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 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

8.  Du film d’enseignement aux situations concrètes 

Dès les premières réalisations de « Mieux vaut prévenir », diffusées à la télévision en 1959-1960 (mais aussi utilisées dans le cadre scolaire ou associatif comme support pédagogique), certaines critiques exprimées par les spectateurs mettent en évidence un format trop long pour espérer captiver l’auditoire. La durée moyenne de vingt à trente minutes des films ne semble pas permettre la rétention d’une information claire et précise. De même, le « style » propre à ces essais ne semble pas faire l’unanimité. Les archives collectées montrent une déception récurrente chez les spectateurs161. En effet, c’est ce que nous retrouvons dans les comptes rendus des réunions de la commission des films d’éducation sanitaire : les résumés présents dans le catalogue décrivent régulièrement des séquences d’interviews ou de longs entretiens dont ils dénoncent le caractère soporifique. Bref, la plupart du temps ces films exposent des présentations frontales mettant en scène un spécialiste (médecin, personnel médical) s’adressant aux téléspectateurs, à la manière d’un enseignant, dans un style de présentation que nous qualifierons de « magistral ». Les utilisateurs de ces bandes soulignent l’inefficacité de l’effet éducatif et, finalement, remettent en cause la capacité réelle d’incitation à des pratiques plus saines. Ces critiques exprimées concernent l’ensemble de notre corpus et impliquent également les films relatifs aux exercices physiques. Quelques extraits des comptes rendus retournés par les responsables de projections, dans le cadre de diffusion de groupe illustrent les arguments utilisés : « au cours de différentes interviews »,

« un peu trop didactique », « les interviews sont trop nombreuses » (« Le bruit cet ennemi »,

1959) ; « un journaliste interview le public », « très didactique, non motivant dans la

première partie » (« Le cancer », 1960) ; « séries d’interviews » (« Les affections cardio- vasculaires », 1960) ; « Interviews de spécialistes » (« Problèmes de l’alcoolisme », 1960) ;

       

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Compte rendu de l’étude du scénario « La gymnastique féminine » (1969-70), p.1. [A.N. 19850587 Art 3]. 161

« au cours d’interviews successifs », « trop didactique, non motivant » (« Attention vacances ! », 1960) ; « l’emploi de l’interview confère au film un caractère didactique » (« Le diabète du jeune », 1960). Ces remarques montrent finalement que le format de l’émission « Mieux vaut prévenir », première expérience du genre, semble déjà dépassé dès la fin des

années 1950, trop peu adapté à la télévision et à l’évolution de programmes publics plus divertissants. Même les responsables de l’éducation sanitaire portent un regard a posteriori relativement critique sur ce premier essai : « Trop d’émissions des programmes antérieurs ont

revêtu la forme de simples exposés filmés, de conception didactique, ou d’une succession d’interviews d’intérêt inégal. Aussi, il s’est avéré indispensable de recourir à certains procédés, techniques pour la plupart, assurant une amélioration de la qualité des émissions »162.

Les premières productions des émissions « Je Voudrais Savoir », réalisées quelques années plus tard (1963-1974), sont encore inspirées des anciens formats et donc rapidement jugés insatisfaisantes. Ces films perpétuent la forme d’une « leçon », avec l’ambition de transmettre aux téléspectateurs un maximum de données et de connaissances dans un temps réduit. Ce dispositif propose une forme de contenus qui laisse entendre qu’une leçon en elle- même suffit à provoquer des changements de comportements, reproduisant en quelque sorte une démarche d’apprentissage par induction. Cependant, les différences entre la transmission de l’information, sa rétention, son intégration et l’engagement dans l’action apparaissent rapidement dans les constats et les limites présentés dans le champ de l’éducation sanitaire. Une volonté de changement est exprimée, dès 1964, dans les discours des responsables de la commission éducative du CNESS: « Présentées d’abord sous la forme de reportages sur tel

ou tel établissement ou sous forme d’une conversation avec une personnalité sur un sujet donné, ces émissions prennent actuellement une orientation nouvelle »163. Cette orientation est confirmée la même année par la commission de préparation des films : « la formule du

reportage ou de la conversation avec une personnalité a été abandonnée parce qu’elle ne tirait pas les téléspectateurs de leur passivité »164. Or, cette démarche tarde à se concrétiser de façon satisfaisante. Dans le rapport moral de 1968, le délégué général insiste de nouveau sur la nécessité de changer de concept pour améliorer la portée du message sanitaire : « Il

convient, en même temps, de faire admettre à nos compatriotes la nécessité d’une discipline

       

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Rapport d’activité CNSS 1966, p. 159. 163

Informations et actualités. Santé publique et population, juillet 1964. Action éducative et radiotélévision [A.N. 19780555 Art 10]

164 Ibid.

sanitaire. Il faut créer un concept nouveau, réveiller l’esprit de solidarité et le sens des responsabilités individuelles et collectives. Cet objectif ne peut-être atteint que grâce à un large développement de l’éducation sanitaire qui s’efforce d’inculquer à chaque citoyen les connaissances élémentaires qui l’aident à protéger sa santé et celle de son entourage »165. Ce n’est donc pas le statut des films sanitaires qui est remis en cause, mais la façon dont ils sont construits. Les responsables de cette branche de l’éducation sanitaire vont donc poursuivre les travaux relatifs à l’amélioration des productions et en tenant compte des critiques exprimées, ils vont tenter d’apporter un plus grand intérêt « télégénique » aux films. Dans le même temps, les responsables de l’O.R.T.F. imposent un format d’une durée maximale de dix minutes, en mettant en avant un problème d’harmonisation avec le programme général, ainsi qu’un problème de gestion de la grille quotidienne166. A partir de 1968, la série « Je Voudrais

Savoir » doit donc à la fois tenir compte de nouvelles contraintes et des attentes du public, en

proposant des émissions moins solennelles, plus courtes, plus dynamiques et si possible moins fastidieuses. Alors que les premières études sur la communication de groupe émergent en France, en parallèle du développement de la télévision, le choix est donc fait d’adapter le contenu, dans un format plus court, pour sensibiliser mieux et davantage le public visé.

Le changement de format n’est pas la seule révolution qui accompagne les productions éducatives. En parallèle, les stratégies de présentation évoluent aussi, notamment avec une plus grande attention portée au développement de la « scénarisation ». La présentation « frontale » jugée si fastidieuse va peu à peu s’estomper au cours de la décennie 1960. La stratégie du CNESS vise donc à introduire, dans le contenu des émissions, des scènes plus dynamiques, qui soient plus évocatrices pour le public et qui délivrent des conseils facilement transposables dans la vie de tous les jours. Fini le temps du tête-à-tête avec un spécialiste froid et austère, place à l’action, à la démonstration et surtout, place à l’humour ! Il faut désormais captiver le spectateur, à partir d’une mise en condition réelle et de cas pratiques accompagnés de conseils à suivre, facilitant l’adhésion du public. A travers cette évolution notable, nous constatons que les éducateurs sanitaires mettent en avant le principe de la scénarisation comme un élément permettant d’impliquer davantage les individus. Ils prennent en compte, manifestement, les études réalisées au début des années 1960 à propos du comportement et des attitudes de consommation télévisuelle167. Celles-ci montrent que la        

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Rapport moral du Secrétaire Général du COFRESS à la fin de 1968, p. 7. 166

Procès-verbal de la Commission Technique du COFRESS du 7 novembre 1968. 167

Jean Cazeneuve, Sociologie de la radio-télévision, Paris, PUF, Coll. "Que sais-je ?", 1963 ; Joffre Dumazedier, Télévision et éducation populaire, Paris, Unesco / Bourrelier, 1955.

transmission de l’information ne suffit pas à provoquer un changement notable chez la plupart des individus. Vouloir convaincre le téléspectateur par trop de notions médicales et de chiffres est une stratégie qui s’est avérée rapidement obsolète. Pour captiver le téléspectateur, la démarche mise en avant consiste au contraire à mobiliser un discours plus imagé, aussi réaliste que possible. La transparence semble être une condition sine qua non à la rétention d’information. Le leitmotiv des concepteurs est de transmettre un discours reflétant la réalité, quitte à modifier un film déjà tourné, ce qui est le cas, par exemple, du film « L’éducation

physique et sportive ». Le compte-rendu de visionnage, réalisé en 1970, révèle les vives

critiques adressées par plusieurs membres de la commission : « Mme le Dr Chenin remarque

que l’émission est réalisée dans le cadre d’une école « bien équipée » ce qui ne manquera pas de provoquer – une fois encore – des réactions de la part des instituteurs ne disposant pas de semblables installations »168. De même, « M. le Pr Petit-Maire pense qu’il aurait été

souhaitable de montrer des jeunes faisant des exercices en plein air. Par ailleurs, il observe que les personnages interviewés emploient de « grands » mots pour parler de choses banales »169. Le projet consiste à impliquer davantage l’individu qui doit se reconnaître dans le message pour trouver la motivation nécessaire d’entrer dans l’action. Le film sera donc modifié en intégrant la présentation d’enfants d’âges variés et des types d’activités différents, afin de mieux présenter la formule du tiers temps et de sa pratique sportive pédagogique.

L’humour peut aussi être un allié efficace pour éveiller l’attention des téléspectateurs passifs. Les stratégies qui animent les concepteurs cherchent à faire de cet instrument médiatique un outil d’incitation à l’action, afin que chacun et chacune se prenne davantage en main. Pour cela, les films balayent un très large éventail de domaines, selon le modèle d’un catalogue dans lequel chacun viendrait puiser les connaissances dont il a besoin. Les progrès en marche visent une application de plus en plus simple et efficace : « Ce sont des émissions

n’excédant pas dix minutes, dont les sujets sont limités le plus souvent à des problèmes pratiques d’hygiène et de santé familiale ou professionnelle. Elles se caractérisent par leur extrême simplicité. N’épuisant évidemment aucun des sujets abordés, elles donnent dans tous les cas les conseils susceptibles d’une mise en pratique immédiate. Bien que conçues pour un public français, certaines d’entre-elles peuvent être destinées à un marge public francophone ; elles pourront constituer également, à l’intention d’un personnel d’encadrement (instituteurs, travailleurs sociaux, professions para-médicales), un matériel de

       

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Procès-verbal de la réunion de la Commission « Je Voudrais Savoir » du 6 avril 1970 [A.N. 19850587 Art 2] 169

sensibilisation à quelques principes d’éducation sanitaire »170. Ces productions tentent donc à la fois de servir de support pédagogique (diffusions publiques) et de sensibiliser un public nouveau (télévision), par un renouvellement rapide et une mise à niveau de la forme pédagogique des films et de leurs contenus.

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