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De l’utilitaire vers le « mieux­être » : Etude comparative de films sur la pratique physique au troisième âge

 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

22.  De l’utilitaire vers le « mieux­être » : Etude comparative de films sur la pratique physique au troisième âge

Un parallèle entre deux films réalisés à une quinzaine d’années d’intervalle nous semble opportun pour observer, à travers une focale spécifique, les évolutions et les permanences du discours d’éducation pour la santé. La première des deux productions, intitulée « Les activités physiques des personnes âgées », conjointement réalisée par la CNAMTS, la CNAVTS309 et le COFRESS, date de la fin des années 1960 (entre 1967 et 1970). Elle s’inscrit dans la collection Je voudrais savoir, diffusée sur la première chaîne de l’ORTF jusqu’en 1976. Le second film, « Les pratiques corporelles lors du vieillissement », diffusé sur TF1 dans le cadre de la série Objectif santé entre 1982-1984, est une production de la CNAMTS, avec le concours de la CNAVTS.

Film 1 Film 2

Titre Les activités physiques des

personnes âgées

Les pratiques corporelles lors du vieillissement

Année 1967-1970 1982-1984

Série Je voudrais savoir Objectif santé

Durée 11min 10s 10min 03s

Producteurs CNAMTS/CNAVTS/COFRESS CNAMTS/CNAVTS

Tableau 15 : descriptif des films analysés (1 et 2) 

   

D’une durée presque identique, les deux films comportent également des constructions similaires. Ils sont notamment tous deux basés sur le principe de « témoignages » de pratiquants. Le premier est un reportage centré sur le suivi d’une personne âgée, accompagnée dans sa vie quotidienne, pour observer dans quelle mesure il est possible d’intégrer un temps de pratique au cours d’une journée. Le second film nous présente les témoignages de nombreux adeptes des exercices physiques, des deux sexes, qui exposent les bienfaits des différentes activités. Dans ce deuxième cas, d’autres personnages sont également interrogés, dont un médecin, un kinésithérapeute, deux intervenantes (gymnastique et yoga) et une coiffeuse.

       

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Après une première analyse, il est possible de percevoir que les deux films se rapprochent sur certains points. En effet, les pratiques physiques qui y sont conseillées sont similaires et se réduisent aux activités de base : natation, marche à pied, mais surtout à la gymnastique volontaire. Dans tous les cas, le ton général du film insiste sur la nécessité d’aborder ces pratiques non pas dans un esprit de performance, de compétition ou de « sport d’élite » mais prône une pratique modérée et correctement encadrée : « il ne s’agit pas de

parvenir à des performances » (film 1). L’activité physique y est mise en exergue comme un

lieu de socialisation inédit et indispensable pour les personnes âgées. Ainsi, à la question

« Que vous apportent les séances de gymnastique ? », une dame répond : « un contact entre nous, un contact humain. Et puis ça nous apprend à vivre entre nous, des personnes du troisième âge, et nous créons des relations » (film 1). Cela permet de les sortir de leur

quotidien et dans une certaine mesure d’éviter l’isolement caractéristique de cette catégorie d’âge. C’est sur ce point que la première distinction entre les deux documents nous apporte un éclairage spécifique. Le premier film, « Les activités physiques des personnes âgées », s’arrête longuement sur cette notion d’isolement social et humain, sur la dépendance physique et la nécessité de les retarder et des les combattre par l’exercice physique, qui s’impose donc comme un remède préventif relativement efficace. De ce fait, cette production insiste beaucoup sur le versant « utilitaire » de la pratique physique, sur une transposition dans les activités du quotidien, ce qui met donc en avant toute l’utilité de la gymnastique volontaire :

« ici les mouvements sont simples, arrondis, sans saccade. […] redécouvrir un mouvement, avec son prolongement utilitaire. C’est un exercice de tous les jours, contre l’ankylose. Chez soi il faut s’accroupir pour ramasser un objet. Alors, réapprenez à plier les genoux ! ». Une

autre scène montre une personne âgée dans un escalier, montant chez elle. On l’interroge :

« Et vos cinq étages, ça vous aide à les monter ? » – Elle répond : « Oh oui, ça va. Je suis entraînée » (film 1).

Cette fonction utilitaire disparaît quelque peu dans le second film, réalisé au début des années 1980, au profit de la notion de « mieux-être » et de la mise en avant de la nécessité de conserver un « esprit sain dans un corps sain ». Le maintien des activités physiques est présenté comme permettant de rester jeune dans son corps mais aussi désormais dans sa tête. L’aspect esthétique, la transformation du schéma corporel, des aspects du corps sont des problématiques développées dans le scénario. Elles apparaissent au détour d’une interview avec une coiffeuse abordant la question de l’esthétique ou d’un entretien avec un médecin à propos des relations amoureuses au troisième âge. L’accent est ici davantage porté sur le côté social et humain, voire affectif que peuvent procurer certaines pratiques, dans le souci de soi

et ses relations aux autres. Lutter contre les effets de l’âge n’est donc plus seulement être en mesure de se mouvoir physiquement ou de rencontrer d’autres personnes âgées, c’est aussi conserver tout un ensemble d’interactions sociales et affectives comparables à celles des personnes plus jeunes. Ce paradigme du bien-être entraîne une reformulation des priorités. Naissent donc des réflexions autour de la détente, de la respiration, de l’équilibre nerveux, notamment par l’apparition de pratiques plus « psychologisées » comme le Yoga. Ainsi le médecin conclut le second film en résumant sa portée symbolique : « apprivoiser son

vieillissement, c’est y faire face, c’est retrouver la confiance en soi et finalement, c’est se trouver bien dans sa peau » (film 2). Ici, certaines questions autour de la sexualité des

personnes âgées, de leur apparence physique, de la prise de conscience des mouvements et de leur corps, montrent comment naissent des préoccupations d’ordre social et non plus simplement d’ordre physique ou adaptatif. La maîtrise des sensations corporelles aide à accepter et à dompter la diminution des capacités physiques provoquées par la vieillesse. Par un entretien physique adapté, les seniors s’assument davantage et retrouvent un rythme de vie plus « naturel » : saine fatigue, meilleur sommeil, réduction de médicaments, mieux être social… La mise en avant de l’aspect utilitaire dans le premier film montre que la pratique physique doit proposer des finalités concrètes et transposables au quotidien pour que les personnes âgées s’investissent et deviennent plus volontaires. Dans le second, les justifications de pratiques se tournent davantage vers la recherche d’activités amenant à la fois un mieux être physique et social, mais aussi la sensation d’être bien dans son corps et l’idée de profiter de sa retraite plutôt que de la subir. Ne plus simplement retarder sa vieillesse mais en quelque sorte l’apprivoiser pour vieillir heureux et en forme tout en restant acteur de la vie sociale. Enfin, nous pouvons remarquer que le discours est réparti différemment dans le second film dans la mesure où le savoir exprimé s’équilibre entre différentes cautions : médecin, professeur d’activité physique, kinésithérapeute…Ces « personnes ressources » représentent différents pôles de justification qui renforcent la qualité argumentaire du scenario, qui n’est plus envisagé sous un angle unique car le propos se diversifie en faisant appel à des registres complémentaires et nouveaux. Ce film illustre la manière dont le discours légitime sur la santé du corps tend à se partager : la pratique physique est justifiée par différents intervenants et non plus uniquement par un médecin hégémonique et détenteur du savoir.

Du point de vue des pratiques de loisirs, le film des années 1960 (film 1) aborde cette problématique chez les personnes âgées essentiellement dans l’optique d’une prévention des accidents ou de la dégradation subite des capacités motrices. Il aborde la nécessité de

pratiquer une activité physique à travers une démarche exclusivement utilitariste. Il propose des solutions pour insérer des temps d’exercice dans la vie quotidienne, notamment grâce aux clubs de 3ème âge. Deux aspects sont ici mis en avant : dédramatiser la pratique physique et valoriser l’aspect social et humain qu’elle peut et doit apporter. Cette lutte contre l’isolement social et la déchéance physique est également abordée dans le second film, qui dépasse ce simple constat pour valoriser l’image généralisée d’une retraite active. L’épanouissement corporel permet ici d’atteindre un bien-être psychologique et un état d’équilibre physique et affectif dans la société. L’amalgame « beauté-santé-bien-être » valorise la pratique sportive comme pierre angulaire d’une nouvelle catégorie de retraités, plus active. Cette dynamique concorde, par exemple, avec la production d’autres films comme « Le troisième âge actif » (1979-1982).

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