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 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

20.  L’éducateur sportif, une nouvelle caution morale ?

Les films relatifs aux pratiques physiques produits par la CNAMTS dès 1976 laissent progressivement apparaitre un personnage nouveau, une forme de caution différente, qui se substitue parfois au médecin dans l’apport des contenus. Cette fois, c’est l’éducateur ou l’entraîneur sportif qui endosse le rôle du « cadre » moral. Autrefois absent à l’écran ou simplement montré pendant ses activités, il acquiert désormais une place différente dans laquelle son discours mais aussi son statut gagnent en légitimité. Même s’il n’intervient pas systématiquement oralement face à la caméra, il est tout de même de plus en plus représenté aux côtés des pratiquants, ce qui était moins le cas auparavant.

Il est toujours représenté par un homme, dont la tenue ne laisse place à aucune ambiguïté (jogging, baskets, voire chronomètre) comme le montrent rapidement les illustrations reproduites ici, extraites de différents films. Il devient occasionnellement l’énonciateur du discours et expose ses connaissances sur les bienfaits ou les méfaits des pratiques physiques, au regard de la santé. Surtout, il valorise constamment les modes de vie actifs, face à la sédentarisation toujours plus accrue de la société moderne et s’impose comme un nouveau détenteur du savoir sur le corps, ses signaux et son entretien. Il reprend parfois à son compte les arguments scientifiques utilisés précédemment par les médecins. Ce n’est pas tant son discours qui importe mais le fait que les temps de parole s’équilibrent entre les statuts des différents personnages représentants autant de cautions, pour énoncer et valider une injonction sanitaire. De ce point de vue, le cadre sportif semble bénéficier d’une image

       

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Raymond Massé, La santé publique comme nouvelle moralité, dans Pierre Fortin (dir.), La réforme de la

positive car particulièrement saine. Plus proche du public par son aspect moins rigide, moins professoral, il permet d’apporter une nouvelle dynamique.

Pour autant, le statut plus professionnel et assermenté du docteur prévaut sur celui de l’entraîneur sportif ou de l’éducateur. La nécessité de consulter un médecin de famille est encore largement mise en avant jusqu’au début des années 1980, comme nous pouvons le voir dans le film « La médecine et le sport » dont la conclusion voit s’inscrire en toutes lettres :

« le chemin du stade passe par votre médecin »300.

Les films laissent donc entrevoir une diversification des détenteurs du discours normatif diffusé à l’écran. Autrefois réservé aux médecins, le temps de parole se partage désormais entre différentes figures dont les parents par exemple, l’éducateur sportif ou les sportifs eux-mêmes. L’exemple du film « Le sport et la santé » est ici particulièrement révélateur des types de cautions pouvant détenir le savoir et le relayer auprès des populations. L’encadré de la page suivante, réalisé à partir de notes manuscrites, résume le scénario et les principales séquences de cette production du début des années 1980.

       

300

Film « La médecine et le sport », collection Objectif santé, 1978.

Figure 18 : Captures d'écran des films "Vos enfants et le sport" (1986, à gauche) ; "Garder la forme" (post 1976,  au centre) ; "Le sport, passeport pour la santé" (1985, à droite).

Le sport et la santé – Collection Objectif Santé – (1982­84) – Durée : 9min36s    Résumé :  Un père et sa fille montent un escalier, et elle arrive loin derrière lui, largement  essoufflée. Etonnée de sa forme physique alors qu’elle est plus jeune, elle décide de lui  demander conseil, et ils se mettent à discuter des effets d’une pratique physique pour  l’être humain. Le père endosse alors tour à tour le rôle de différents personnages pour  décliner  les  connaissances  et  conséquences  de  l’exercice  physique  pour  l’homme.  Chaque « spécialiste » apporte des données et un langage spécifique à son domaine.   

 

Détails : 

- L’instituteur dans  une  salle  de  classe  :  « Notre  époque  transforme  le  corps  de 

l’homme  et  de  la  femme  en  mal.  L’enfant  est  trop  souvent  assis  et  son  cœur  ne  se  développe pas comme il faudrait […] L’adulte est de plus en plus sédentaire et ne fait pas  assez d’effort physique […] L’organisme humain est programmé pour l’activité » 

- Le  biologiste  dans  un  laboratoire  en  blouse  blanche :  « Le sportif qui pratique 

régulièrement limite l’augmentation du taux de cholestérol et de lipides du sang ».  

- Le  moniteur  de  sport  en  jogging  dans  la  forêt  explique  la  différence  entre  l’entraînement  en  « endurance »  et  en  « résistance ».  « Avec un entraînement suivi on 

améliore ses capacités pulmonaires et respiratoires, et si un jour on a une insuffisance  des artères ou des veines coronaires, on la supporte mieux ».   - Le père à la maison, qui prône un discours moral : « A tous, la pratique régulière  du sport fait paraître les efforts de la vie de tous les jours plus facile. Et puis on est moins  tenté de s’adonner à la suralimentation, à l’alcool, au tabac, aux drogues, ou même tout  simplement aux tranquillisants quand on est sportif ».  

- Le  sédentaire  en  pyjama  allongé  dans  un  canapé :  « Quand au sédentaire […] ca 

veut dire rester inactif d’un point de vue physique… et ça n’est pas sans conséquence ». 

- Le médecin dans un bureau de consultation : « Même dans la simple sédentarité, 

les muscles s’atrophient, les articulations s’affaiblissent et des troubles cardio­vasculaires  peuvent  apparaitre  […] Et  c’est  pourquoi  à  tous  les  âges  il est  bon  d’avoir  une activité  physique » 

- Le père à nouveau : « Cette activité physique est un facteur d’équilibre physique et 

psychique  […]  Pour  les  personnes  âgées  aussi.  Seul  un  retraité  mobile  peut  éviter  de  devenir un vieillard immobile [...] La femme peut pratiquer tous les sports […] Gérer son  corps et sa vie en améliorant sa condition physique, c’est un bon moyen pour garder la  forme ». 

 

A  l’aide  de  justifications  sous  plusieurs  angles,  il  essaie  de  convaincre  sa  fille  qu’une activité physique régulière depuis le plus jeune âge est bénéfique pour sa vie  d’adulte, désormais facilitée par le progrès social, qui pousse vers la sédentarité et une  mauvaise  hygiène  de  vie.  Le  rapport  filial  d’une  fille  à  son  père  a  une  valeur  symbolique  forte  pour  démontrer  le  rôle  des  parents  dans  l’éducation  corporelle  de  leurs enfants.  

Cette  vidéo  originale  s’avère  relativement  pédagogique,  alliant  humour,  connaissances  sportives  et  biologiques,  schémas  physiologiques  et  démonstrations  physiques (pas de surabondance de chiffres). 

A chaque type de personnage mis en avant à l’écran correspondent dorénavant un registre de connaissances et un argumentaire spécifique. Ce phénomène illustre une diversification des détenteurs du savoir légitime autour de la problématique des pratiques physiques comme source de bien être. Le discours physiologique ou médical n’est plus la seule dimension à prendre en compte. L’aspect psychologique, le mieux-être auquel participe l’activité physique régulière, sont des arguments qui commencent à s’imposer comme tout aussi importants, mais diffusés par d’autres canaux.

21.  Un  nouveau  paysage  de  téléspectateurs :  mettre  l’accent  sur  les 

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