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Les « trente glorieuses » et le faible intérêt pour la sédentarité 

 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

2.  Les premières mobilisations médiatiques de l’Etat en faveur de l’éducation sanitaire et sociale 

2.2.  Les « trente glorieuses » et le faible intérêt pour la sédentarité 

Les travaux récents d’histoire du sport montrent que la période des « trente glorieuses » est caractérisée par un phénomène de démocratisation des pratiques physiques, qu’elles soient fédérales ou libres51. Comme nous le confirment Chantelat et Tétart, le phénomène croissant de sportivisation ou de massification du sport s’opérationnalise, non pas après la libération, mais dans le courant des années 6052. Ils soulignent alors une « image

erronée d’un usage social du sport déjà banalisé ». De fait, si les années 1970 et 1980

consacrent une « génération sport » issue du baby-boom53, période durant laquelle émerge la question du rapport au corps esthétique, la problématique de l’entretien corporel54 est tardive, et ne semble s’imposer, à l’échelle de la société, qu’à l’aube des années 1980.

Le succès des pratiques sportives est, certes, corrélé aux bienfaits espérés du point de vue de la santé des individus, selon l’adage « le sport c’est la santé », mais cette préoccupation n’est pas exclusive. L’attrait pour la compétition et son intérêt politique et social expliquent également son développement. De même, l’émergence d’une civilisation propice aux loisirs55 attire en masse les nouveaux pratiquants sportifs avides de sensations inédites et désormais également en quête de plaisirs intimes dans des activités écologisées et valorisant un retour sur soi56. Plusieurs de ces thèmes sont d’ailleurs bien présents dans les films analysés, à l’instar de celui des loisirs ou des départs en vacances. Ils donnent lieu par exemple à des films d’information générale (Vive les vacances – 1964, Où partirons-nous en

vacances ? – 1965), mais aussi à des productions abordant la question des dangers rencontrés

(Départ pour les tropiques – 1966, Vacances et problèmes de santé – 1966).

       

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Thierry Terret, Histoire du sport, Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? », 2010, pp. 74-80. 52

Pascal Chantelat, et Philippe Tétart, Reprise et impuissance : le sport de 1944 à 1958, dans Philippe Tétart (dir.), Histoire du sport en France. De la libération à nos jours, Tome 2, Paris, Vuibert, 2007, pp. 7-31.

53

Michaël Attali, L’explosion des pratiques sportives : massification, diversification, différenciation (fin des

années 1960 à nos jours), dans Philippe Tétart (dir.), op. cit., pp. 63-106.

54

A ce sujet, voir par exemple Yves Travaillot, Sociologie des pratiques d’entretien du corps, Paris, PUF, 1998. 55

Joffre Dumazedier, Vers une civilisation du loisir ?, Paris, Seuil, 1962. 56

A cette période, le mythe du champion et le culte de la performance57 se diffusent davantage. On pourrait alors dire que le « corps sportif » est moins représenté par la masse des pratiquants que par quelques champions médiatisés. L’image de la pratique physique diffusée dans les médias s’attarde donc davantage sur l’exploit sportif que sur la quête du bien-être. Parallèlement, le modèle du champion apparaît comme un support qui peut être utile à l’éducation sanitaire. En effet, il véhicule des représentations positives basées sur l’efficacité d’une forme d’ascétisme et d’hygiène irréprochable traduisant des comportements sains. Ainsi, certaines icônes sportives de cette époque, telles que le coureur Michel Jazy ou l’haltérophile Charles Rigoulot, vont être récupérées, notamment pour diffuser l’idéal de la sobriété alcoolique, voire de l’abstinence. Sur les affiches, l’idéal du « vrai » sportif est ainsi associé à des valeurs de force, de résistance et de performance.

Cependant, la politique de l’Etat en matière de développement sportif, issue du Front populaire, renvoie à de nombreux enjeux. Entre prestige international, redressement physique et moral des populations, moyen d’éducation, le sport est donc perçu comme un service public, dont la mise en œuvre est confiée aux fédérations58.

       

57

Philippe Tétart (dir.), op. cit. 58

Thierry Terret, Le sport contre la santé. Les redéfinitions de l’éducation physique, 1945-1960, dans Didier Nourrisson (dir.), A votre santé ! op. cit., p. 15 ; Philippe Tétart (dir.), op. cit.

  Figure 6 : Document tiré de Thierry Fillaut, "Quand la santé publique s'affiche", 1995

Les films étudiés évoquent assez peu, finalement, la valeur « sanitaire » du sport. D’une part, il semble que l’idée soit suffisamment répandue dans la société d’un effet positif

du sport sur la santé59 (idée qui sera davantage discutée dans les périodes suivantes). D’autre part, la médiatisation du sport est jugée relativement importante par les pouvoirs publics dans un secteur dont le développement est délégué au mouvement fédéral. Bref, on relève un nombre restreint de films sanitaires traitant de ce sujet. Si certains essais s’attardent sur la bonne manière de pratiquer (« savoir marcher » - 1967, « savoir nager » – 1970) et montrent les efforts à faire dans le sens de la démocratisation des pratiques, seulement deux autres films précurseurs mettent en rapport le sport et la santé (« bienfaits de la natation » – 1964, « sport,

santé, harmonie » – 1966).

Pour conclure, nous rejoindrons sous forme de postulat, les analyses d’Yves Travaillot, soulignant plusieurs périodes caractéristiques de préoccupations différentes relatives à l’entretien du corps : le corps sportif des années 1950 puis le corps esthétique des années 1970, précèdent le corps en forme60, qui émerge sensiblement à partir de la bascule des années 1980. Les films étudiés corroborent ces conceptions successives.

Au terme de cette première introduction, nous avons pu fixer un état des lieux succinct du champ de l’éducation sanitaire à l’entrée des années 1960, notamment d’un point de vue structurel, qui montre à la fois une volonté d’innovation par l’utilisation de la télévision et un intérêt réduit pour les problématiques de la prévention par les activités physiques. Les recherches effectuées décrivent des grandes tendances qui caractérisent la diffusion des messages sanitaires, permettant ainsi de reconstruire trois périodes significatives. Différents indicateurs aident à cadrer l’analyse, au gré des fluctuations relatives aux publics concernés, aux thèmes sanitaires et sociaux abordés prioritairement, aux techniques visuelles et de communication choisies, ou encore des stratégies d’argumentation valorisées.

Les archives dépouillées nous montrent une première étape, correspondant à l’intervalle allant du début des années 1960 jusqu’à la création du Comité Français d’Education pour la Santé en 1972. Cette période est caractérisée par un déplacement des priorités et une nouvelle conception de l’éducation sanitaire, désormais moins empirique et davantage axée sur des points d’appuis scientifiques effectifs : psycho-pédagogie, sciences du comportement… Comme le précisent les responsables du COFRESS en 1967, le projet général s’oriente vers une nouvelle dimension : « on parle maintenant de « mesurer le degré        

59

Thierry Terret (dir.), Sport et santé dans l’histoire, 4° congrès ISHPES, Lyon, 1999. 60

Yves Travaillot, Les représentations du corps sportif : métamorphoses de 1945 à nos jours, dans Philippe Tétart (dir.), op. cit., pp. 309-323.

de conscience sanitaire ». On analyse les données sociales et culturelles d’un comportement déterminé face à la prévention ou aux soins médicaux. On établit les conditions d’un changement d’attitude et on prétend en dessiner la courbe »61. Ainsi, le recul progressif des grands fléaux sociaux amène désormais à se centrer sur des efforts éducatifs renouvelés, autour de la Protection Maternelle et Infantile, de la problématique du handicap ou de celle des accidents corporels. Les matériaux dont nous disposons sont essentiellement constitués des premiers films d’éducation sanitaire, ainsi que des documents se rapportant à leur création ou leur réalisation. D’autres documents annexes permettent également d’en caractériser le contexte, de saisir les mutations du champ de l’éducation sanitaire et de dresser la carte des acteurs en présence. Il s’agit notamment des comptes rendus d’activités des structures étudiées (CNAMTS, CFES) mais aussi de documents internes ou de publications, comme par exemple le magazine La santé de l’homme publié dès 1942, qui reflète les grandes orientations choisies par le mouvement sanitaire. L’approche des spécialistes d’éducation pour la santé se caractérise ici par une tradition hygiéniste datant du début du siècle, faisant la part belle à une conception sanitaire largement médicalisée.

       

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COFRESS, Au service de la santé publique, le Comité Français d’Education Sanitaire et Sociale. Une

Chapitre  2  ­  Une  approche  « hygiéniste »  et  fragmentée  de  la 

prévention : la dominance du modèle biomédical (1963­1971) 

Les années 1960 se caractérisent par une réorientation des problématiques de santé publique, où la place du champ préventif reste minime. En procédant à l’analyse des films, il convient d’interpréter et de saisir les paradigmes scientifiques dominants et les différents courants employés par les institutions sanitaires.

L’héritage de la tradition hygiéniste des années 1950, laissé par les prosélytes de l’hygiène sociale, nous montre comment l’institution médicale garde la mainmise sur le champ de la santé jusque dans les années 1960, privilégiant davantage la recherche et valorisant le « curatif », au détriment du « préventif ». Les initiatives de d’éducation sanitaire sont moins présentes face à un modèle biomédical davantage orienté vers la lutte contre la maladie, essentiellement à travers des référentiels physiologiques. Ce modèle impose l’idée d’une étiologie spécifique (un facteur de risque unique), qui débouche prioritairement, comme nous le verrons plus loin, sur une individualisation des problèmes sociaux. La place des médecins ou spécialistes médicaux dans les films d’éducation sanitaire est ainsi très forte dans les années 196062 et les documents analysés montrent leur influence dans les organes responsables de la réalisation et de la diffusion des émissions « Je voudrais savoir » (dès 1963).

A travers l’analyse des contenus des films retenus, c’est à la question des stratégies de présentation et de transmission des messages que nous nous intéresserons prioritairement. Il s’agit alors d’observer, à travers différents indicateurs (thèmes, publics, techniques de communication, arguments discursifs, experts sollicités, formes d’engagement) les contenus des campagnes prônant une nécessaire éducation à la santé continue. Qui plus est, nous centrerons plus particulièrement l’analyse sur la problématique des pratiques physiques, symbolisant l’engagement corporel dans un processus de santé et de mieux être. La pédagogie sanitaire en faveur des modes de vie actifs jalonne ainsi notre problématique.

Un premier tableau récapitulatif des thèmes abordés dans les films permet de voir se dessiner une première période au cours de laquelle les sujets correspondent davantage à des

       

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Patrice Bourdelais (dir.), Les hygiénistes, enjeux, modèles et pratiques (XVIII-XXe siècles), Paris, Editions Belin, 2001.

stratégies d’informations sanitaires et des renseignements autour du handicap ou de la P.M.I., à la suite des préoccupations des années 1950.

Thèmes 1963-71

Informations sanitaires sociales 15,72 %

Handicap/Rééducation 10,04 % Vacances/Loisirs 6,55 % PMI 6,55 % Epidémies 6,11 % Accidents domestiques 6,11 % Vaccination/Dépistage 5,68 %

Accidents travail/Maladies Professionnelles 5,24 %

Activité Physiques 4,80 % Circulation routière 4,37 % Maladies cardio-vasculaires 3,93 % Soins domestiques 3,93 % Vie moderne 3,49 % Scolarisation 3,49 % Alcool 3,49 %

Comportement et pratiques alimentaires 2,62 %

Colonne Vertébrale/Articulations 2,62 % Cancer 2,18 % Hygiène dentaire 1,75 % Tabac 0,87 % Hygiène corporelle 0,44 % TOTAL 100 %   Tableau 2 : répartition des thèmes sanitaires abordés dans les films entre 1963 et 1971 (en %)     

Dans un premier temps, au détour d’un rappel sur la naissance de la télévision, nous montrerons comment l’apparition de ce nouvel instrument permet d’ouvrir de nouvelles perspectives de diffusion publique aux discours des acteurs de l’éducation sanitaire. Il nous semble également important de relater le mode de fonctionnement des structures chargées de

créer et de diffuser les films sanitaires. Cela revient à exposer les institutions engagées dans ce travail, les experts qui s’emparent63 des discours et des argumentaires, ainsi que les statuts des spécialistes sollicités64. Nous caractériserons tant que possible les formations et conceptions des acteurs intervenant dans ces dispositifs afin de saisir, dans une démarche d’histoire pragmatique, les débats et influences internes au champ sanitaire. Ces caractéristiques apparaissent inhérentes à la compréhension globale du processus décisionnel de production.

A partir de ces postulats, un travail d’analyse ultérieur propose de s’intéresser à la question des contenus. D’une part en reprenant les grandes préoccupations des premières productions labellisées « Je voudrais savoir » (créé en 1963), qui permettent de caractériser le contexte socio-sanitaire de l’époque. Cette analyse montre les principales orientations retenues et les publics qui doivent être prioritairement concernés par ces actions de grande ampleur médiatique. D’autre part, une réflexion plus approfondie sur la construction des contenus permet de mettre en avant les paradigmes scientifiques dominants, ancrés dans des conceptions traditionnelles laissant la part belle aux prescriptions médicales.

L’évocation du corps physique traduit cette mainmise médicale sur les savoirs sanitaires, et les films collectés montrent que le corps est perçu en fonction de son rendement potentiel, et expose les connaissances physiologiques nécessaires à son perfectionnement. La promotion des pratiques physiques consacre donc une conception utilitaire pragmatique, à travers laquelle l’éducateur médical s’attache à transmettre le « bon geste », le geste directement pratique, celui considéré comme « acceptable » à un moment donné et relevant de l’état des connaissances en la matière.

En somme, les débats du début des années 1970, relatifs aux nouvelles conceptions des émissions télévisées, permettent de voir comment le pouvoir médical perd peu à peu son influence et voit s’imposer une nouvelle conception sanitaire prônant un discours moins moralisateur et davantage orienté vers l’incitation et la compréhension des facteurs de santé, à travers la participation consciente des populations.

       

63

Joseph Gusfield, La Culture des problèmes publics, op. cit. 64

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