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Les atteintes à la forme unitaire de l’Etat

LES CONSEQUENCES DES TRANSFERTS DE COMPETENCES

B. Les atteintes à la forme unitaire de l’Etat

Comme le relève Bénédicte FLAMAND-LEVY, « Certes, la France est encore un Etat

unitaire décentralisé : elle reconnaît la « libre administration » des collectivités territoriales, non leur « libre gouvernement ». L’article 1er révisé de la Constitution parle d’une

organisation décentralisée, qui relève d’un Etat unitaire, non d’un Etat fédéral. Néanmoins, l’organisation de la France, pourrait, grâce aux nouvelles normes constitutionnelles, évoluer vers un système intermédiaire proche de l’Etat « régionalisé » »159 Ainsi, par l’effet combiné des articles 72 alinéa 2 et 72 alinéa 3160 issus de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, les craintes ancestrales relatives à la forme unitaire de l’Etat, semblent réapparaître. Dès les lois de décentralisation de 1982 et 1983, le risque d’atteintes à la forme unitaire de l’Etat provoquait uns sorte d’émoi doctrinal. De nombreux auteurs s’interrogeait alors sur l’avenir de la forme une et indivisible de notre pays161.

Dans les deux décisions du 25 février 1982162, le Conseil Constitutionnel rappelait très

ferment qu’il veillerait à ce que le législateur ne porte pas atteinte « au caractère indivisible de la République et à l’intégrité du territoire » Il déterminait à cet instant les limites extrêmes de la décentralisation à ne pas franchir. Selon le Doyen FAVOREU, « La frontière entre l’Etat

indivisible et l’Etat divisible se détermine par référence à l’inexistence ou à l’existence d’un pouvoir normatif autonome »163 Aussi, il était certain que le Conseil Constitutionnel

refuserait l’octroi d’un pouvoir normatif autonome aux collectivités locales. Nous retrouvons alors le débat relatif au pouvoir réglementaire reconnu aux collectivités qui reste malgré tout résiduel et subordonné.

159

B. FLAMAND-LEVY « Nouvelle décentralisation et forme unitaire de l’Etat », RFDA, janvier – février 2004, p. 59

160

C'est-à-dire du principe de subsidiarité lié à la libre administration et du pouvoir réglementaire local

161

Notamment Michel-Henry FABRE « L’unité et l’indivisibilité de la République, Réalité ? Fiction ? », RDP, 1982, p. 603 mais également Louis FAVOREU « Décentralisation et Constitution », RDP, 1982, p. 1259 ainsi que Jérôme CHAPUISAT qui proposait une étude sur « l’autonomie territoriale et la régionalisation politique », AJDA, 20 février 1983, p. 60

162

Conseil Constitutionnel, Décision n°82-137 DC Loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions et Décision n° 82-138 DC Loi portant statut particulier de la région de Corse du 25 février 1982

163

Nous retrouvons également les craintes de voir apparaître un Etat fédéral. A partir de cet instant, nous n’envisageons pas de conduire une étude de droit constitutionnel relatif aux différentes formes d’Etat. Nous souhaitons juste rappeler que le caractère unitaire de l’Etat implique que les collectivités territoriales ne disposent pas, à la différence des Etats membres d’un Etat fédéral, de la compétence de la compétence et d’un pouvoir d’auto organisation. L’Etat unitaire impose l’unicité de la source de droit, le constituant étant le seul compétent pour fixer le statut des collectivités territoriales et leur conférer un pouvoir normatif. C’est l’objet de l’article 72 de la Constitution qui délègue aux collectivités un pouvoir normatif dans les conditions énoncées par la loi selon les termes de l’article 34. Les organes des

collectivités territoriales émettent des normes en vertu d’un titre de compétence inscrit dans la Constitution et concrétisé par la loi. Les autorités locales peuvent être associées à

l’élaboration de règles nationales les concernant, elles ne peuvent se substituer aux représentants de la nation pour édicter, modifier ou abroger les normes nationales.

La libre administration des collectivités territoriales dans l’exercice de leurs compétences ne doit pas porter atteinte à la forme unitaire de l’Etat. Celui-ci reste relativement présent dans les orientations données aux collectivités renforçant cette notion de verticalité dans la mise en œuvre des transferts de compétences. Un nouvel exemple a été récemment révélateur de cette rigidité. Le Premier Ministre a reçu une dizaine de présidents de région le mardi 2 mai 2006 à Matignon164. A la suite de cet entrevu, les présidents de région ont dénoncé « la surdité et la crispation jacobine »165 du gouvernement à propos de son refus de leur confier la gestion directe des fond européens qui relève à l’heure actuelle de l’Etat166. Depuis les élections régionales de 2004, ces élus demandent le transfert de la gestion de ces fonds européens représentant une enveloppe de 12,7 milliards d’euros sur la période 2007-2013. Nous touchons alors à la nature politique de la libre administration des collectivités, qui reste semble-t-il, beaucoup difficile à appréhender que la nature juridique de cette notion. De fait, les craintes de voir un Etat « régionalisé » paraissent bien lointaines167.

164

Le Monde, jeudi 4 mai 2006, p. 10

165

Comme le constate le professeur TURPIN « Il est vrai que nous avons hérité d’une tradition jacobine égalitaire et centralisatrice, appuyée sur les théories de la souveraineté nationale et du gouvernement représentatif » , dans une tribune « République et décentralisation » , AJDA, 15 septembre 2003, p. 1577

166

Il n’y aurait que les régions Alsace et Auvergne qui bénéficieraient pour l’instant de cette compétence

167

C’est en effet la thèse soutenue par Olivier GOHIN dans son article « La nouvelle décentralisation et la réforme de l’Etat en France », AJDA, 24 mars 2003, p. 522. Selon l’auteur, la nouvelle décentralisation s’inscrit nécessairement dans le cadre d’un Etat, qui, en France, est donc implicitement et intégralement unitaire. Au sein d’un Etat unitaire, la décentralisation territoriale est exclusivement administrative. L’Etat régionalisé correspond à une décentralisation politique, dans laquelle les régions sont en revanche une catégorie privilégiée de

Bien que le caractère unitaire de l’Etat ne soit pas pour l’instant en danger, il n’est cependant pas synonyme d’uniformité. L’unité de l’Etat et l’indivisibilité de la République s’opposent à ce que les collectivités territoriales disposent d’une compétence initiale, générale et

indépendante, mais elles laissent le législateur libre d’émettre des règles différentes selon les catégories de collectivités ou selon les différentes parties du territoire. La Constitution prescrit elle-même des régimes aménagés entre les collectivités métropolitaines et les collectivités d’outre-mer168. La jurisprudence du Conseil Constitutionnel a étendu ce pouvoir de

diversification attribué au législateur. Toujours dans le respect du principe de subordination des collectivités à l’Etat, le législateur peut doter chaque catégorie d’un statut propre et créer des catégories à exemplaire unique. A l’intérieur même d’une catégorie, il peut, sans porter atteinte à l’unité de la catégorie, introduire des aménagements limités dans l’organisation ou les compétences d’une ou plusieurs collectivités par rapport aux autres. Chacune des trois catégories, communes, départements, régions, comportent ainsi des collectivités qui bénéficient de règles particulières. Il suffit alors de se reporter au Code général des

collectivités territoriales qui contient pour chaque catégorie des « dispositions particulières »

Loin des craintes relatives à la structure de l’Etat, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 visait essentiellement à le réformer sans le transformer. Cette révision s’inscrit dans le cadre de l’Etat unitaire dont la décentralisation territoriale, est demeurée le plus souvent administrative. Comme la décision de principe de 1982169, l’avait établi en son temps, tout le droit de cette décentralisation administrative repose sur la conciliation nécessaire (que le juge constitutionnel voulait équilibrée) entre la libre administration des collectivités territoriales et le contrôle normatif qui incombe à l’autorité administrative déconcentrée, en la personne du représentant de l’Etat. Ainsi, selon Olivier GOHIN170, tant que la volonté du pouvoir

constituant sera bien de maintenir la décentralisation territoriale dans le champ du droit administratif, tout passage d’un Etat décentralisé à un Etat régional sera impossible171.

168

La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 consacre une diversification des catégories de collectivités locales. Pour plus de développement sur les apports de cette révision, nous pouvons indiquer les développements de J.-C. DOUENCE : Encyclopédie des collectivité territoriales, Dalloz, chapitre I : Le statut constitutionnel des collectivités territoriales.

169

Conseil Constitutionnel, Décision n° 82-137 DC du 25 février 1982, Loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions

170

Olivier GOHIN, « La nouvelle décentralisation et la réforme de l’Etat en France », AJDA, 24 mars 2003, p. 528

171

Dans la mesure ou les collectivités locales demeurent des entités administratives et que les normes qu’elles produisent relèvent du contentieux administratif

CHAPITRE II

L’OBSERVATION DES PRINCIPES FONDAMENTAUX LORS DES

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