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 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

6.  Premiers publics visés : mères de famille, handicapés, ouvriers

En parallèle de ces informations sociales globales, certains sujets s’imposent comme des nécessités, voire même des urgences, au regard des transformations sociétales amorcées depuis le milieu du siècle. Ils ciblent de manière plus précise certaines catégories de population ou certains publics jugés comme particulièrement vulnérables. La natalité importante114 par exemple, semble traduire la nécessaire continuité d’une information et d’une sensibilisation relatives à la protection de l’enfance, de la jeunesse, et aux précautions que doivent prendre les femmes enceintes. Le thème primordial de la Protection Maternelle et Infantile qui transparait dans les films, trouve son origine la plus ancienne dans la loi Roussel de 1874115 et s’organise sous la forme d’un véritable service public à partir de 1945116. Cette         112 Rapport d’activité CNSS 1964, p. 140. 113 Ibid. 114

Jean-François Sirinelli, Les Baby-Boomers - Une Génération (1945-1969), Paris, Fayard, 2003. 115

Loi du 23 décembre 1874 relative à la protection des enfants de premier âge, dite « Loi Roussel ». 116

Ordonnance n°45-2720 du 2 novembre 1945 sur la protection maternelle et infantile vise à « promouvoir la

santé de la mère et de l’enfant, et de garantir, quand l’enfant est hors du domicile familial, sa santé, sa sécurité, son épanouissement ». Voir notamment Dominique Ceccaldi, Les institutions sanitaires et sociales, Tome 2, Ed.

préoccupation se traduit dès les années 1950, comme nous l’avons vu, par une campagne d’affichage conséquente, ou la diffusion de fiches et tableaux éducatifs, qui se prolongent dans les années 1960 et 1970 par un nombre significatif de films sanitaires (6,6%). Il nous semble opportun, parmi les productions de ce sujet primordial, de distinguer différents sous- thèmes autour de trois pôles distincts. Certains films ciblent les conditions d’existence sociale des jeunes mères (« Elles sont des centaines comme cela (veuves, mères de famille) » - 1965,

« Mon enfant et moi (les mères célibataires) » - 1966). D’autres, au contraire, sont centrés sur

les jeunes enfants, leur protection et leur éducation (« Protégez votre bébé » - 1964,

« Apprendre à parler (développement du langage) » - 1966). Enfin, certaines productions sur

l’allaitement maternel marquent une certaine continuité de l’information depuis la fin de la guerre (« meilleur des laits (l'allaitement maternel) » - 1965, « Allaitement maternel » - 1969).

Les travaux de Tillard nous montrent cependant la tendance des recommandations de l’époque à souligner parfois « le discrédit des parents vus sous l’angle de l’incapacité à

s’adapter à des besoins inhabituels de l’enfant […] Dans ces différents abords des questions d’alimentation, il est souvent question des erreurs parentales ou des incapacités familiales à subvenir aux besoins de l’enfant »117. Les contenus recensés par cette auteure révèlent une conception moralisatrice des premières années de l’éducation sanitaire, basée sur une logique de stigmatisation ostensible des individus et de leurs comportements inappropriés. Dans cet article, les critiques exprimées touchent plus particulièrement les « mauvaises » mères de famille : « hygiène et morale sont au centre des préceptes qui s’adressent aux femmes, tenues

pour responsables du quotidien de la famille »118. Elle montre rapidement comment les articles de La santé de l’homme relatifs aux questions d’alimentation du nourrisson stigmatisent régulièrement le comportement « irresponsable » des parents : rapport à la morale et appel à la responsabilité puisqu’il leur incombe d’assurer la bonne croissance de l’enfant, par l’allaitement puis par une bonne alimentation119. Nous émettons l’hypothèse que les films sanitaires relatent également cet état de fait120.

D’autre part, l’importance des populations atteintes de handicaps physiques ou mentaux alimente la problématique des corps fragilisés et des populations vulnérables, au        

117

Bernadette Tillard, art. cit. Son analyse se base notamment sur les contenus du magazine « La santé de

l’homme » comme « vitrine de l’évolution des politiques en matière d’éducation pour la santé » (p2).

118

Ibid., p. 5. 119

Ibid., p. 6. 120

même titre que les enfants ou les femmes enceintes. Quelle qu’en soit la cause, que ces handicaps relèvent de complications dès la naissance, d’accidents de la route ou de mauvaises manipulations professionnelles, leur persistance ne semble plus tolérable. Ainsi, comme le confirme le docteur Leclainche en 1968, « nous ne pouvons nous résigner à voir s’accroître

chaque année la cohorte des 120.000 enfants encéphalopathes (débiles et arriérés profonds) victimes, le plus souvent d’incidents obstétricaux évitables »121. Il semble que le regard sur le handicap évolue122 et que se transforment en parallèle les frontières de la sensibilité vis-à-vis de ces pathologies. A travers le développement de la Sécurité Sociale et des premiers textes relatifs à la réadaptation des invalides123, c’est une nouvelle image de la société qui tend à s’imposer. Une société où tous les corps, mêmes infirmes, doivent avoir une place. Le développement des films sanitaires sur le handicap participe à cette dynamique, qui cherche à dédramatiser, à changer le regard de la société sur l’infirmité, et faire ainsi de l’exclu d’autrefois un être désormais réadapté voire même réinséré par le travail, ou « réaffilié » au corps social, pour faire un parallèle avec les travaux de Castel124. Les productions sur ces sujets représentent plus de 10% de l’ensemble avec 23 films.

La gestion du handicap suscite néanmoins quelques interrogations nécessaires, qui traitent des difficultés matérielles, relatives au logement (« Indépendance (logement des

handicapés) » - 1966), ou des aménagements possibles dans les domaines scolaire et

professionnel (« Les classes spécialisées pour handicapés moteurs » - 1971, « L’handicapé au

travail » - 1964). Les questions de la prévention et de la réadaptation sont aussi abordées

(« Montaigu centre pilote » - 1967), en même temps que celle de la formation des personnels d’accompagnement (« Un beau métier (formation des éducateurs d'enfants inadaptés) » - 1965). Enfin, certains films interrogent plus globalement la place des handicapés dans la société (« L’handicapé et la société » - 1964). Ils traduisent la dynamique d’un changement        

121

Docteur Xavier Leclainche, La France a-t-elle une politique de la santé ? Communication à l’Académie Nationale de Médecine (2 octobre 1968).

122

Jean-Jacques Courtine, Le corps anormal. Histoire et anthropologie culturelles de la difformité, dans Jean- Jacques Courtine (dir.), Histoire du corps. Tome 3 : les mutations du regard. Le XXe siècle, Paris, Seuil, 2006, pp. 201-208.

123

Loi n°49-1094 du 2 août 1949 dite « Loi Cordonnier » relative a l'aide aux aveugles et grands infirmes ; Loi n°57-1223 du 23 novembre 1957 sur le reclassement professionnel des travailleurs handicapés (Art premier : « La présente loi a pour objet l’emploi des travailleurs handicapés ou leur reclassement suivant un processus

pouvant comporter, selon les cas, outre la réadaptation fonctionnelle prévue par les textes en vigueur, une réadaptation, une rééducation ou une formation professionnelle. Est considéré comme travailleur handicapé pour bénéficier des dispositions de la présente loi, toute personne dont les possibilités d’acquérir, ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite d’une insuffisance ou d’une diminution de ses capacités physiques ou mentales »).

124

de perception nécessaire (« Écoliers quand même (inadaptations scolaires) » - 1965). La société des années 1960 voit se confirmer la nécessité, conformément aux engagements initiaux de la Sécurité Sociale, de donner à chacun assistance et sécurité, dans une logique de solidarité et de protection sociale.

Voici donc une des fonctions de ces films sanitaires, films d’éducation, qui participent à la construction de la réalité sociale, à la diffusion de tendances sociales et scientifiques, mais sont aussi investis d’une fonction idéologique destinée à jouer sur les représentations des populations. Leur ambition d’information reste relativement limitée et ils participent d’une forme de propagande, valorisant visiblement les actions de l’Etat providence. Cependant, si le handicap est présenté comme ne devant plus apparaître « anormal », il convient en conséquence de lutter contre les causes de son développement (« Prévenir, c'est souvent

guérir » - 1967). Or, ces causes sont nombreuses et variées. Car au-delà des nombreuses

épidémies encore présentes (tuberculose, maladies vénériennes), les méfaits de la société moderne augmentent les risques de prolifération du handicap, notamment en raison des nombreux accidents (domestiques, routiers) mais aussi par les nombreux risques professionnels.

La production industrielle et ses risques est d’ailleurs un troisième et dernier thème particulièrement propice à une forte mortalité et suscitant de nombreuses inquiétudes. Préserver la santé et la sécurité de la force de travail devient une priorité de l’Etat. Fraichement intégrée aux missions de la Sécurité Sociale125, la nouvelle législation de prévention des maladies ou accidents professionnels en fait des risques sociaux à part entière 126 . Les accidents ou maladies provoquées par les pratiques professionnelles dangereuses font donc l’objet, comme la PMI, d’une sensibilisation télévisée, qui prend le relais d’une propagande essentiellement basée dans les années 1950 sur des affiches127. Il apparait primordial de lutter contre cette fatalité : « Le monde du travail, et tout particulièrement le monde ouvrier, est une autre cible privilégiée de l’éducation pour la santé. La fréquence des accidents du travail […] le coût collectif et humain […] justifient cet intérêt particulier en période de reconstruction, lorsque le besoin de main-d’œuvre est considérable […] L’accroche « sécurité, d’abord » résume les campagnes menées à cette époque »128. Les films recensés traitent principalement des risques inhérents aux filières        

125

Ordonnance du 19 octobre 1945. 126

Michel Dreyfus, Michèle Ruffat, Vincent Viet, et Danièle Voldman, Se protéger, être protégé. Une histoire

des assurances sociales en France, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Coll. « Histoire », 2006, p. 283.

127

Thierry Fillaut (dir.), op. cit., p. 58. 128

professionnelles manuelles, qu’ils soient considérés directs, (« Accidents du travail » - 1963,

« Les chutes » - 1966) ou indirects (« Dermatoses professionnelles » - 1966, « Le bruit (maladie professionnelle) » - 1966). Des films plus spécifiques abordent également les

techniques de travail (« Manutention (prévention des accidents du travail) » - 1965), les équipements de sécurité (« Protection individuelle (prévention des accidents du travail) » - 1965) ou les méthodes de secourisme (« Secourisme du travail (formation des secouristes du

travail) » - 1965). Les messages recensés ici se contentent a priori d’émettre des informations

et ne présentent pas de stratégies explicites de mise en action ou de responsabilisation. Les films divulguent des indications sur les équipements inhérents à la sécurité ou sur les installations logistiques à mettre en place pour éviter les risques d’accidents. Ce sont principalement des préconisations appelant à la vigilance, des mises en garde sous forme de rappel.

Pour conclure cette première tendance, il convient de noter que les films diffusés conjuguent de nombreux thèmes. Des sujets plus anciens d’une part, dont la population à déjà fait l’objet par une sensibilisation médiatique comme les accidents du travail, la PMI, mais également les vaccinations (notamment le « BCG » contre la tuberculose) ou les informations relatives aux grandes épidémies mortelles (comme les maladies vénériennes particulièrement transmissibles). D’autre part, certains objets émergent ou s’intensifient dans les années 1960 et prennent une place importante dans une société en transition : la question du handicap et de sa gestion, mais aussi une sensibilisation relative aux accidents domestiques, à la circulation routière ou aux vacances. En tout état de cause, les premiers publics visés semblent être les catégories les plus vulnérables. Les mères de famille, responsables de leurs enfants, voire de leur foyer, et donc en quelque sorte de la bonne santé des générations futures, sont des interlocutrices privilégiées qui doivent être « informées » voire « éduquées ». Les progrès de la médecine ne suffisent pas à écarter tous les risques : même si la mortalité infantile décroit fortement depuis 1945129, la santé des enfants et des familles passe par un meilleur comportement des parents. La vulnérabilité a aussi un autre visage : celui du handicap, du corps anormal, dont la représentation sociale tend à évoluer. Les films sanitaires, à travers la diffusion de nouvelles normes en phase avec les conceptions médicales et sociales d’une époque, doivent permettre d’accélérer les mutations du regard au milieu du XXème siècle130 et de modifier les frontières du normal et du pathologique131. Les ouvriers, indispensables à la        

129

Source : INED, La mortalité infantile, Fiche pédagogique, Décembre 2010. 130

Jean-Jacques Courtine (dir.), op. cit. 131

reconstruction du pays et à la dynamique des « trente glorieuses », sont aussi source d’inquiétudes au début des années 1960 en raison des nombreux accidents dont ils sont les victimes. La réduction des grandes pathologies ou de l’accidentologie passe par une sensibilisation plus large qui quitte le strict milieu professionnel pour une diffusion publique télévisée.

7.  Les  représentations  primitives  des  pratiques  physiques :  montrer 

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