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La compétence du législateur dans le processus de transfert obligatoire de compétences

LES TRANSFERTS OBLIGATOIRES

A. La compétence du législateur dans le processus de transfert obligatoire de compétences

Nous avons vu dans la première partie de notre étude que les collectivités territoriales disposaient d’une clause générale de compétence, leur permettant de se saisir de toute

question d’intérêt local, départemental ou régional. Pour autant, elle ne permet pas une liberté totale d’intervention des collectivités dans la mesure où l’Etat leur a assigné certains

domaines de compétences propres. Cette répartition a été effectuée par blocs de compétences, qui malgré l’intention louable du législateur n’a pas permis une délimitation précise des domaines d’intervention400. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003, a marqué un approfondissement de la décentralisation en réécrivant le titre XII de la Constitution, insufflant un nouvel esprit aux transferts de compétences401. Nous allons donc présenter le processus de ces transferts de compétences en tenant compte des apports de cette révision.

Ainsi, tout transfert de compétence obligatoire de compétence au profit des collectivités territoriales s’opère par une loi qui peut être organique402 ou ordinaire.

400

J.-F. BRISSON, « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales », AJDA, 2003, p. 529. Le professeur BRISSON explique que pour ce qui est de la clarification des compétences, il est à peine nécessaire de souligner combien ce thème illustre le décalage entre le discours politique et la raison juridique. Celle-ci met en avant l’impossibilité de donner une définition matérielle stricte aux compétences des collectivités locales permettant de distribuer de manière claire et cohérente les compétences en fonction des territoires.

401

La notion de transfert de compétence figure désormais au sein de la Constitution à l’article 72-2 alinéa 4.

402

La Constitution prévoit six lois organiques en matière de droit des collectivités territoriales. Elles sont relatives à l’expérimentation (article 72-1 al.2), à la part déterminante des recettes fiscales et des recettes propres au sein des ressources des collectivités territoriales (article 72-2 al. 3), aux conditions dans lesquelles des habilitations peuvent être attribuées aux départements et régions d‘outre mer pour adapter les règles nationales

Nous nous intéresserons principalement, dans ce paragraphe aux transferts de compétences obligatoires dans le cadre des lois ordinaires. Nous reviendrons cependant sur certaines de ces lois organiques adoptées dans le cadre de l’expérimentation et de l’autonomie financière des collectivités territoriales, ne traitant pas celles relatives à l’outre mer.

En vertu de l’article 34 de la Constitution, « la loi détermine les principes fondamentaux : - de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs

ressources ». A ce titre, nous pouvons mettre en avant la compétence expresse du législateur dans le processus du transfert de compétences au détriment du pouvoir réglementaire de l’article 37 de la Constitution403.

Comme le souligne le professeur FAVOREU404, « la matière des collectivités territoriales est

certainement l’une de celles dans lesquelles l’interprétation initiale des articles 34 et 37 de la Constitution a été la plus clairement démentie par l’évolution ultérieure ». En effet, pour

l’auteur, il a d’abord été soutenu, dans les années soixante, que la loi aurait une place limitée en matière locale au motif que « l’article 34 ne prévoyait la compétence législative que pour

« déterminer les principes fondamentaux » et non pour « fixer les règles » ».

Or, comme nous pouvons le constater, le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’Etat ont « gommé » la distinction entre détermination des principes et fixation des règles et ont ainsi progressivement étendu le domaine de la loi.

Le professeur FAVOREU constate alors, à la lecture du Code général des collectivités territoriales, que la matière est largement législative. Il affirme ainsi qu’il ne saurait en être autrement, car « le principe de libre administration des collectivités territoriales implique

pour sa mise en œuvre le respect d’une substantielle « réserve de loi » »405.

La compétence du législateur a été ainsi entendue de façon extensive parce qu’elle protégerait, selon le professeur VERPEAUX, « mieux que ne pouvait le faire le pouvoir

sur leur territoire (article 73 al. 6), à la liste des compétences qui ne pourront pas faire l’objet d’un pouvoir d’adaptation par les départements et régions d’outre mer ( article 73 al. 4) ou les collectivités d’outre mer (article 74 al. 4)

403

Article 37 de la Constitution : « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire »

404

Louis FAVOREU, « La loi, le règlement et les collectivités territoriales », AJDA, 2002, p. 561

405

Nous pourrions résumer la situation actuelle en constatant que la décentralisation relève de la loi tandis que la déconcentration peut être opérée par voie réglementaire. Le professeur FAVOREU remarque cependant à cet égard que même la déconcentration - un des derniers bastions de la compétence réglementaire – n’est pas à l’abri des incursions du pouvoir législatif, ainsi qu’il a été constaté, notamment avec la loi d’orientation pour le développement et l’aménagement du territoire du 4 février 1995

réglementaire soupçonné à tort ou à raison d’être plus « étatiste » que le législateur, le principe de libre administration »406.

Cependant, dans le cadre des transferts obligatoires de compétences, le pouvoir réglementaire n’est pas dépourvu de tout pouvoir d’intervention dans la mesure où il est nécessaire pour la mise en œuvre des règles posées par le législateur. Les modalités d’application des lois de transferts obligatoires de compétences passent nécessairement par le pouvoir réglementaire d’exécution des lois.

L’article 72 alinéa 3 de la Constitution dispose que « dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ». Les transferts de compétences obligatoires de compétences sont donc régis par les articles 34 et 72 de la Constitution. L’article 34 laisse le soin au législateur de fixer les domaines de compétences qui seront transférées aux collectivités territoriales et l’article 72 précise dans quelles conditions elles pourront les exercer.

Pour mieux appréhender la notion de transferts de compétences obligatoires, nous pouvons réaliser un parallèle avec l’exercice des compétences dans un Etat fédéral.

Dans un Etat fédéral, les compétences de la fédération et des Etats fédérés sont déterminées par la Constitution fédérale et sont protégées par le juge constitutionnel qui assure le respect de ce partage des compétences entre les différents niveaux. Dans un Etat unitaire, c’est la loi qui fixe essentiellement les compétences de chacun des niveaux d’administration et c’est le juge administratif qui censure tout acte contraire à la loi, que ce soit celui d’une collectivité territoriale, ou celui d’une autorité réglementaire française.

Ainsi, lorsque le législateur décide de transférer des compétences aux collectivités, il bénéficie d’une certaine liberté de choix dans la matière qui fera l’objet du transfert, devant néanmoins respecter la libre administration des collectivités au sens de l’article 72 de la Constitution407. Les transferts obligatoires de compétences peuvent donc recouvrir de

nombreux domaines tant qu’ils ne lèsent pas le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Celles-ci ne peuvent pas s’opposer à ce transfert (d’où le

406

Michel VERPEAUX, Les collectivités territoriales en France, 2eme éd., Dalloz, 2004, p. 62

407

Nous ne reviendrons pas sur la notion de libre administration des collectivités territoriales, dans la mesure où nous avons présenté cette notion dans la première partie de notre étude.

qualificatif de transfert obligatoire) et sont dans l’obligation de réceptionner ces nouvelles compétences mises à leur charge.

La compétence du législateur en matière de transferts de compétences obligatoires a été régulièrement affirmée par le Conseil constitutionnel. Ainsi, le Conseil a précisé qu’il revenait au Parlement de « définir les compétences respectives de l’Etat et des collectivités

territoriales »408 et de « déterminer les transferts de compétence entre l’Etat et les collectivités territoriales, de même que la répartition entre plusieurs catégories de collectivités territoriales de leurs attributions respectives »409.

Nous pouvons enfin noter que les lois de transferts obligatoires de compétences se sont multipliées à partir de 1983 jusqu’à celle du 13 août 2004, construisant au fur et à mesure un rôle dominant pour chaque échelon d’administration. Aussi, nous ne détaillerons pas

l’intégralité des compétences des trois niveaux de collectivités territoriales, évitant de retranscrire mot pour mot les articles du Code générale des collectivités territoriales, nous présenterons les compétences principales. Ainsi, la région est surtout une collectivité chargée du développement économique, puisqu’elle est compétente en matière de planification

économique et de programmation des équipements. Ces attributions sont codifiées à l’article L. 4211-1 du Code général des collectivités territoriales.

Le département a été conçu en 1983 plutôt comme une collectivité gestionnaire, tournée vers les services et les actions de solidarité. Il a donc reçu à ce titre de nombreuses compétences obligatoires en matière d’aide et d’action sociale. Mais à la différence de la région, les

compétences départementales ne sont pas énumérées. L’article L. 3211-1 du Code général des collectivités territoriales dispose que « le conseil général règle par ses délibérations les affaires du département ». Aussi, l’interprétation d’une telle disposition dépend de l’intensité des besoins ressentis ainsi que de l’appréciation portée par le juge administratif ainsi que des compétences transférées à son niveau par le législateur.

Enfin, la commune comme le département ne fait pas l’objet dans le Code général des collectivités territoriales d’une liste énumérative de compétences, n’intervenant que dans le cadre de sa clause générale de compétence de l’article L. 2121-29 du Code et dans les

domaines de compétences que l’Etat a mis à sa charge. Comme le note Michel VERPEAUX,

408

Conseil constitutionnel, décision n° 90-274 DC du 29 mai 1990, Droit au logement

409

Conseil constitutionnel, décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse

« les lois de décentralisation n’ont pas bouleversé, à la différence des régions et des

départements, les compétences des communes »410.

Pour donner quelques exemples, les communes ont reçu principalement des compétences en matière d’urbanisme (elles ont acquis une autonomie de décision et une liberté de conception dans l’élaboration des documents réglementaires d’urbanisme) ou d’enseignement avec la charge des écoles élémentaires et préélémentaires (création et implantation des écoles, gestion et financement sauf les rémunérations des enseignants, élaboration de la caret scolaire)…

En conclusion, les transferts obligatoires de compétences ont défini, parfois avec des contours fluctuants, les domaines d’intervention des trois échelons de collectivités territoriales. Mais, cette répartition des compétences opérées par le législateur peut parfois aboutir à un véritable enchevêtrement des compétences411, étant alors en opposition avec l’esprit de la

décentralisation. Nous pensons que cela est dû à l’évolution de la signification des transferts de compétences.

B. La signification évolutive de la notion de transferts de compétences dans le cadre

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