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 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

16.  L’engouement populaire : un public fidélisé 

De toute évidence, les films télévisés « Je

Voudrais Savoir » participent à un processus d’éducation et le public semble les apprécier si l’on en juge le volume de correspondance à ce sujet. Le schéma reproduit ici, extrait du rapport d’activité de 1984 de la CNAMTS, montre une correspondance abondante et en constante augmentation pendant les années 1970.

De très nombreuses lettres sont adressées, parfois plusieurs centaines pour certaines émissions diffusées, principalement écrites par des téléspectateurs jeunes et des personnes âgées. Ces courriers font part de la satisfaction à propos des émissions et concernent des demandes de renseignements relatifs aux lieux, personnes, ou activités présentés dans les films249. Pour autant, les concepteurs considèrent que l’attention à accorder

       

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Exemple d’une lettre du 3 octobre 1972 : « Cependant, en parallèle avec l’émission, vos conseils étaient

accompagnés d’exemples très concrets se déroulant dans une salle parfaitement aménagée, et il me serait agréable d’obtenir les renseignements me permettant de suivre des cours de gymnastique dirigée. […] En conséquence, l’adresse de ces cours m’intéresserait, et je vous remercie à l’avance de vouloir bien me la communiquer si cela vous est possible ». [A.N. 19850587 Art 1].

Figure 14 : statistiques de correspondance  (CNAMTS, 1984) 

aux contenus des messages doit être nuancée : « dans une certaine mesure seulement, car

ceux qui écrivent ne sont pas le reflet exact du téléspectateur moyen »250. Le courrier des auditeurs, et dans quelques cas les visites physiques, sont une jauge permettant d’apprécier le succès des émissions Je voudrais savoir sans être des moyens exhaustifs et sans être jugés fondamentaux. Manifestement, la question de l’attention accordée aux réactions des téléspectateurs reste en suspend. Lors de la séance de travail de la commission de suivi du 3 juin 1964, un débat s’engage autour de la nécessité de préciser textuellement dans les génériques les commanditaires du film. La CNAMTS fait le choix de ne pas apparaître à l’écran, craignant de trop nombreuses sollicitations ultérieures251. Le CFES est donc seul porté à l’écran comme responsable des productions, ce qui engendre une visibilité exclusive de ces supports.

Le médecin conseil du CFES, largement impliqué dans le processus de création des films, est également chargé de répondre aux téléspectateurs. Malgré un nombre croissant de lettres reçues chaque année, ce dernier s’efforce de répondre dans un délai raisonnable (moins de deux semaines la plupart du temps). Les demandes sont souvent faciles à combler (story- board du film, précision d’une adresse, nom d’un lieu, d’un personnage,…). Mais, dès le milieu des années 1970, des courriers plus élaborés apparaissent, dans lesquels les usagers soumettent leurs cas particuliers et demandent des conseils au médecin quant à la marche à suivre. Ce dernier acquiert alors un statut important, une sorte de « dernier recours », un confident de certains « laissés pour compte » par les instances médico-sociales ou familiales. Cela traduit aussi d’une certaine manière la place prise par cette émission, sous forme d’intermède hebdomadaire, qui est érigé comme une institution à part entière, à vocation médico-sociale, en laquelle les gens placent leur confiance en venant y chercher des conseils. Malgré le fait que ces lettres relèvent plus souvent des compétences d’une assistance sociale ou de conseillers familiaux, un échange s’installe parfois entre le médecin conseil et un téléspectateur, durant plusieurs semaines. Le CFES joue ainsi un vrai rôle social, en répondant aux attentes de nombreux correspondants à propos de problèmes de versements d’allocations maladie, de retraite, de cas médicaux spécifiques, de questions à propos d’orientation professionnelle… Certains auditeurs n’hésitent pas à suggérer des thèmes pour les émissions futures. On note à ce sujet plusieurs demandes concernant la lutte anti-tabagique et antialcoolique dans les années 1970. Les flux de courriers permettent donc de juger, dans une        

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Rapport de 1964 sur la réalisation des émissions télévisées « Je voudrais savoir », p. 2. [A.N. 19870555 Art 10]

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certaine mesure, de la relative réussite des émissions télévisées. On devrait cependant pouvoir relativiser ce succès en mettant en perspective les chiffres d’audience annoncés par les différents partenaires engagés dans cette entreprise. Car les résultats divulgués ne concordent pas et sont mêmes parfois largement différents, comme en témoignent ces deux extraits publiés la même année :

CFES 1973 : « L’émission de 13h30 touche 1.200.000 téléspectateurs […] Quant

à l’intérêt manifesté pour cette émission, il ne cesse de croitre, passant de 69% en 71, à 79% en 72 et à plus de 86% en 73. Ces chiffres résultent des sondages organisés par l’ORTF en collaboration avec la SOFRES »252.

CNAMTS 1973: « Les émissions de la série « Je voudrais savoir » atteignent

actuellement un public de 2.500.000 personnes. Ce public est composé de 2/3 de téléspectatrices et d’1/3 de téléspectateurs. 20% des personnes touchées par ces émissions ont moins de 24 ans, 60% ont un âge compris entre 25 et 64 ans, 20% ont plus de 64 ans »253.

Cette différence, du simple au double, montre les difficultés à évaluer l’audimat et laisse supposer un manque de concertation ou de communication entre les deux principaux partenaires producteurs. Nous conclurons cependant, au regard des nombreuses correspondances consultées aux Archives Nationales, de l’intérêt d’une partie de la population, tous âges confondus, pour cette collection télévisée.

Le début des années 1970 s’impose finalement comme une étape importante dans la construction de l’éducation pour la santé en France, notamment par une structuration institutionnelle plus solide254. Le CFES affine peu à peu ses propositions d’éducation sanitaire en s’affranchissant progressivement d’un pouvoir médical jusqu’ici relativement prégnant. Il cherche davantage à prendre en compte l’avis des populations et à produire un ensemble de connaissances plus adapté au support médiatique utilisé. Le travail sur les messages et les contenus des actions sanitaires révèle également une prise de distance relative quant aux

       

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Procès-verbal du Conseil d’Administration du CFES du 13 novembre 1973. [A.N. 19830248 Art 2] 253

Rapport d’activité CNAMTS 1973, p. 326. 254

injonctions paternalistes dont l’éducation sanitaire tente de se défaire255. Les nouveaux conseils de prévention doivent orienter les actes des populations, tels des « vecteurs sanitaires », vers une meilleure estime de soi et une responsabilisation plus marquée. Le comportement de chacun tend ainsi à devenir la première cause d’apparition de pathologies nouvelles. A ce titre, les pratiques et habitudes des individus doivent s’appuyer davantage sur les facteurs de santé et tendre vers une réduction des facteurs de risques. La somme des connaissances médicales ou techniques diffusée par l’intermédiaire des films participe à un processus d’alphabétisation sanitaire tout juste initié, notamment du point de vue de l’utilité des exercices physiques comme facteurs de lutte contre la sédentarité.

       

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Chapitre  4  ­  Vers  une  conception  « psychosociale » :  l’importance  du 

mode de vie (1976­1988)  

L’institution médicale accorde progressivement une plus grande part à la recherche du bien être, qui peut être différent pour chacun, mais dont la santé est un élément important. Le maintien de la santé fait désormais intervenir un paramètre supplémentaire : l’individu. En effet, c’est le comportement de l’acteur social qui prime en prévention. La responsabilité de chacun est engagée, au regard de son propre corps, au regard de sa famille, au regard des sociétés toutes entières, dans un principe de solidarité partagée.

Les actions menées par le CFES montrent que les politiques d’éducation pour la santé doivent s’adapter à une nouvelle société où les publics ont un rôle important à jouer dans le maintien de la santé. Chaque information diffusée doit apparaître comme un support à l’action et à l’éducation, dispensée de génération en génération. Les scénarios des films sanitaires vont ainsi largement s’orienter vers les publics d’enfants et d’adolescents, qui consomment un temps important de loisir télévisé256. Les alertes épidémiologiques relatives à la prévalence des pathologies mortelles persistantes257 comme les cancers causés par l’excès de tabac, la pollution ou la sédentarité chronique interpellent le CFES et amènent une attention particulière sur certains publics spécifiques258.

       

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La période des années 1970-80 est l’occasion de nombreuses productions sur l’audience et l’audimat des émissions télévisées, notamment de rapports commandités par l’Etat. Cf. Michel Souchon, La télévision et son

public, Documentation française, 1978 ; Michel Souchon, Petit écran, grand public, Documentation française,

1980. Sur la genèse des études d’impact à la télévision, voir le dossier spécial « Les publics, généalogie de

l'audience télévisuelle », Quaderni, n°35, 1998, pp. 45-158. Et plus particulièrement Jacques Durand, Les études sur l’audience de la radio-télévision en France, Quaderni, n° 35, 1998, p.79-92.

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Par exemple, voir le travail de Michel Le Net, Le coût des maladies cardiovasculaire, Paris, CERAS-ENPC, 1982.

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Par exemple Catherine Hill et al., Evolution de la mortalité par cancer en France, entre 1950 et 1985, INSERM, Paris, 1989 ; voir aussi les rapports annuels de l’INSERM à partir des années 1970 (Statistiques des

  Figure 15 : Principales causes de surmortalité en France (1950‐1990) 259

Les facteurs mis en évidence par l’INSERM et l’INSEE dès les années 1970 augmentent clairement les risques de surmortalité, tous sexes confondus, et imposent des mesures de prévention à court comme à long terme. Dans cet exemple précis, sont totalisés les risques liés aux consommations excessives d’alcool et de tabac, qui sont clairement identifiés comme résultants d’attitudes néfastes personnelles pouvant être modifiées. Les politiques du CFES en faveur du tabac semblent permettre d’infléchir ces chiffres à partir de la fin des années 1970. Il apparaît donc opportun d’intensifier le discours en faveur de l’éducation à la santé, par la réactualisation des contenus et des thèmes privilégiés.

La CNAMTS développe davantage de thématiques durant cette dernière période, dont certaines, inédites, prennent une place importante, comme l’illustre le dernier tableau en page suivante (sujets relatif aux pratiques sexuelles, infections bactériennes).

       

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Francisco Munoz-Perez, et Alfred Nizard, Alcool, tabac et mortalité en France depuis 1950. Incidence de la

Thèmes 1976-88

Connaissances théoriques scientifiques/médicales 13,54 %

Comportements et pratiques alimentaires 11,08 %

Accidents domestiques 8,62 %

Activités Physiques 7,54 %

Soins domestiques 6,62 %

Informations sanitaires, sociales 6,15 %

Vie moderne 5,08 % Alcool 4,46 % PMI 4,46 % Connaissances pratiques 4,31 % Circulation routière 4,00 % Sexualité MST 3,23 %

Maladies cardio vasculaires 3,08 %

Hygiène corporelle 3,08 % Handicap/Rééducation 2,31 % Tabac 2,15 % Vaccination/Dépistage 2,00 % Hygiène dentaire 2,00 % Vacances/Loisirs 1,54 % Infections bactériennes 1,54 % Colonne Vertébrale/Articulations 1,38 % Cancer 1,08 % Epidémies 0,46 %

Accidents travail/Maladies Professionnelles 0,15 %

Scolarisation 0,15 %

TOTAL 100 %

Tableau 11 : Répartition des productions par thèmes entre 1976 et 1988 (en %)

Ce dernier chapitre est l’occasion de présenter, en parallèle de ces nouvelles thématiques, les changements structurels apportés par la CNAMTS à partir de 1976. La question du renouveau des films aborde dans un premier temps la diversification des séries et les évolutions qui les accompagnent. La question du mode de vie est ensuite au cœur de l’analyse, faisant émerger la problématique des pratiques à risques et de la responsabilité de chacun dans la conservation de sa santé. Une illustration dans le domaine des pratiques physiques permettra de montrer ces deux logiques. Nous traiterons aussi de l’émergence, dans ce même domaine, de l’éducateur sportif comme personnage de plus en plus médiatisé, jouant un rôle de caution morale et parfois scientifique, fragilisant encore davantage le statut du

médecin. Enfin, cette partie se conclura sur un double exercice de comparaison de films à quinze ans d’intervalle, pour montrer les permanences et grands changements significatifs détaillés jusqu’à présent.

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