• Aucun résultat trouvé

 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

1.  Réflexions épistémologiques

1.1.  Histoire et Cinéma : réflexion sur « les formes cinématographiques de 

l’histoire »3 

Avant toute autre chose, il parait heuristique de questionner le statut de l’archive cinématographique comme matériau de recherche. Le thème du cinéma et de sa place dans l’histoire, ou celui du film d’histoire dans le genre cinématographique, ont été l’objet de nombreux essais4. Le mouvement de recherche qui lie l’histoire et le cinéma nait dans les années 1950, notamment autour des travaux de Robert Mandrou5. Les décennies suivantes se sont avérées particulièrement prolifiques sur ce nouvel objet de recherche6. Les réflexions s’orientent dans deux directions, entre lesquelles il est nécessaire de faire une distinction : d’un côté le film (à base) d’archives, et de l’autre le film (étudié) comme archive. Dans ces deux cas, l’historien se trouve confronté à une problématique de l’utilisation des images d’archives face à la scénarisation subjective de leur traitement cinématographique.

En premier lieu, de nombreux travaux s’intéressent donc à la production de films à caractère historique et questionnent la représentation de l’image d’archive dans le cinéma de fiction ou de non fiction (documentaire). Laurent Véray propose, par exemple, une réflexion sur la subjectivité de la réalisation et de l’analyse, puisque selon lui, « le risque majeur est la

perte de sens de toutes ces images polysémiques, car nous n’avons plus toujours les bons référents socioculturels pour comprendre et interpréter correctement ce qu’elles représentent »7. Retenons donc que ces documents doivent être maniés et analysés avec précaution, ne serait-ce que par les difficultés qu’ils posent à l’historien : difficultés de        

3

Antoine de Baecque, Les formes cinématographiques de l’histoire, 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 51 | 2007, mis en ligne le 01 mai 2010.

4

Par exemple Jérôme Bimbenet, Film et histoire, Paris, Armand Colin, 2007 ou Antoine de Baecque et Christian Delage (dir.) De l’histoire au cinéma, Paris/Bruxelles, Complexe, 1998. Voir également Pierre Sorlin et François Garçon, L’historien et les archives filmiques, Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, n°2, avril-juin 1981, pp. 344-357

5

Robert Mandrou, Histoire et Cinéma, Annales E.S.C., n° 1, janvier-mars 1950, p. 149. 6

Pascal Dupuy, Histoire et cinéma. Du cinéma à l'histoire, L'Homme et la société, 2001/4 n° 142, p. 91-107. 7

datation, d’authenticité, d’identification…8. A l’instar d’autres sources documentaires, le film sanitaire doit être soumis à un appareil d’analyse critique9.

Dans un second temps, d’autres travaux – moins nombreux – cherchent à saisir la valeur historique d’un document cinématographique, en tant que miroir d’une époque et des représentations qui y sont véhiculées. Ils évoquent notamment les écueils soulevés par les chercheurs quant à l’utilisation de l’image comme source historique : « Il est évident qu’un

film et un ouvrage historique ne peuvent pas représenter de façon équivalente le passé […] Les archives filmiques portent en effet la trace d’une époque, ou plus exactement d’un regard porté sur une époque »10. Ce second aspect de l’histoire culturelle du cinéma accompagne nos recherches, dans la manière d’appréhender des productions cinématographiques comme matériau de travail et d’analyse socio-historique. Le scénario et l’écriture cinématographique induisent cependant un certain nombre d’obstacles. Il convient donc de se prémunir, dans l’étude d’un tel fond, contre une interprétation anachronique mais aussi contre une vision enchantée voire « romantisée » de la réalité. Du moins, comme le précisent Delage et Guigueno, « on peut et on doit repérer dans les films l’influence des représentations diffuses

d’une société à un moment donné, mais il convient également de décrire comment le cinéma, à son tour, produit une imagerie qui tend à infléchir lesdites représentations »11. Les films représentent donc une construction de la réalité à un instant donné et participent à la constitution de l’ensemble des savoirs disponibles, c'est-à-dire à la définition d’une « épistémè »12 entendue comme la somme des ressources ou connaissances, cognitives, pratiques ou techniques temporairement disponibles dans une société ou propres à un groupe social particulier.

La sociologie de la télévision ou du cinéma peuvent également être des outils dans l’analyse de la production, réalisation et réception de tels documents. Ils consistent à étudier la façon dont les productions filmiques construisent et diffusent des représentations. Selon Eric Macé, le film peut donc être considéré comme un texte : « Acceptons l’idée que la

culture de masse, et en particulier celle produite par la télévision, soit, comme tout objet ou fait social, le produit « objectivé » d’un ensemble de médiations inscrites dans des rapports sociaux, et dont la fixation dans un produit culturel particulier (un téléfilm, un reportage, une publicité, etc.) n’est jamais qu’un moment dans un processus continu de « configuration » et

       

8

Pascal Dupuy, art. cit., p. 93. 9

Antoine Prost, op. cit. 10

Laurent Véray, art. cit. 11

Christian Delage, et Vincent Guigueno, L’historien et le film, Paris, Gallimard, 2004, p. 20. 12

de « reconfiguration » des représentations symboliques du monde dans lequel se trouvent les individus »13. Le film n’est donc qu’un miroir qui propose à chacun de s’approprier une vision possible de la réalité : « L’effet de réel engendré n’est justement qu’un effet, l’image

n’approche qu’une forme de la réalité qu’elle veut montrer car une image est subjective et représente finalement « autre chose » qu’elle-même […] L’image symbolise le point de vue de son auteur. Elle est donc le résultat d’une représentation et transfigure la réalité, cette réalité est subjective »14. Ces affirmations sont d’autant plus pertinentes dans le cas des films scientifiques ou sanitaires de vulgarisation, qui oscillent de manière permanente entre éducation et « propagande »15, et se parent d’une dimension idéologique ou revendicative forte. L’état des connaissances théoriques mobilisées se conjugue ainsi aux justifications éthiques qui justifient la forme du discours véhiculé, dans une double dimension dont Gusfield a modélisé les contours16.

A partir de la seconde moitié du XXème siècle, ces films relaient les discours de santé publique de l’Etat ou des dernières grandes associations philanthropes et les scénarios proposés semblent parfois présenter une vision simplifiée de la réalité à destination du grand public. Tout au moins, certaines conditions sont imposées aux réalisateurs par les structures sanitaires de l’Etat qui les financent. Nous supposons a priori une orientation propagandiste du discours en faveur des décisions et des actions menées par les institutions de Sécurité Sociale. Comme le remarque François Porcile, ce type de film « ne répond qu’à des critères

utilitaires »17. La vulgarisation scientifique ou d’hygiène sociale induit donc une vision partisane de la réalité, dépouillée de l’inutile, qui cherchera davantage à encenser les actions        

13

Éric Macé, Qu'est-ce qu'une sociologie de la télévision ? (2) esquisse d'une théorie des rapports sociaux

médiatisés les trois moments de la configuration médiatique de la réalité : production, usages, représentations,

Réseaux, 2001/1 n° 105, p. 201. 14

Jérôme Bimbenet, op. cit., p. 12. 15

Sur la distinction entre le « film d’enseignement » et le « film de propagande », voir l’ouvrage de François Porcile, Défense du court métrage français, CERF, Paris, 1967, pp. 223-237.

Le terme de « propagande » est connoté différemment suivant les périodes de l’histoire. Contrairement à l’usage moderne qui en est fait, elle désigne à l’origine, d’un point de vue étymologique, l’action de propager (le terme vient du latin propagare). Elle se pare dans l’histoire d’une dimension idéologique forte, visant à l’associer à une information contraignante et négative. Comme le décrit F. Porcile, « Son but est d'influencer l'opinion publique,

de modifier sa perception d'évènements, de personnes, de produits, de convertir, de mobiliser ou de rallier des partisans. La propagande prend la forme de campagnes de diffusion d'informations toujours partiales et déformées, à grande échelle, parfois insidieuses. La propagande moderne exploite les connaissances et les techniques de la psychologie et de la communication. Elle privilégie la manipulation des émotions, au détriment des capacités de raisonnement et de jugement. » François Porcile, Défense du court métrage français, CERF,

Paris, 1967, p. 223. 16

Joseph Gusfield, La Culture des problèmes publics. L’alcool au volant : la production d’un ordre symbolique, Paris, Économica, Coll. « Études sociologiques », 2009.

17

politiques et à faire prendre conscience aux masses populaires que toutes les conditions sont réunies pour qu’elles adoptent enfin les recommandations qui leur sont transmises par l’image. Ces documents traduisent bien les nouveaux fondements de la Sécurité Sociale, qui commence à développer l’idée d’une société basée sur des principes de solidarité, de développement de la communauté, de responsabilité partagée par tous.

1.2. Film de prévention, film pédagogique, film de propagande ? La spécificité du 

Outline

Documents relatifs