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2. ANALYSE DU RITE DU RASAHARIAGNA

2.4. LES CAUSES INDIRECTES DU RITE

2.4.5. La structure de la communion dans le Rasahariaña

A travers les cérémonies liturgiques comme le Rasahariaña, les groupes de familles essaient d’établir une communion avec le monde du sacré que constituent Dieu et les Ancêtres et l’invisible293. Cela est tout à fait le rôle du Rasahariaña. On y établit la communion ou le lien de toute la famille, membres vivants et morts, avec le défunt destinataire du rite car il se sent coupé de lien. Le demandeur sent qu’il n’est ni aux vivants ni au monde des Ancêtres. Donc il demande d’être intégré aux Ancêtres plus proches de lui. Et la possibilité d’intégrer au monde des Ancêtres est le Rasahariaña pour les Tsimihety et cela grâce au Fihavanana.

Les liturgies des rites comme le Rasahariaña ou des célébrations dans la religion traditionnelle malgache accompagnent diverses étapes de l’intégration des individus dans la société et le cosmos, jusqu’à la suprême intégration dans un au-delà conçu comme permanent, où la vie se construit et continue à s’épanouir dans la communauté avec les Ancêtres294.

2.4.5.1. Le fondement de la communion dans le Rasahariaña

Dans les jôro et les kabary, discours du Rasahariaña, la demande et le souhait de la santé et de la guérison sont évoqués à maintes reprises, car la maladie est l’un des modes de

290

Cf. Patricia RAJERIARISON & Sylvain URFER, op. cit., 2010, p. 83.

291 Cf. Robert JAOVELO-DZAO, op. cit., 1996, p. 208. 292

Cf. Patricia RAJERIARISON & Sylvain URFER, op. cit., 2010, p. 83.

293

Cf. Pietro LUPO, Dieu dans la tradition malgache. Approches comparés avec les religions africaines et le

christianisme, Ambozontany/Karthala, Fianarantsoa, Paris, 2006, p. 29.

294

demande employés par les défunts demandeurs pour annoncer leur requête. Par cette maladie, les défunts demandeurs de Rasahariaña mettent en désordre des relations entre les vivants membres de la société terrestre et ceux de la société de l’au-delà. Et l’un des buts dans l’organisation de ce rite est de rétablir l’harmonie entre ces deux sociétés : société terrestre des vivants et société des Ancêtres dans l’au-delà. Ce désir de rétablir l’harmonie entre les deux sociétés se manifeste dans le désir de la santé.

Donc pour les Tsimihety, avoir et récupérer la santé après être tombé malade par une demande de Rasahariaña signifie être en harmonie avec le monde de l’au-delà et celui d’ici- bas. On peut dire dans ce cas que la raison de l’organisation du rituel du Rasahariaña est le soin d’une maladie pour avoir la santé, ou la restauration de la vie. Cela nous mène à dire que la communion sacrale avec le monde de l’au-delà pendant le Rasahariaña est fondée en partie sur la crainte de la maladie et de la mort, c’est-à-dire sur l’amour de la vie comme déjà développé plus haut.

Pour lutter contre ce fléau qu’est la mort, les Tsimihety ont besoin de la communion avec toutes leurs familles sur la terre et celles dans l’au-delà, les Ancêtres. Un proverbe malgache le dit bien en ces termes : « Zay mitambatra vato, zay misaraka fasika », ce qui veut dire : « ceux qui s’unissent sont durs comme la pierre, ceux qui se séparent sont comme du sable ». L’idée de ce proverbe est que l’union fait la force.

La communion dans le Rasahariaña est aussi et surtout fondée et basée sur le Fihavanana qui lie les membres de la famille organisatrice entre eux. C’est pourquoi la présence de tous les membres de cette famille est nécessaire pendant le rite du Rasahariaña.

Cette communion pendant le déroulement du Rasahariaña est aussi fondée et basée sur le lien qui lie les membres de la communauté villageoise entre eux, et entre ceux-ci et ceux de la famille organisatrice. C’est pour cela aussi que la présence de la communauté villageoise est nécessaire pendant ce rituel du Rasahariaña. C’est également le Fihavanana qui est le lien qui lie les membres de la communauté villageoise entre eux et avec la famille organisatrice du Rasahariaña. La nécessité de l’assistance de la communauté villageoise est manifestée par l’annonce aux gens du village la veille ou avant si cela peut arriver.

La communion sociale terrestre et céleste, et la communion sacrale sont réalisées, actualisées et constatées dans le Rasahariaña mais les motifs et les fondements des communions sont souvent ambivalents. Tant que l’organisation du Rasahariaña repose en partie sur la crainte de la maladie et de la mort, les communions qui s’y trouvent pourraient ne pas être désirables mais obligées car c’est par crainte et non par liberté. Mais puisqu’il renforce le Fihavanana entre les membres de la famille, le lien entre la communauté villageoise, les communions dans le Rasahariaña ont des origines, des motifs et des effets positifs ; et dans ce cas, ceux-ci sont souhaitables dans la société humaine.

2.4.5.2. L’état de la communion dans le Rasahariaña

Le Rasahariaña montre la communion de vie des vivants avec les Razana membres de la famille organisatrice car on mange et on boit avec eux par l’intermédiaire du mpitanjiny et des Sojabe représentants de toute l’assistance. Dans ce cas, il est proche de l’Eucharistie car cette dernière est une communion de vie avec le Christ et Dieu Trinité.

Dans le Rasahariaña, il y a plusieurs formes et dimensions de communion. Il y a par exemple, la communion cosmique, la communion entre les vivants terrestres et les vivants de l’au-delà qu’on appelle communion sacrale. On a aussi la communion des vivants terrestres entre eux appelée communion sociale terrestre, et la communion des vivants du monde de l’au-delà qu’on appelle communion sociale céleste, une communion entre eux-mêmes.

Puisque le Rasahariaña est souvent organisé pour rétablir la communion sacrale entre les vivants terrestres et les vivants de l’au-delà suite à une maladie ou à un songe provoqué par la demande de part du défunt, cela veut dire que cette communion existe déjà avant cette maladie ou ce songe. Par cette maladie ou ce songe, le défunt montre qu’entre lui et les vivants membres de sa famille, il n’y a pas de communion sacrale qui les lie parce que le défunt n’est pas encore arrivé au stade des Ancêtres. L’ancestralité lie alors les vivants sur la terre et ceux du monde de l’au-delà ; autrement dit, sans être devenu Ancêtre, un défunt ne retrouve pas la communion avec les siens au-delà et sur la terre.

Le Rasahariaña donné à ce défunt met et rétablit cette communion et ce lien. C’est pourquoi le défunt oblige par une maladie ou par un songe les vivants membres de sa famille à lui donner sa part qui lui permet d’accéder au rang des Ancêtres et par conséquent d’être lié et en communion avec ces membres de sa famille encore vivants et dans l’au-delà. Le fait d’être Ancêtre et d’être en communion avec les vivants est voulu par le défunt demandeur du Rasahariaña, par les membres vivants et par les Ancêtres puisque ces derniers influencent le demandeur à demander sa part aux vivants.

La non attribution du Rasahariaña à un défunt coupe ce lien et cette communion sacrale entre les Ancêtres et le défunt demandeur de part, puis entre lui et les membres de sa famille encore vivants sur la terre. Cette communion est rétablie, réalisée et actualisée à travers les différents jôro du Rasahariaña, la prise de l’alcool toaka, la prise du repas sacrificiel du Sôrontsôroño avec les Ancêtres par les anciens représentants des familles présentes de la communauté villageoise, et par les enfants après le Fôtojôro. A travers ces repas, les vivants terrestres mangent la partie du repas qu’on a offert aux entités de l’au-delà. Et le fait de manger un même repas montre l’actualisation et la réalisation de communion de vie entre les participants. À travers le Rasahariaña, les vivants acceptent et cherchent la communion avec le demandeur du Rasa.

La communion effectuée entre les vivants eux-mêmes au cours du Rasahariaña est une communion qui se fait par amour. Cette communion sociale terrestre est manifestée par la présence et l’assistance des invités. Cette présence et assistance des invités et de la communauté villageoise qui montrent la communion sociale entre les vivants terrestres entrainent aussi la communion avec les entités de l’au-delà. Et l’organisation du Rasahariaña entraine ces diverses formes de communion.

Puisque la maladie est l’un des motifs de l’organisation du rite du Rasahariaña, la communion dans ce rite est aussi un soin et un remède pour guérir une maladie, un moyen de soigner cette maladie. Il y a alors des pressions pour arriver à cette communion. Le rite est dans ce cas une thérapie qu’on peut dire collective car il concerne tous les membres de la famille organisatrice. Il ne suffit pas de consulter le devin guérisseur mais il faut réunir tous

les membres de la famille organisatrice et certains de ceux de la communauté villageoise295 qu’on appelle en malgache « Fokonolona ».

Si on définit la communion comme union dans une même foi et un même état d’esprit, nous pouvons dire que les différentes formes de relation que nous avons découvertes dans le Rasahariaña sont des expressions de la communion, mais cette communion est fragile et limitée parce que son fondement n’est pas seulement l’amour, il pourrait y avoir aussi de la peur ou de la crainte de la maladie et de la mort296.

Dans le Rasahariaña, on trouve l’interdépendance entre les vivants et les morts. Ces derniers ont besoin des vivants pour accéder au rang des Ancêtres par ce rituel du Rasahariaña car seuls les vivants peuvent l’organiser pour les morts. Les vivants ont besoin de la protection de leurs Ancêtres qui leur ont transmis la vie venant de Zanahary. Après l’accomplissement du Rasahariaña, les vivants bénéficient de la protection et de la bénédiction de leurs Ancêtres, et peuvent vivre en paix sans la crainte de la hantise du défunt. C’est là que se fonde la communion dans le Rasahariaña entre les vivants et les Ancêtres.

2.4.5.3. Durée et limite de la communion dans le Rasahariaña

La communion dans le Rasahariaña n’a pas tout à fait une dimension universelle comme nous avons dans l’Eucharistie et que le Christ nous a apportée. La communion dans ce rite se limite aux assistants et à tous les membres de la famille organisatrice même s’ils ne sont pas présents à ce rite malgré la nécessité de leur présence au cours de ce rituel. La santé, le bonheur et la bénédiction qu’on demande pendant le rite du Rasahariaña sont surtout pour les membres de la famille organisatrice et pour les assistants qui représentent la communauté villageoise. Elles sont aussi pour cette communauté villageoise car celle-ci y est représentée.

La communion ici ne concerne même pas tous les Tsimihety ni tous les Malgaches ni toute l’humanité. Elle manque alors de l’universalité. La communion avec les Ancêtres est alors réduite aux membres de la famille organisatrice et à tous les assistants puisque la santé, le bonheur et la bénédiction demandés au cours de ce rite sont seulement pour ces membres de la famille organisatrice et ces assistants.

La communion sociale terrestre dure tout au long de la vie de ces membres de la famille organisatrice et de ces assistants représentants de la communauté villageoise et cela de génération en génération à travers les rites du Rasahariaña et les différents rites traditionnels. Elle se réalise jusque dans la vie quotidienne à travers des entraides, etc. Cela est aussi le côté positif de cette communion issue du Rasahariaña. Cela ne veut pas dire qu’elle ne sera jamais mise en cause, elle pourrait être mise en cause pour différentes raisons, mais la communauté villageoise essaie toujours de la rétablir de différentes manières.

Tant qu’il n’y a pas de maladie et de songe fruits de la demande de Rasahariaña ou autre requête des Ancêtres, les Tsimihety pensent que la relation ou la communion sacrale avec les membres de la société de l’au-delà est en bon état. Cela veut dire que la communion avec Zanahary-Dieu et les Razana-Ancêtres ne s’arrête pas à la fin du rite du Rasahariaña, elle continue tout au long de la vie et dans l’au-delà.

295 Cf. Joseph Justin RANDRIANANDRASANA, op. cit., 2000, p. 64. 296

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