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 3 Repères et approches méthodologiques

Prévention 20 1979-1984 12 min Post-

3.3.  Le choix des focales : Comment analyser une campagne de prévention ?

Là où l’ethnologue, le sociologue, observent en participant, parfois s’investissant « corps et âme » 117, l’historien relate les événements passés avec autant de rigueur scientifique et d’objectivité qu’il se doit118. Tout notre travail de construction historique revient ici à comprendre comment il convient de s’y prendre pour analyser une campagne de prévention. Les indicateurs retenus sont les mêmes d’une campagne à l’autre, afin de permettre une analyse comparative. Ceci amène un double niveau de lecture, soit vertical, pour chaque dispositif, soit horizontal, pour comparer de manière transversale un même objet suivant les différents supports. Les critères retenus doivent permettre de saisir le fonctionnement et les intentions de chacun des dispositifs, mais également de comprendre comment chaque initiative se démarque – ou non – de la précédente. Nous exposons alors les contours de chacune des actions, en les considérant comme autant de focales, éclairant à des moments précis et de manières différentes notre problématique.

Dans une première approche, notre regard se porte sur la forme du dispositif, au sens large, en étant attentif aux acteurs investis ou concernés (émetteurs, collaborateurs, récepteurs) et aux caractéristiques du message (rhétorique, durée, intensité, tonalité...). Ensuite, une analyse plus fine cherche à déconstruire les assises scientifiques (connaissances sur les pratiques physiques, formes de pratiques, définition de la sédentarité), les stratégies sous-jacentes (conseils, injonctions), les codes utilisés, les registres de communication mobilisés (humour, peur, empathie...) et les jugements moraux (stigmatisation, compréhension...). S’agissant d’une action d’information à destination du public, il est en tout        

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Loïc Wacquant, Corps et âme. Carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur, Marseille, Agone, 2000. 118

premier lieu important de se référer à un schéma de communication traditionnel. Si l’on considère à ce titre que « la communication de masse est un processus social organisé »119, comme le souligne Judith Lazar, alors la pratique communicationnelle comporte un niveau linéaire symboliquement représenté par la liaison « Emetteur – Transmission – Récepteur », comme sur le schéma ci-dessous120.

Les premières perspectives de l’analyse doivent donc s’attacher à caractériser l’émetteur, le ou les récepteurs et le ou les types de messages. Le phénomène croissant de publicisation121 des discours de santé publique au cours de la seconde partie du XXème siècle nécessite une identification la plus précise possible de ces différentes parties, indépendamment du code ou des canaux utilisés. L’émetteur est souvent identifié de manière visible et officielle, étant donné que les actions sont estampillées au nom des partenaires investis. Il s’agit, dans le cadre de notre étude, soit d’organismes publics (ou parapublics), soit d’associations privées. Cette première distinction peut aider à saisir le champ de ressources utilisé pour formaliser le message et peut aussi aider à repérer le type de diffusion choisie, les destinataires visés. A une communication globale peut se substituer une information catégorielle (cibler en priorité une catégorie identifiée de population), ou sectorielle (viser un ensemble potentiellement concerné par une pathologie spécifique).

Le corps du message est l’élément déterminant. La forme poétique du message acquiert une valeur expressive forte et peut jouer sur plusieurs aspects pour finalement être classé dans un registre distinct : message motivant, normatif, sous la forme d’un conseil, d’une injonction, d’une critique, d’une métaphore… Le ton du message est donc important et permet de saisir les enjeux stratégiques sous-jacents : informer par un message technique,        

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Judith Lazar, Sociologie de la communication de masse, Paris, Armand Colin, 1991, p. 12. 120

Extrait de Hélène Sancho-Garnier (dir.), Au-delà de l’information, la prévention, Paris, Springer-Verlag, Coll. « Dépistage et cancer », 2007, p. 20.

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Hélène Romeyer (dir.), La santé dans l’espace public, Rennes, Presses de l’EHESP, 2010, p. 6. Figure 1 : schéma de communication

faire adhérer à une idée, modifier les comportements... en jouant alors sur des messages moralisateurs, scientifiques, empathiques ou autoritaires. L’avancée dans l’histoire montre une tendance aux messages constructifs, positifs, mais les actions pionnières des années 1960 et 1970 traînent comme un fardeau les jugements stigmatisants de l’hygiène sociale du siècle dernier122. Certaines propriétés peuvent également orienter la teneur du discours et jouer sur la réception des messages et la réussite des campagnes. Notons ici les trois caractères principaux qui, selon l’étude de M. Le Net, peuvent produire des messages différenciés et ressortent plus particulièrement : la peur, l’humour et l’érotisme123 : Persuader par la peur pour provoquer un effet immédiat et définitif, au risque de provoquer un rejet en bloc des messages sanitaires ? Convaincre durablement par l’humour, au risque de distraire l’attention et d’atténuer l’importance du discours ? Erotiser pour susciter l’émulation, au risque d’une mauvaise interprétation ? Les formes poétiques (rimes, jeux de mots) et visuelles du message peuvent donc être la somme de nombreuses combinaisons dont il est difficile de prouver toute la valeur. Mais le message doit être analysé dans une seconde dimension contextuelle, qui propose de prendre en compte d’autres caractéristiques qualitatives du message. Les particularités qui le distinguent se trouvent dans la prise en compte du contexte social et scientifique dans lequel il est produit. Ce message se caractérise également par les méthodes et techniques utilisées pour le diffuser. Il nécessite aussi une stratégie de contact, c’est-à-dire la mise au point et le développement d’une liaison entre le destinateur et le destinataire, afin que celui-ci se sente concerné par le contenu. Elle peut se percevoir à travers l’utilisation du vouvoiement ou du tutoiement qui permettent d’introduire une volonté de communication, d’interpeller l’usager. Enfin, cette liaison ne peut se faire qu’au moyen d’un

code (référentiel) commun permettant d’être sûr que le message soit bien compris. Ici réside

l’intérêt de bien cibler les destinataires, d’appréhender leurs acquis et leur manière de s’exprimer ou de percevoir les choses, en un mot leurs habitus.

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