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La conciliation de la libre administration des collectivités avec d’autres principes a valeur constitutionnelle

LES CONSEQUENCES DES TRANSFERTS DE COMPETENCES

A. La conciliation de la libre administration des collectivités avec d’autres principes a valeur constitutionnelle

Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales peut venir contrarier plusieurs normes de même valeur lors d’un contrôle de constitutionnalité. A plusieurs reprises, le Conseil Constitutionnel a rappelé au législateur que le principe de libre administration ne pouvait être mis en œuvre indépendamment des autres principes et règles de même valeur. En appliquant l’article 34 de la Constitution concernant la détermination des compétences et des ressources des collectivités territoriales, le législateur doit respecter les principes proclamés par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946145. Le juge constitutionnel vérifie que le principe de souveraineté nationale et notamment l’interdiction

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Encyclopédie des collectivité territoriales, Dalloz, chapitre I : Le statut constitutionnel des collectivités territoriales rédigé par J.-C. DOUENCE

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Voir par exemple : LE MESTRE (R), Droit des collectivités territoriales, Paris, Gualino éditeur, 2004, p. 288 ; BOURDON (J), PONTIER (J-M), RICCI (J-C), Droit des collectivités territoriales, Paris, PUF, 1998, p.99

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Conseil Constitutionnel, Décision n° 96-387 DC du 21 janvier 1997, Loi tendant, dans l’attente du vote de la loi instituant une prestation d’autonomie pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des personnes âgées par l’institution d’une prestation spécifique dépendance.

du mandat impératif contenue dans l’article 27 de la Constitution ne sont point méconnus à propos de la définition des règles relatives au fonctionnement des conseil régionaux146. Les principes de l’électorat et de l’éligibilité interdisent que la loi fixe les quotas par sexe pour l’établissement des listes de candidats aux élections dans conseils municipaux147. La

supériorité des règles de droit international sur les règles de droit interne fait obstacle à ce que le législateur modifie le champ d’application d’un engagement international de la France sous prétexte de la libre administration des collectivités territoriales148. Le principe de continuité des services publics justifie l’intervention du délégué du gouvernement en l’absence de décision de la part des autorités décentralisées compétentes lorsque cette abstention risque de compromettre le fonctionnement des services publics et l’application des lois : en cas de carence des organes des collectivités territoriales le principe de libre administration s’efface devant le principe de continuité149. La mise en œuvre du principe de la libre administration ne peut permettre une remise en cause de l’intégrité du territoire. Elle ne peut conduire une collectivité territoriale à cesser d’appartenir à la République pour constituer un Etat

indépendant ou associé. La loi ne peut, dans le cadre des articles 34 alinéa 4, 72 et 74 conférer à une collectivité territoriale un droit de sécession. Une loi, prise sur le fondement de ces dispositions, qui énonce que les populations d’une collectivité territoriale seront appelées à « se prononcer sur l’accession » de leur collectivité « à l’indépendance », ne formule qu’ « une déclaration d’intention sans contenu normatif »150

En plus de ces principes, dans la mise en œuvre du principe de libre administration des collectivités territoriales, le législateur se heurte à une limite importante, construite

progressivement par le Conseil Constitutionnel, le principe d’égalité151. En effet, le principe d’égalité et libre administration sont inscrits dans la Constitution, à des titres divers, et ont tous les deux valeur constitutionnelle. Comme le constate le professeur VERPEAUX, «le

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Conseil Constitutionnel, Décision n° 98-397 DC du 6 mars 1998, Loi relative au fonctionnement des Conseils régionaux

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Conseil Constitutionnel, Décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982, Loi modifiant le Code électoral et le Code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales

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Conseil Constitutionnel, Décision n° 88-247 DC du 17 janvier 1989, Loi autorisant la ratification de la convention internationale du travail n°159 (concernant la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées)

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Conseil Constitutionnel, Décision n° 82-149 DC du 28 décembre 1982, Loi relative à l’organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon et des établissements publics de coopération intercommunale

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Conseil Constitutionnel, Décision n° 85-196 DC du 8 août 1985, Loi sur l’évolution de la Nouvelle Calédonie

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Sur le principe d’égalité et libre administration des collectivités territoriales, nous pouvons signaler l’article du professeur VERPEAUX paru dans les Actes du colloque tenu à Pau du 24 au 25 juin 1999 organisé par l’association française du droit des collectivités locales, sous la direction de J-B AUBY et B. FAURE, Dalloz, collection Thèmes et commentaires, 2001, p. 285

thème de l’égalité n’apparaît pas dans les dispositions constitutionnelles relatives aux collectivités territoriales »152

La mise en œuvre du principe d’égalité interdit que l’exercice des libertés publiques et des droits soient subordonnés aux décisions des autorités locales et donc différenciés entre les citoyens selon leur collectivité de rattachement. Formulé pour la première fois à propos de la conclusion de contrats d’association entre l’Etat et des établissements d’enseignement privés du premier degré153, la limite à la libre administration contenue dans le respect du principe d’égalité a été systématisée dans une décision du 9 avril 1996 : « ni le principe de libre

administration des collectivités territoriales, ni la prise en compte de l’organisation particulière des territoires d’outre-mer ne sauraient conduire à ce que les conditions

essentielles de mise en œuvre des libertés publiques et par suite l’ensemble des garanties que celles-ci comportent dépendent des décisions des collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l’ensemble du territoire de la République »154

Dans l’exercice des libertés publiques, le principe d’égalité prévaut dans tous les cas

rencontrés, sur la libre administration. La conciliation de ces deux principes s’est également posée en matière de droits sociaux. Le Conseil Constitutionnel a été saisi de certaines dispositions de la loi relative à l’octroi de la prestation spécifique dépendance par les départements. Le onzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946155 prévoit que c’est à la Nation de garantir à tous la protection de la santé et la sécurité matérielle. Il peut exister une contradiction entre cette obligation « nationale » et la compétence donnée aux départements dans la mesure ou ils peuvent avoir une approche différente de la solidarité en vertu des priorités sociales au nom du principe de libre

administration. Il peut exister également de grandes disparités entre les départements du fait de la composition de leur démographie. Comment alors concilier ce caractère national de l’obligation et son traitement par des collectivités décentralisées s’interroge le professeur

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les Actes du colloque tenu à Pau du 24 au 25 juin 1999 organisé par l’association française du droit des collectivités locales, sous la direction de J-B AUBY et B. FAURE, Dalloz, collection Thèmes et commentaires, 2001, p. 285

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Conseil Constitutionnel, Décision n° 84-185 DC du 18 janvier 1985, Loi modifiant et compétant la loi n° 83- 663 du 22 juillet 1983et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l’Etat et les collectivités territoriales

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Conseil Constitutionnel, Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française

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Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, alinéa 11 : « Elle (la Nation) garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs… »

VERPEAUX156. A partir de ces règles constitutionnelles à priori contraires, le Conseil Constitutionnel est amené à opérer une conciliation dont le législateur « est le maître

d’ouvrage » mais dont la tâche est très étroitement encadrée par le Conseil Constitutionnel. Celui-ci affirma alors qu’il appartient au législateur de « prévenir par des dispositions

appropriées la survenance de ruptures caractérisées d’égalité dans l’attribution de la prestation spécifique dépendance, allocation qui répond à une exigence de solidarité nationale »157 Le législateur se doit donc d’être particulièrement vigilant puisqu’il s’agit d’une exigence nationale inscrite dans la Constitution.

Cependant comme le constate le professeur VERPEAUX, le Conseil Constitutionnel n’exige pas une uniformité absolue du régime de cette prestation afin de ne pas trop méconnaître le principe de libre administration d’une part, et d’autre part, parce que l’action sociale est une compétence traditionnelle des départements. Il semble bien que l’égalité doit ici primer sur la liberté de gestion des collectivités.

Tout est alors une question de seuil, entre les ruptures d’égalité tolérables et celles qui ne seraient pas acceptables. Lorsque les collectivités territoriales sont chargées par le législateur de mettre en œuvre un droit ou une liberté, ce ne peut être que dans des conditions précises encadrant strictement le pouvoir d’appréciation des autorités décentralisées. Les collectivités ne sont plus alors considérées comme oeuvrant dans le cadre de la libre administration mais comme des instruments de mis en application d’une politique de l’Etat qui doit profiter à tous les citoyens. Dans ce cas, la marge de manœuvre des collectivités et leur liberté de décision sont repoussées au-delà d’un minimum fixé par le pouvoir central et applicable uniformément sur le territoire national. Nous comprenons alors les inquiétudes émises par certaines

collectivités territoriales et notamment les régions qui, lors des débats relatifs à la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, souhaitaient devenir des administrations de mission et non de simples administrations de gestion se bornant à exécuter les directives de l’Etat158. La supériorité du principe d’égalité par rapport à la libre administration pouvait laisser croire à une ingérence certaine de l’Etat vis-à-vis de ses différents niveaux de collectivités.

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Actes du colloque tenu à Pau du 24 au 25 juin 1999 organisé par l’association française du droit des

collectivités locales, sous la direction de J-B AUBY et B. FAURE, Dalloz, collection Thèmes et commentaires, 2001, p. 285

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Conseil Constitutionnel, Décision n° 96-387 DC du 21 janvier 1997, Loi tendant, dans l’attente du vote de la loi instituant une prestation d’autonomie pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des personnes âgées par l’institution d’une prestation spécifique dépendance

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JEROME (B), « Les régions se méfient de la décentralisation proposée par le gouvernement », Le Monde, 12 octobre 2002, p. 13

Plus que tous ces principes devant être conciliés avec la libre administration, il en est un qui a laissé craindre une atteinte importante à la forme moderne de notre République, celui de la forme unitaire de l’Etat.

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