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 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

2.  Les premières mobilisations médiatiques de l’Etat en faveur de l’éducation sanitaire et sociale 

2.1.  Les années 1950 : « un temps fort de santé » 35

D’un point de vue strictement technique, l’après-guerre est la période durant laquelle l’affichage publicitaire à vocation sanitaire s’est fortement développé, faisant des années 1950, « un temps fort de santé ». Les premières réflexions des acteurs de l’éducation sanitaires relatives à l’efficacité des dispositifs questionnent la constitution des actions médiatiques et doivent amener en somme à saisir « le poids des mots, le choc des

images »36.

Si l’affiche est le principal outil de communication publique à grande échelle, d’autres biais permettent de diffuser les préceptes d’hygiène sanitaire. L’inventaire de l’outillage de l’éducation sanitaire réalisé, en 1953 par Lucien Viborel37, est révélateur des préoccupations jugées comme étant une priorité des premières mobilisations en faveur de la santé des populations. Le support pédagogique de l’époque est constitué de films fixes38, des premiers films cinématographiques sanitaires, de planches illustrées, de fiches éducatives, de photographies, d’affiches et de publications (ouvrages et périodiques dont la revue : « La santé de l’homme »)

       

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Nous renvoyons ici le lecteur au graphique représentant la répartition temporelle des émissions sanitaires télévisées entre 1959 et 1988, en annexe.

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Née sous l’égide de la Radiodiffusion-Télévision Française (RTF), elle résistera à la création de l’Office Radiodiffusion-Télévision Française (ORTF), puis au passage aux organismes indépendants, en étant diffusée par TF1 de 1975 à 1976.

35

Didier Nourrisson (dir.), A votre santé ! Education et santé sous la IVe République, Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2002a, p. 7.

36

Thierry Fillaut (dir.), Quand la santé publique s’affiche : 1945-1995, 50 ans, 50 affiches, Rennes, Editions Ecole Nationale de la Santé Publique, 1995, p. 23.

37

Lucien Viborel (dir.), L’éducation sanitaire, Tours, Arrault & Cie, 1953, pp. 207-249 (chapitre XII). 38

Thierry Lefebvre, Films fixes et santé publique, Revue d'histoire de la pharmacie, 89e année, n° 331, 2001, pp. 381-399. (Les illustrations sont extraites de cet article)

La projection de films fixes grâce à du matériel portatif constitue une partie importante de l’arsenal éducatif de l’époque. Cette technique permet notamment une diffusion institutionnelle, mais aussi une forme de diffusion rurale itinérante. Cet aspect ambulant, dans des véhicules mobiles, est la forme que nous retiendrons du prosélytisme d’après-guerre, destiné à renseigner les populations sur leurs droits sociaux et les savoirs sanitaires.

Les campagnes des années 1950, comme nous venons de le voir, ne véhiculent pas encore les pratiques physiques comme un impératif de prévention, ce que confirme le tableau récapitulatif reprenant les principaux thèmes abordés pour chacun de ces moyens de communication. A l’inverse, d’autres pathologies sont surreprésentées et témoignent d’un passé orienté vers la lutte contre les « grands fléaux sociaux »39.

Thèmes abordés40 et supports Films fixes Films animés Planches illustrées Fiches

éducatives Photos Affiches

Biologie 5 3 Hygiène générale 7 4 5 12 1 Hygiène bucco-dentaire 2 Maladies vénériennes 4 2 20 4 5 5 Puériculture/PMI 25 6 40 23 8 3 Cancer 1 1 20 4 5 5 Alcoolisme 1 1 20 1 1 Tuberculose 4 10 20 6 10 10 Secourisme 2 Hygiène alimentaire 1 3         39

Lucien Viborel (dir.), Savoir prévenir. Guide pratique de la santé et de lutte contre les maladies sociales, Paris, savoir prévenir, 1936 ; Lucien Viborel (dir.), L’éducation sanitaire, op. cit.

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Tableau reconstitué à partir de l’inventaire (« L’outillage de l’éducation sanitaire ») réalisé par Lucien Viborel (dir.), L’éducation sanitaire, op. cit., pp. 207-249 (chapitre XII).

Maladies infectieuses et Vaccinations 4 26 Education physique et sports 2 Prévention et sécurité 7 Informations sociales 3   Tableau 1 : inventaire de "l'outillage éducatif sanitaire" (1953) 

Ce tableau représente une partie de l’outillage de l’éducation sanitaire dont disposent les éducateurs en 1953, datant pour la plupart de la période post seconde guerre mondiale. L’éducation sanitaire des années 1950 laisse donc en héritage une vaste mobilisation en faveur de la lutte contre les grands fléaux sociaux, dont la tuberculose et les maladies vénériennes sont les pathologies les plus visibles et les plus préoccupantes (une centaine de documents sont recensés sur ces thèmes). Une analyse rapide de ce tableau reconstitué montre clairement l’accent mit sur la prévention des grandes épidémies particulièrement pathogènes au milieu du siècle. A ce titre, nous pouvons retenir que les premiers films cinématographiques se concentrent largement sur la question de la tuberculose (10 films sur 29, soit près de 35% des documents de cette catégorie). Des sujets annexes ne retiennent pas l’attention, dans un premier temps, des éducateurs sanitaires, comme les connaissances biologiques ou alimentaires, ainsi que la problématique de l’éducation physique qui ne compte visiblement pas dans cette période.

Le thème de la Protection Maternelle et Infantile (et de la puériculture) apparait également largement. La question de l’alimentation des nourrissons est particulièrement mise en valeur, dans cette période de forte natalité prolifique, comme le montre l’illustration. Cela témoigne de préoccupations inédites à propos d’une croissance « normale » des enfants. S’engage par exemple toute une mobilisation en faveur de la consommation de lait pour la jeunesse, fortement soutenue par Pierre Mendès France41. Profitant notamment du système scolaire, cette véritable « croisade » diffuse un imaginaire du lait42, qui associe consommation régulière, réussite intellectuelle et épanouissement. Ce que l’on pourrait considérer comme une première forme de campagne apparait aussi comme un moyen de donner de bonnes habitudes alimentaires dès l’enfance, ce qui peut être mis en parallèle avec d’autres

       

41

Didier Nourrisson, Le lait à l’école. Pédagogie de la voie lactée, dans Didier Nourrisson (dir.), A votre santé !

op. cit., pp. 85-96.

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préoccupations de santé, notamment la problématique de la lutte contre les excès d’alcoolisme, largement répandus dans les milieux populaires43.

 

Figure 5 : Document tiré de Lucien Viborel, "L'éducation sanitaire", 1953.

Malgré des instruments variés et des thèmes disparates, l’éducation sanitaire du milieu du siècle cherche dans un premier temps à inscrire dans la mémoire des populations un message fort et indélébile : l’hygiène comme voie de salut. L’apport des grands publicistes de l’époque44 est une solution utile pour moderniser la forme des messages et développer des slogans efficaces. Le visuel reste l’élément central et, comme le montrent certains auteurs, l’image est « censée être plus proche de l’expérience vécue et plus facilement

mémorisable que la communication par les mots »45.

Retenons ici que le support, aussi sommaire soit-il, engage une perpétuelle réflexion sur la teneur du discours, qui doit être au plus près des attentes des populations et des réalités du quotidien. Dans les années 1950, on voit bien que ces préoccupations tournent essentiellement autour des grandes maladies épidémiques (tuberculose, maladies vénériennes,        

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Bertrand Dargelos, La Lutte antialcoolique en France depuis le XIXe siècle, Paris, Dalloz, 2008. Citons également les textes sur la lutte antialcoolique dans Didier Nourrisson (dir.), A votre santé ! op. cit., pp. 125-193. 44

Decaris, Maillol, Wilquin... Cf. Thierry Fillaut (dir.), Quand la santé publique s’affiche, op. cit., pp. 30-31. 45

vaccinations), mais traitent également des questions de puériculture. Que ce soit par l’affiche ou par l’usage de la télévision comme nous le verrons dans la partie suivante, ce sont la rétention et la compréhension des messages qui priment, même si les stratégies éducatives diffèrent. Les manières de mettre en scène les risques sanitaires ne sont pas les mêmes. Les manœuvres consistent essentiellement dans les années 1950 à des formes précoces de sensibilisation, d’information et de préconisation autour des grands fléaux sociaux, sans s’attarder davantage sur la prévention. D’ailleurs, la problématique des pratiques physiques en est complètement absente et donc ne concerne pas a priori le domaine de l’éducation sanitaire. Les quelques propositions ou solutions évoquées concernent alors des notions d’hygiène générale (« l’hygiène, c’est avant tout la propreté »46) ou par exemple la nécessité de se vacciner (« Les vaccinations mettent à l’abri de nombreuses maladies contagieuses »47). De même, les nombreux documents au sujet de la puériculture montrent par exemple les préconisations pour bien élever son enfant et devenir une mère responsable, ce que Bernadette Tillard analyse comme un « martèlement éducatif des femmes »48. La question de la prévention est donc peu présente en tant que telle et les messages des années 1950 s’attardent sur des stratégies d’informations hygiénistes et des recommandations prescriptives voire moralisatrices, ce que note d’ailleurs parfaitement Dominique Berger : « D’une manière

générale, le discours sous-jacent apparaît très normatif, dans une tradition d’information sanitaire laissant transparaitre des pratiques pédagogiques essentiellement d’ordre transmissif »49. De même, à propos des actions d’informations sanitaires, il ajoute que « leurs

objectifs, le plus souvent politiques, visent à diminuer l’incidence des fléaux sociaux ou des maladies. Ils sont cependant davantage axés sur la prophylaxie [] que sur l’éducation et la promotion de la santé »50. L’information hygiénique et sanitaire mobilise, dans cette logique de sonnette d’alarme sur les grands dangers du milieu du siècle, de nombreuses associations impulsées par des mécènes privés, mais aussi le Centre National d’Education Sanitaire, soutenu et légitimé par les services de la Sécurité Sociale. Dans cette période des années 1950, ils diffusent des conseils hygiéniques, des instructions, à travers quelques films, des documents primitifs, qui représentent en quelque sorte les prémices de l’éducation sanitaire.         46 Ibid., p. 40. 47 Ibid., p. 35. 48

Bernadette Tillard, Quand la prévention sanitaire s’adresse aux parents et aux futurs parents, ethnographiques.org, n°14, octobre 2007 [en ligne]. (http://www.ethnographiques.org/2007/Tillard)

49

Dominique Berger, Conclusion… Des hommes et des maux…, dans Didier Nourrisson (dir.), A votre santé !

op. cit., p. 201.

50 Ibid.

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