• Aucun résultat trouvé

Une interdiction absolue et réaffirmée

L’INTERDICITION DE LA TUTELLE ET L’INSTAURATION DE LA NOTION DE CHEF DE FILE

A. Une interdiction absolue et réaffirmée

L’article 2 de la loi du 7 janvier 1983, aujourd’hui codifié à l’article L. 1111-3 du Code général des collectivités territoriales dispose que « La répartition de compétences entre les communes, les départements et les régions ne peut autoriser l’une de ces collectivités à établir ou exercer une tutelle, sous quelque forme que ce soit, sur une autre d’entre elles »

L’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre est, selon le professeur LE

MESTRE, une des garanties de la libre administration des collectivités territoriales215. Cette affirmation est validée par les professeurs BOURDON, PONTIER et RICCI216 qui

remarquent que l’article L. 1111-4 alinéa 3 du même code prévoit que « Les communes, les départements et les régions financent par priorité les projets relevant des domaines de compétences qui leur ont été dévolus par la loi. Les décisions prises par les collectivités locales d’accorder ou de refuser une aide financière à une autre collectivité locale ne peuvent avoir pour effet l’établissement ou l’exercice d’une tutelle, sous quelque forme que ce soit, sur celle-ci… »

Ainsi, les collectivités territoriales françaises sont indépendantes les unes des autres (ce principe est propre à tous les Etats unitaires) et toutes en relation directe avec l’Etat, qui seul peut exercer un contrôle sur elles. Il n’existe donc aucune hiérarchie entre les collectivités territoriales, il ne peut y avoir soumission de l’une à une autre ou à un établissement public.

Il semblerait que l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre, est pour origine la montée en puissance de la région, collectivité bénéficiaire d’importants transferts de compétences lors des lois de 1983. Comme le relève le professeur CHAPUISAT dans son commentaire de la loi du 7 janvier 1983 : « Le bannissement de toute tutelle locale ne doit

214

Jacques MOREAU, Administration régionale, départementale et municipale, Paris, Dalloz, 14e édition, Mémentos, 2004, p. 43

215

R. LE MESTRE, Droit des collectivités territoriales, Paris, Gualino éditeur, 2004, p. 300

216

cependant pas tromper. Entre la commune et le département, un dialogue ancien s’est établi, des échanges constants se sont institutionnalisés, alimentés par un personnel politique largement commun et par un réseau de communications sociales très bien rodé…C’est donc, une fois encore, la région qui apparaît comme intruse…dont l’Etat et les collectivités

territoriales traditionnelles veulent prévenir toute velléité hégémonique, ce que l’on conçoit, mais aussi toute immixtion directe dans la vie locale… »217

Aussi, à plusieurs reprises, le Conseil Constitutionnel est intervenu pour veiller à ce principe. Dans sa décision du 20 janvier 1984218, le Conseil Constitutionnel rappelle l’interdiction de toute tutelle en dehors de celle de l’Etat, expliquant que la loi ne peut imposer une sanction aux autorités territoriales qui n’auraient pas respecté une obligation envers un établissement public auquel elles ne sont points affiliées.

Dans sa décision n° 2001- 454 du 17 janvier 2002 sur la loi relative à la Corse, le Conseil Constitutionnel a ainsi vérifié qu’aucune des dispositions transférant de nouvelles

compétences à la collectivité territoriale de Corse « ne méconnai(ssai)t les compétences

propres des communes ou des départements ou n’établi(ssai)t de tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre »219

Plus récemment, le Conseil constitutionnel a souligné que le fait de confier à la Polynésie française le soin d’autoriser, dans les communes où il n’existe pas de service d’assainissement assuré par la Polynésie française, les communes ou les EPCI à prescrire certaines mesures d’assainissement, n’avait pas pour effet d’instaurer une tutelle de la Polynésie française sur l’exercice par les communes d’une de leurs compétences220.

Il ressort ainsi de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel que le principe de l’interdiction de la tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre est un principe a valeur constitutionnel.

L’article 72 alinéa 5 de la Constitution intègre désormais l’interdiction de la tutelle comme norme constitutionnelle : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ». Cette rédaction issue de la révision du 28 mars 2003 peut faire l’objet de plusieurs

217

Jérôme CHAPUISAT, « Commentaire de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat », AJDA, 20 février 1983, p. 84

218

Conseil Constitutionnel, Décision n° 83-168 DC du 20 janvier 1984, Fonction publique territoriale

219

René GARREC, Rapport fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, Sénat, n° 27, 23 octobre 2002, p. 107

220

Conseil Constitutionnel, Décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française

observations qui selon nous ont guidé l’intégration de cette interdiction comme norme constitutionnelle :

Nous pouvons avancer le fait que le Conseil Constitutionnel avait reconnu depuis longtemps l’interdiction de la tutelle comme principe à valeur constitutionnelle, ce principe n’étant pas inscrit au sein de la Constitution avant la révision de mars 2003.

De plus, de nombreux auteurs221 avaient opéré une comparaison entre la notion de tutelle appliquée aux collectivités territoriales et la définition de la tutelle en droit civil. Selon Michel PIRON, « la tutelle, définie en droit civil comme l’exigence d’une autorisation ou d’une

approbation du tuteur pour que le pupille puisse agir, étendue aux collectivités territoriales, peut prendre des formes multiples, parfois « insidieuses », la collectivité finançant la plus grande part d’un projet pouvant prendre l’ascendant sur les autres »222 Il semblait alors dans la logique de la révision constitutionnelle, d’inscrire l’interdiction de la tutelle comme norme constitutionnelle pour éviter qu’une collectivité en contraigne une autre à effectuer certains choix, à influencer ses décisions ou lui imposer le respect de certaines conditions dans telle ou telle procédure.

Enfin, l’interdiction de la tutelle allait de pair avec la répartition des compétences fondées sur la notion de blocs, en fonction des vocations dominantes de chaque collectivité223 :

La commune devait avoir la maîtrise du sol, c'est-à-dire l’essentiel des compétences dans le domaine de l’urbanisme, et exercer la responsabilité des équipements de proximité. Le département assumait une mission de solidarité et de péréquation, par la gestion des services d’aide sociale et par une redistribution entres les communes. La région voyait son rôle de réflexion et d’impulsion renforcé en matière de planification, d’aménagement du territoire et plus généralement d’action économique et de développement. Aussi, il importait d’inscrire au sein de la Constitution cette interdiction pour éviter que certaines collectivités outrepassent leurs domaines de compétences.

Bien que cette interdiction absolue soit aujourd’hui inscrite au sein de la Constitution, le risque de tutelle est toujours présent.

221

Notamment les professeurs PONTIER et CHAPUS ainsi que Michel PIRON député dans un récent rapport d’information sur l’équilibre territorial des pouvoirs.

222

Michel PIRON, Rapport d’information déposé par la commission des lois constitutionnelles sur l’équilibre territorial des pouvoirs, Assemblée Nationale, n° 2881, 22 février 2006

223

Ce constat était établi par le sénateur Michel MERCIER, Rapport d’information fait au nom de la mission commune d’information chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l’exercice des compétences locales, Sénat, n° 447, tome I, 28 juin 2000

Outline

Documents relatifs