• Aucun résultat trouvé

La reconnaissance constitutionnelle du droit à l’expérimentation

DEFINITION DE LA METHODE EXPERIMENTALE

A. La reconnaissance constitutionnelle du droit à l’expérimentation

La constitutionnalisation de l’expérimentation, tant au profit de l’Etat, qu’au profit des collectivités territoriales ne pouvait se faire que sous la réunion de plusieurs éléments. Ces conditions sont dégagées notamment par Florence CROUZATIER-DURAND qui relevait : «

finalement, la constitutionnalité de l’expérimentation supposait la réunion de quatre

475

J.-B. AUBY, J.-F. AUBY et R. NOGUELLOU, Droit des collectivités locales, Paris, PUF, 3e éd., 2004, p. 211

476

Guillaume DRAGO, « Expérimentation et Constitution », AJDA, 21 octobre 2002, p. 989

477

Emile BLESSIG, Rapport fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi constitutionnelle tendant à introduire dans la Constitution un droit à l’expérimentation pour les collectivités locales, Assemblée Nationale, n° 2854, 10 janvier 2001

conditions cumulatives : il faut d’abord qu’un terme soit fixé, toute loi expérimentale devant avoir un caractère temporaire. Il convient ensuite que ce terme soit fixé dans le texte même, c'est-à-dire ab initio. L’expérimentation doit également être suivie d’une évaluation de ses effets. Enfin, la pérennisation éventuelle du dispositif doit être subordonnée à l’adoption d’une loi ultérieure. La conjonction du caractère temporaire et de l’existence d’un engagement d’évaluation constitue la spécificité des lois expérimentales »478.

La prise en compte de ces conditions a nécessité la modification de plusieurs articles de la Constitution.

Ainsi, l’article 37-1 de la Constitution prévoit maintenant que « La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère

expérimental ». Comme le note le professeur AUBY, « les conditions générales de recours à

l’expérimentation juridique sont donc sensiblement allégées par rapport aux limites posées par le Conseil Constitutionnel ». La rédaction retenue semble en effet, être moins draconienne

que les contraintes établies tant par le Conseil constitutionnel479 que par le Conseil d’Etat480 pour le recours à l’expérimentation.

La révision constitutionnelle a, en outre, prévu un cadre spécifique pour les expérimentations locales, c'est-à-dire les expérimentations offertes aux collectivités territoriales en introduisant l’article 72 alinéa 4. Cet article prévoit que, « Dans les conditions prévue par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui

régissent l’exercice de leurs compétences ».

Cette disposition renvoie donc à une loi organique le soin de préciser les conditions de sa mise en œuvre. Désormais, les collectivités territoriales mais aussi leurs groupements, c'est-à- dire les établissements publics de coopération intercommunale, pourront déroger à un texte législatif ou réglementaire sous respect de certaines conditions. Pour le professeur PONTIER,

478

Florence CROUZATIER-DURAND, « L’expérimentation locale », RFDA, janvier – février 2004, p. 23

479

Le Conseil Constitutionnel a toutefois rappelé que le législateur devait définir « de façon suffisamment précise l’objet et les conditions » des expérimentations (Conseil Constitutionnel, Décision n° 2004-503 DC, 12 août 2004, Loi relative aux libertés et responsabilités locales)

480

Le Conseil d’Etat a admis que la différence de traitement est concevable, à condition que ce soit pour une période limitée, d’une part, et qu’elle soit justifiée par des considérations impérieuses d’intérêt général, d’autre part.

« les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont des bénéficiaires

éventuels et potentiels de l’expérimentation, mais pas tous : la formule constitutionnelle implique l’exclusion d’une catégorie d’EPCI, les syndicats mixtes »481. En effet, la formulation retenue nous laisse penser que les EPCI à fiscalité propre seront ceux qui demanderont à expérimenter des compétences issues notamment de certaines collectivités territoriales.

Le professeur AUBY souligne dans le cadre de la révision constitutionnelle que « les

transferts de compétences à titre expérimental peuvent donc être accompagnés de l’octroi de pouvoirs normatifs exceptionnels permettant aux collectivités d’écarter des dispositions nationales, que celles-ci soit réglementaires ou législatives »482.

L’analyse de ce nouvel article 72 alinéa 4 de la Constitution soulève quelques difficultés d’interprétation comme le concède le professeur MOREAU. Le contenu de l’article précise qu’il faudra l’intervention d’une loi organique qui fixera les conditions du recours à

l’expérimentation. De plus, elle soit voit interdire des domaines liés aux droits fondamentaux. Elle sera bien évidemment facultative et non obligatoire (« les collectivités peuvent… »). L’expérimentation vaut alors nécessairement dérogation et ne porte que sur « l’exercice de leurs compétences ».

Aussi, ce dernier point soulève de nombreuses interrogations. Pour le professeur MOREAU, « que faut-il entendre par exercice des compétences ? L’expression vise les pouvoirs

juridiques dévolus aux collectivités locales ; exclut-elle les limites territoriales de ces collectivités ?... »483.

Bien que suscitant des interrogations quant à son contenu, l’article 72 alinéa 4 de la Constitution, « était en revanche d’une absolue nécessité pour dépasser les limites à

l’expérimentation par les collectivités territoriales tracées par le juge constitutionnel » 484. A ce stade, nous pouvons tenter de distinguer les deux formes d’expérimentations inscrites dans la Constitution. Le statut constitutionnel de l’expérimentation issu de l’article 72 alinéa 4 se distingue principalement sur deux points de celui de l’article 37-1 : la procédure

481

J.-M. PONTIER, « La loi organique relative à l’expérimentation locale », AJDA, 2003, p. 1715

482

J. -B. AUBY, J.-F. AUBY et R. NOGUELLOU, Droit des collectivités locales, Paris, PUF, 3e éd., 2004, p. 213

483

Jacques MOREAU, « De l’expérimentation », JCP Administrations et Collectivités territoriales, Dossier spécial : projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, 28 octobre 2002, p. 98

484

Patrick JANIN, « L’expérimentation juridique dans l’acte II de la décentralisation », JCP Administrations et Collectivités territoriales, 10 octobre 2005, p. 1526

d’expérimentation et l’objet de l’expérimentation. Alors que « l’expérimentation étatique », au sens de l’article 37-1, peut être mise en œuvre par l’Etat agissant directement par la loi ou par décret, et ainsi mettre en place des transferts de compétences expérimentaux au profit des collectivités territoriales, la mise en œuvre du pouvoir d’expérimentation par les collectivités territoriales est rigoureusement organisé par l’article 72 alinéa 4 de la Constitution et

complété, nous le verrons dans la section suivante, par la loi organique du 1er août 2003, qui ensembles, créent un dispositif très développé. Ce dispositif encadre étroitement, selon Patrick JANIN, « la capacité des collectivités territoriales, désormais reconnue, à adapter

elles-mêmes et temporairement les règles de droit relatives à l’exercice de leurs compétences ».

Au fond, il s’agit de leur conférer un pouvoir normatif leur permettant de déroger aux dispositions législatives et réglementaires. Ce n’est plus l’Etat qui expérimente au profit des collectivités territoriales en mettant en œuvre sa compétence législative ou réglementaire, mais les collectivités territoriales elles-mêmes. Pour JANIN, « la possibilité de permettre aux

collectivités territoriales de déroger elles-mêmes à la loi ou au règlement national, certes temporairement puisqu’à titre expérimental, constitue sans aucun doute le bastion avancé d’une décentralisation à laquelle le droit continue de reconnaître qu’une nature

administrative ».

Les apports de cette révision constitutionnelle sont de premier ordre. En effet, le premier soin de cette révision en matière d’expérimentation est de faire « sauter le verrou » posé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 janvier 2002 relative à la Corse. Les

collectivités territoriales peuvent désormais déroger à titre expérimental aux dispositions aussi bien législatives que réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences485. Nous devons alors distinguer deux formes d’expérimentation. Il faut effectivement distinguer les expérimentations qui se situent dans le cadre des normes existantes (qui n’entraînent la modification d’aucune norme pour pouvoir se dérouler, c'est-à-dire relevant de l’article 37-1) et celles qui sont dérogatoires à une norme, législative ou réglementaire. Aussi, c’est cette seconde catégorie qui a nécessité l’adoption de l’article 72 alinéa 4 de la Constitution et qui est parfaitement bien illustré par la sanction du Conseil constitutionnel sur la loi relative à la Corse.

485

Pour JANIN, c’est le titre juridique qui faisait défaut au législateur jusqu’ici pour déléguer sa compétence aux collectivités territoriales.

Outline

Documents relatifs