16, 1). Déchirer ses vêtements peut exprimer aussi la soumission, l’humilité et la piété envers Dieu412. Ainsi en entendant les paroles du livre de la Loi, découvert par le prêtre Hilqiyyahu dans le Temple, le roi Josias déchire ses vêtements (cf. 2R 22, 11).

Le geste de déchirer ses vêtements est également observé à l’annonce d’une catastrophe, d’une calamité et d’un malheur (cf. 2R 6, 30 ; 18, 37 ; 19, 1). Il manifeste aussi la colère (cf. 2R 11, 14), le désespoir (cf. 2S 13, 19 ; Jg 11, 35) et l’indignation (cf. Nb 14, 16 ; 2R 5, 7). Au sujet de ce geste, H. Nutkowicz écrit : « Déchirer, mettre en pièces ses vêtements, manifeste immédiatement le sentiment de l’affliction. Le déchirement extérieur, rite d’entrée dans le deuil, reflète le déchirement intérieur et ce signe exclut l’endeuillé du monde des vivants pour une période de marge. Déchirer ou séparer symbolise la rupture entre le mort et les vivants. »413.

407 Cf. Amandine MARSHALL et Roger LICHTENBERG, Les momies égyptiennes. La quête millénaire d’une

technique, Fayard, Paris, 2013, p. 37-59.

408 Cf. Hélène NUTKOWICZ, op. cit., 2006, p. 30. 409

Cf. Daniel FAIVRE, Vivre et mourir dans l’ancien Israël. Anthropologie biblique de la vie et de la mort, (Comprendre le Moyen-Orient), L’Harmattan, 1998, p. 158.

410 Hélène NUTKOWICZ, op. cit., 2006, p. 33. 411

Cf. Roland de VAUX, op. cit., 1976, p. 97 ; cf. aussi Jacques BRIEND et Michel QUESNEL, La vie quotidienne

aux temps bibliques, Bayard, Paris, 2001, p. 114.

412 Cf. Hélène NUTKOWICZ, op. cit., 2006, p. 34. 413

Répandre de la poussière ou des cendres sur la tête figure parmi les gestes de deuil réel et symbolique. Ce geste est réalisé à la nouvelle du deuil. Il est fait avant ou après la déchirure des vêtements414. Ce geste rituel funéraire d’asperger la poussière ou la cendre ou de s’y rouler est bien attesté en Israël ancien et chez les peuples voisins415.

Le messager qui annonce la défaite des Israélites face aux Philistins arrive à Silo avec les vêtements déchirés et la tête couverte de poussière (cf. 1S 4, 12). Le geste de ce messager révèle le deuil provoqué par la défaite, et surtout de la prise de l’arche d’Alliance (cf. 1S 4, 10-11). Le messager qui annonce à David la mort de Saül a également les vêtements déchirés et la tête couverte de poussière, pour manifester l’affliction survenue à Israël. Hushaï l’Arkite qui partage les malheurs de David pendant le coup d’état d’Absalom porte une tunique déchirée et de la terre sur sa tête. (cf. 2S 15, 32).

En Jos 7, 6, Josué et les anciens d’Israël répandent la poussière רפע ‘aphar sur leur tête pour exprimer leur malheur et supplier Dieu. Pour partager l’affliction de Job, ses amis ont observé le même geste (cf. Jb 2, 12). Pour manifester aussi son affliction, Job a jeté son front dans la poussière (cf. Jb 16, 15). Le mot hébraïque רפע ‘aphar peut exprimer la poussière de la terre (cf. Gn 2, 7 ; 26, 15), le support de la tombe (cf. Pr 22, 30 ; Ha 1, 10) et la poussière à laquelle on retourne à la mort (cf. Gn 3, 19). Elle désigne l’homme réduit en poussière et son retour à la terre en Ps 30, 10 ; mais elle est employée pour évoquer la postérité comme Nb 23, 10. Donc, elle manifeste la métaphore de la disparition, mais elle peut exprimer indirectement aussi un message d’espoir, une allusion au cycle de la vie et de la mort416.

Bref, H. Nutkowicz rappelle que dans la culture israélite, « répandre de la poussière ou des cendres sur la tête rappelle que l’endeuillé vit une situation analogue à celle du mort dans l’au-delà, (…), il partage son état avec lui, l’ici-bas devient alors comparable à l’au-delà pour la période de deuil. » Par contre, Gn 13, 16 introduit les notions de vie, de lignée et de futur en associant la multiplication de la descendance d’Abraham à la poussière de la terre. À partir de là, ce rite tisse à nouveau le lien avec la vie. Ses significations qui semblent opposées se révèlent complémentaires dans l’espace de la vie et de la mort417

.

Le port d’un sac (cf. Gn 37, 34 ; 2 S 3, 31 ; Is 22, 12), dans la liste des rites de deuil des Israélites, vient juste après la déchirure des vêtements ou en dernier (Is 22, 12 ; Jr 48, 37 ; 1R 21, 27 ; 2R 6, 30). Dans ce sens David dit à Joab et à toute sa troupe de déchirer leurs vêtements et de mettre des sacs pour faire le deuil d’Abner (cf. 2S 3, 31). C’est une étoffe grossière qui se porte ordinairement à même la peau, autour de la taille et au-dessous des seins (cf. 2R 6, 30 ; 2M 3, 19)418 ; cela pourrait aussi être un vêtement d’un tissu de poils ou de crin rude et piquant. Son port est une obligation matérielle associée à l’état particulier de deuil419.

Le port d’un voile ou la tête voilée est dans la liste des pratiques rituelles funéraires. Pendant le coup d’état d’Absalom, « David montait par la Montée des Oliviers, il montait en pleurant, la tête voilée et les pieds nus, et tout le peuple qui l’accompagnait avait la tête

414

Cf. Ibid., 39.

415 Cf. Daniel FAIVRE, op. cit., 1998, p. 175. 416

Cf. Hélène NUTKOWICZ, op. cit., 2006, p. 39.

417

Cf. Ibid., p. 40-41.

418 Cf. Roland de VAUX, op. cit., 1976, p. 97 ; cf. aussi Jacques BRIEND et Michel QUESNEL, op. cit., 2001, p. 114. 419

voilée et montait en pleurant. » (2S 15, 30). À la mort de ce fils rebelle, David s’est aussi voilé le visage (cf. 2S 19, 5).

À côté de ces différents rites de deuil il y a d’autres pratiques rituelles qui les accompagnent comme se déchausser et marcher pieds nus (cf. 2S 15, 30 ; Mi 1, 8), se raser en partie ou complètement la barbe et les cheveux (cf. Jb 1, 20 ; Ez 7, 18 ; 27, 30-31), se couvrir la barbe (cf. Ez 24, 17. 23). Certains rites de deuil sont interdits mais toujours pratiqués dans l’Israël ancien comme se faire des incisions sur le corps et la tonsure (cf. Is 22, 12 ; Jr 16, 6 ; 41, 5 ; 47, 5 ; 48, 37 ; Am 8, 10). Ils sont interdits dans Lv 19, 27-28 ; 21, 5 ; Dt 14, 1 parce qu’ils sont considérés comme entachés de paganisme. Ils seront abordés plus loin.

Ces différentes pratiques rituelles de deuil semblent ne pas autoriser les soins du corps des endeuillés (cf. Jr 8, 21). Joab demande à la femme de Teqoa de feindre d’être en deuil, de mettre des habits de deuil, de ne pas se parfumer, et de se mettre comme une femme qui porte le deuil d’un mort depuis des jours (cf. 2S 14, 2). Il s’agit là d’un emploi métaphorique.

Bref, « le sac, privé de tout ornement, le port du voile, l’absence de soins soulignent à quel point l’endeuillé est dépouillé des signes de la vie. Ces signes de différence font partie du langage définissant une situation et un espace-temps particulier. Ils soulignent l’état singulier, en marge, hors de la vie, de l’endeuillé. »420 Tels étaient les rites de deuil dans l’Israël ancien. 1.1.2.2. Attitudes et espaces, le jeûne et le temps de deuil

Les attitudes et les espaces de deuil sont variables selon les témoignages bibliques et la plus commune consiste à demeurer à terre421. Par exemple, après avoir entendu l’annonce de la mort de son fils Amnon, le roi David est couché par terre mais ses serviteurs restent debout avec des vêtements déchirés (cf. 2S 13, 31). Pendant la maladie de son fils, David observe le même geste pour implorer Dieu (cf. 2S 12, 16). En 2S 2, 23, tous ceux qui ont vu le cadavre d’Asahel mort s’arrêtent et restent debout. Joseph se jette sur le corps de son père Jacob pour le couvrir de baiser en pleurant (cf. Gn 50, 1).

À l’annonce des malheurs qui frappent sa famille et ses biens, Job se lève, déchire son vêtement et se rase la tête ; puis il tombe sur la terre et se prosterne (cf. Jb 1, 20). En apprenant l’incendie des portes de Jérusalem, Néhémie s’assied et pleure (cf. Ne 1, 4 ; Lm 2, 10). Devant les péchés d’infidélité du peuple, Esdras reste assis, accablé et prostré (cf. Esd 9, 3-5).

Se poser la main sur la tête est une geste qui implique le deuil. C’est le cas de Tamar après l’humiliation qui lui est infligée par son frère Amnon (cf. 2S 13, 19). Achab, après avoir eu conscience de ses péchés, met un sac, jeûne, et se couche avec le sac, marche à pas lents (cf. 1R 21, 27). Isaïe cite comme attitude de deuil le fait de se frapper les seins ou la poitrine (cf. Is 32, 12). Les femmes de Jérusalem qui pleurent Tammuz se tiennent assises à l’entrée du porche du Temple (cf. Ez 8, 14). Pendant la tuerie des hommes d’Israël par les hommes de Aï, Josué et les anciens d’Israël tombent face contre terre devant l’arche de Yahvé jusqu’au soir en signe de deuil et pour implorer Dieu (cf. Jos 7, 6). Le Psaume 35 évoque l’attitude de deuil qui consiste à se courber ou à s’incliner (cf. Ps 35, 14).

420 Ibid., p. 42. 421

H. Nutkowicz note concernant ces attitudes et espaces de deuil : « L’endeuillé, assis ou allongé sur terre, est au contact de la terre mère, la terre des entrailles qui reçoit le mort, la terre du Shéol, s’identifiant au mort ou s’en rapprochant peut-être, de la sorte. Ces gestes d’abattement, d’accablement et de prostration permettent de déceler une nouvelle phase dans l’accomplissement des rites funèbres, abordant un autre registre et passant de l’agitation la plus extrême, associée à la brûlure de deuil, à une forme d’accalmie et d’immobilité où la vie demeure suspendue. »422

Pendant le deuil réel ou métaphorique, jeûner est d’usage dans l’Israël ancien. Des commentateurs423 de ce thème dans l’Israël ancien et autres chercheurs signalent que ce rite de deuil est prouvé par plusieurs passages de la Bible. Comme exemple, David a jeûné jusqu’au coucher du soleil le jour des funérailles d’Abner (cf. 2S 3, 35), à l’annonce de la mort du roi Saül, de Jonathan et des Israélites tués par les Philistins (cf. 2S 1, 12). Les habitants de Yabesh de Galaad jeûnent pendant sept jours après avoir enseveli les ossements de Saül et de ses fils (cf. 1S 31, 13). Judith observe la même coutume pendant trois ans et quatre mois sauf les veilles et les jours de Shabat, de néoménies et de diverses fêtes (cf. Jdt 8, 6).

Le temps de deuil est très variable. Sa durée habituelle est de sept jours mais elle pourrait être raccourcie ou prolongée424. À la mort de Jacob, les Égyptiens pleurent pendant soixante-dix jours (cf. Gn 50, 4). À Gorèn-ha-Atad, au-delà du Jourdain, Joseph a célébré un deuil de sept jours pour son père Jacob (cf. Gn 50, 10). La communauté d’Israël pleure Aaron (cf. Nb 20, 29) et Moïse dans les steppes de Moab (cf. Dt 34, 8) pendant trente jours.

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