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L’affirmation du principe constitutionnel de la décentralisation

L’OBJET DES TRANSFERTS DE COMPETENCES

A. L’affirmation du principe constitutionnel de la décentralisation

La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a été qualifiée de « réforme d’envergure »94 par le professeur FAVOREU, mesurant alors l’ampleur des modifications apportées à la

Constitution de 1958. A la différence des lois de décentralisation adoptées en 1982 et 1983, la voie était ouverte afin de procéder à une révision constitutionnelle du droit des collectivités territoriales. En effet, « la réforme recueille l’assentiment du Président de la République, du

gouvernement, de l’Assemblée Nationale et du Sénat alors qu’en 1981-82, ce dernier était opposé aux changements voulus par la Gauche »95. Aussi, nous n’examinerons pas

l’intégralité de la révision constitutionnelle dans la mesure où tous les manuels de droit administratif y consacrent de longs développements. D’une manière synthétique, le

constituant a voulu par cette réforme, engager la République dans une décentralisation plus poussée, qui passe par une redéfinition des compétences, une garantie du financement de ces nouveaux transferts de compétences opérés au profit des collectivités territoriales, et la possibilité pour elles de mettre en œuvre des expérimentations96.

La révision constitutionnel intègre la décentralisation comme principe constitutionnel en modifiant l’article premier de la Constitution97. L’affirmation du principe de l’organisation décentralisée de l’Etat a suscité de vives réactions parmi la doctrine provoquant de

nombreuses interrogations voire une vague de contestation.

La portée de cette affirmation ne peut être que symbolique, car, par définition, la

décentralisation est un mode de distribution du pouvoir à l’intérieur d’un Etat unitaire, et se situe, dans la conception française, sur un plan strictement administratif, à l’inverse du fédéralisme qui est bien d’ordre politique et constitutionnel. Le professeur PONTIER

93

La théorie de la nouvelle gouvernance repose sur le constat selon lequel l’Etat ne doit plus avoir le monopole de l’intérêt général. J.-P RAFFARIN, Pour un nouvelle gouvernance, L’Archipel, 2002

94

L. FAVOREU « Une réforme d’envergure », JCP Administrations et Collectivités territoriales, 28 octobre 2002, p. 95

95

Idem

96

C. DEBBASCH, F. COLLIN, Droit administratif, Paris, Economica, 7°éd, 2004, p.182.

97

L’article premier de la Constitution est ainsi modifié : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans discrimination d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. « Son organisation est décentralisée » »

s’interroge car, « le fait d’inscrire une telle affirmation dans la Constitution n’apporte rien,

semble-t-il, cela ne peut que troubler et affaiblir le sens du texte constitutionnel »98. De plus,

la portée symbolique de cette affirmation est justifiée sur un plan juridique. En effet, ce n’est pas la République qui est décentralisée mais l’Etat. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Conseil d’Etat avait émis un avis défavorable à propos de cet article. Tout au plus, cette affirmation relève, toujours selon PONTIER, de la banalité. Il est évident que la France est un Etat décentralisé et personne ne conteste aujourd’hui le principe même de la décentralisation. Ces interrogations étaient également relayées par Yves JEGOUZO99 qui ne voyait pas la nécessité d’affirmer l’organisation décentralisée de la République, compte tenu de la reconnaissance antérieure du principe de libre administration des collectivités territoriales.

Bien plus que l’affirmation de l’organisation décentralisée de la République, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 procède à la modification en profondeur du titre XII de la Constitution relatif aux collectivités territoriales. En matière d’organisation administrative et territoriale, cette révision est la plus importante depuis 1958, même si elle ne modifie pas la pyramide des collectivités et des niveaux d’administration. Selon le professeur VERPEAUX, cette révision « fait preuve d’une certaine audace, car elle met fin à un immobilisme en

matière d’organisation administrative et à une forte tradition centralisatrice »100 Notre attention a été retenue par la rédaction de l’article 72 alinéa 2101 qui constitutionnalise le principe de subsidiarité102, sans en donner ce vocable. La référence à cet article est de nature à accroître les champs d’intervention des collectivités pouvant alors bouleverser les règles traditionnelles des transferts de compétences et d’instituer le principe de subsidiarité comme mode d’élaboration de la décision administrative. Robert HERTZOG déclare que la

constitutionnalisation du principe de subsidiarité « est une vraie adjonction à la

98

J.-M PONTIER, « La République décentralisée de J.-P.RAFFARIN », Revue administrative n°332, mars 2003, p. 188

99

Y. JEGOUZO, « Un Etat décentralisé », AJDA, 24 mars 2003, p. 513

100

M. VERPEAUX, « La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République : libres propos », RFDA, juillet 2003, p. 661

101

Article 72 al. 2 de la Constitution : « Les collectivités territoriales ont vocation a prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon »

102

Le principe de subsidiarité est une notion de droit communautaire qui a été introduit par l’Acte unique européen de 1986 dans le domaine de la politique de l’environnement. Il a ensuite été étendu à l’ensemble des actions et des politiques de la Communauté européenne par le traité de Maastricht. L’article 5 alinéa 2 du traité CE énonce que « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté

n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire »

Constitution, lourde de développements potentiels, qui dépendront de ce qu’acceptera le juge »103

Comme le relève le professeur BRISSON, « le principe de subsidiarité ne permet en effet

d’établir aucune délimitation matérielle des compétences locales, pas plus qu’il ne limite - bien au contraire- l’aptitude générale des collectivités locales à se saisir des affaires qu’elles jugeraient d’intérêt public local »104 Pourquoi alors avoir transposer un principe de droit communautaire au sein de notre Constitution ?

Le professeur BRISSON tente d’apporter quelques éléments de réponse. L’idée de subsidiarité met en avant d’une certaine façon la vocation générale des collectivités territoriales à exercer des fonctions administratives au même titre que l’Etat qui n’a plus vocation à les absorber toutes. La rédaction retenue suggère à la fois l’idée de spécialisation des compétences par « échelon » et celles d’ « ensembles » homogènes de compétences. Finalement, il semblerait que le législateur ait voulu graver dans le marbre constitutionnel le principe des « vocations » des collectivités issus des lois de répartition de compétences de janvier et juillet 1983.

Il semble alors nécessaire de recourir aux travaux parlementaires105 pour appréhender le sens du principe de subsidiarité, tel qu’il est inscrit dans la Constitution. Ces rapports partent du constat que l’Etat central ne peut plus aujourd’hui agir seul de façon efficace et qu’il convient d’organiser le transfert de tout ou partie des compétences afférentes vers les collectivités locales. Nous retrouvons ici la notion de transferts de compétences verticaux qui d’après la Constitution, commande non pas le dessaisissement de l’Etat, mais l’obligation de recentrer ses missions sur ses fonctions essentielles106. Si l’article 72 semble devoir imposer désormais au législateur de rechercher avant tout transfert de compétences l’échelon d’administration territoriale le plus adéquat pour sa mise en œuvre, la portée juridique de cette disposition reste ambiguë. En effet, lorsque le législateur souhaitera procéder à de nouveaux transferts de compétences, il devra non seulement définir les niveaux d’administration qui seront les mieux placés pour exercer ces compétences, mais également les modalités de regroupement de ces

103

R. HERTZOG « L’ambiguë constitutionnalisation des finances locales », AJDA, 2003, p. 548

104

J.-F. BRISSON « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétences entre l’Etat et les collectivités locales », AJDA, 24 mars 2003, p.529

105

Pascal CLEMENT, Rapport fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, Assemblée Nationale, n°376, 13 novembre 2002 et René GARREC, Rapport fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, Sénat, n°27, 23 octobre 2002

106

Ce nouveau principe constitutionnel vise à de nombreux transferts de compétences vers les collectivités locales et non, comme en droit communautaire, à faire remonter vers le niveau central les compétences qui ne sauraient être utilement exercées par les collectivités de base.

compétences. La rédaction de l’article 72 alinéa 2 n’offre dans ce cas ni repères ni garde fous suffisants. Ainsi, le gouvernement a été accusé de mettre « la charrue avant les bœuf » par le Doyen BOURJOL107.

La volonté de relancer la décentralisation emporte, selon nous, ces querelles de clocher et il ne faut pas oublier de souligner que les transferts de compétences verticaux font aujourd’hui de plus en plus souvent l’objet d’une expérimentation préalable avant de devenir définitif. Aussi, la rédaction du nouvel article 72 de la Constitution laisse entrevoir de réelles avancées. Cette rédaction atteste de ce que chaque collectivité territoriale à désormais, dans le respect des attributions aux autres collectivités, une vocation générale à assurer la satisfaction de l’intérêt public local et à disposer à cette fin d’attributions effectives. Ainsi, la Constitution consacre pleinement une vision à la fois dynamique et réaliste de l’action locale qui tranche avec la léthargie dans laquelle s’était plongée le processus décentralisation. C’est donc en toute logique que le législateur à adopter, à la suite de cette révision constitutionnelle une nouvelle loi de transferts de compétences.

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