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 3 Repères et approches méthodologiques

Prévention 20 1979-1984 12 min Post-

4.  Contextualisation avant 1960

4.3.  L’institutionnalisation et le développement de l’éducation sanitaire 4.3.1 L’organisation administrative nationale 

4.3.2.  L’exemple d’un support moderne : le cinématographe 

Les responsables de l’éducation sanitaire en France ont pour la plupart, au milieu du XXème siècle, été des hommes de science, médecins érudits et grands visionnaires. « Et ces

gens-là avaient une approche très prémonitoire de ce que devait être la prise en charge individuelle, le rôle de l’information, de l’éducation à la santé »205. Ainsi, souvent très au fait des nouvelles techniques, notamment d’information, les dirigeants du milieu restreint de l’éducation sanitaire206 d’après-guerre ont très tôt su en profiter.

Prenons par exemple l’utilisation des techniques cinématographiques. Si l’on considère que l’invention du cinéma dans sa forme moderne remonte à 1895207, les premiers films sanitaires peuvent approximativement être datés dans la période 1896-1898. Ces « films

d’enseignements médicaux »208 connaitront un succès grandissant jusqu’à l’aube de la première guerre mondiale et surtout dans la période des années 1920-1930. Notamment orientés dans la lutte massive contre les grands fléaux de l’époque209, la syphilis, la tuberculose, le cancer ou encore l’alcoolisme, ces films ont connu un engouement certain, par leur côté novateur et divertissant. Nous pouvons noter une forte prolifération de ces scènes de « théâtre filmé », censés informer les populations contre ces « ennemis de l’intérieur »210, lors de projections publiques locales. Malgré ce progrès technique révolutionnaire, les résultats        

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Entretien avec Françoise Buhl, novembre 2010. 206

On retrouve souvent les mêmes interlocuteurs à différents postes à responsabilité en relation avec les ministères ou les instances décisionnaires en Santé publique. Par exemple les Pr. Tubiana, Monnier, Leclainche, Delore, Pous… Mais aussi Lucien Viborel et Jacques Parisot. Voir Marie-Louise Dencausse, op. cit.

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Si les premières séances de diffusion cinématographiques sont attribuées aux frères Lumière en 1894-1895, il faut cependant citer ici les expériences innovantes qui ont précédé cette invention. Et notamment l’expérience de Muybridge (le zoopraxiscope pour décomposer le mouvement d’un cheval, 1878) ou de Marey (le fusil photographique, 1882).

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Intervention de Christian Bonah (Université de Strasbourg, IRIST, IUF) " Instruire, séduire et prévenir :

santé publique et films de propagande sanitaire dans l'entre-deux-guerres " au colloque « De la propagande

sanitaire à l’éducation pour la santé » (Lyon – 28 mai 2009). 209

« De plus en plus les films d’hygiène sociale sont demandés par les éducateurs. Il est intéressant de noter, à

cet égard, que les films les plus demandés se rapportent à la puériculture, à la tuberculose, aux soins corporels, aux maladies vénériennes. » Lucien Viborel, La technique moderne..., op. cit., p. 412.

Le catalogue des films de propagande d’hygiène sociale de 1930 fait état de 369 films répartis comme suit : Hygiène générale (33 films), Natalité et puériculture (47 films), Zoologie (50 films), Anatomie et physiologie (11 films), Taudis et logement salubres (9 films), Education physique et vie saine (44 films dont 23 films traitant de l’éducation ou la pratique physique), Diagnostic précoce (2 films), Infirmières-visiteuses (26 films), Maladies vénériennes (28 films), Tuberculose (68 films), Alcoolisme (12 films), Cancer (1 film), Fièvre thyroïde (9 films), Diphtérie (3 films), Paludisme (3 films), Divers (23 films). Lucien Viborel, La technique moderne..., op. cit., p. 418.

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Intervention de Christian Bonah (Université de Strasbourg, IRIST, IUF) " Instruire, séduire et prévenir :

santé publique et films de propagande sanitaire dans l'entre-deux-guerres " au colloque « De la propagande

escomptés ne sont pas atteints, et la nécessité d’étoffer, d’envelopper le discours transmis, s’impose. Il faut une nouvelle efficacité aux séquences diffusées, le spectateur doit tirer une leçon du film d’éducation sanitaire, et pas simplement se divertir. Ces films sont censés enrichir son répertoire de connaissances et l’inciter à agir sur son propre comportement211. Distinguons dès à présent les deux catégories dominantes essentiellement utilisées dans la première moitié du siècle :

- Les « films fixes », qui sont le fruit des éducateurs sanitaires vadrouillant le pays et organisant des séances de visionnage, suivie de causeries autour de thèmes particulièrement inquiétants (alcoolisme, épidémies…). Dans cet exemple précis, et malgré l’utilisation de matériel nouveau et moderne, ces séances d’information s’apparentent à des croisades dans lesquelles des missionnaires médicaux vont à la rencontre du grand public, notamment dans les contrées les plus isolées.

- Et les « films animés », véritables séquences de cinéma, réalisés avec un matériel rudimentaire, et qui trouvait à travers les salles publiques ou les classes d’école des lieux de diffusion possibles. Le réseau sanitaire nouvellement mis en place participe à des prêts réguliers de copies de ces films, dans le cadre de diffusion scolaire, municipales, scientifiques… Un catalogue est mis à disposition du public. En termes de matériel de projection, les ressources sont assez inégales. Certains centres possèdent de nombreux projecteurs (Bordeaux 25 fixes, 4 animés, Lille 16 fixes, 5 animés, Clermont-Ferrand 14 fixes, 1 animé…) et d’autres peu ou pas (Limoges 1 fixe, Angers 0…). Au final, le nombre de spectateurs ayant profité des films varie beaucoup : de 800 à Fort-de-France, à plus de 145.000 à Nancy en 1963212.

A l’origine, dès 1897-1898, les films se regroupent essentiellement sous la catégorie « d’enseignement médical », avec des productions selon deux versants : d’une part un côté éducatif et médical, diffusé dans les écoles de médecine (essentiellement des films chirurgicaux, montrant des opérations), et d’autre part le côté spectaculaire, voire choquant à destination du public213.

       

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Lucien Viborel, La technique moderne..., op. cit. (cf. Chapitre 3). 212

Centre National d’Education Sanitaire et Sociale, L’éducation sanitaire et sociale en France, Enquête

réalisée par le CNESS, Paris, CNESS, 1964. [Document BNF : 4- R- 10873].

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Intervention de Christian Bonah (Université de Strasbourg, IRIST, IUF) " Instruire, séduire et prévenir :

santé publique et films de propagande sanitaire dans l'entre-deux-guerres " au colloque « De la propagande

Sous l’impulsion des sociétés Pathé et Gaumont, le film médical se démocratise auprès du grand public, et prend l’orientation de l’éducation sanitaire. Ainsi, dès 1910, les productions s’accélèrent et se diversifient en prenant un caractère plus social : films sur la propreté, l’assistance médicale, les services sociaux… Cependant, l’essoufflement rapide de ces formes de diffusion va subitement laisser place à un nouveau dispositif au milieu des années 1950. Dans ce contexte d’institutionnalisation de la santé publique en France214, ces films vont se démocratiser et se rationaliser pour toucher un public plus large grâce à une diffusion globale, via la télévision. Là où les films des années 1930 se contentaient de séances restreintes, privées, avec un impact faible et localisé, l’ère de la télévision vise plus haut, par une véritable vulgarisation de masse. L’apparition et le fort engouement pour la télédiffusion, à l’aube de la Vème république, notamment avec la création de la Radiodiffusion et Télévision Française215, début 1949216, laisse entrevoir une destinée florissante pour les films à vocation scientifique en général, et à vocation sanitaire en particulier. Il faudra malgré tout attendre plus d’une décennie avant que cet instrument ne se démocratise auprès des ménages français. Ainsi, le nombre d’appareils équipant les foyers français passe de 3794 postes en 1950 à « près d’un million en 1958 »217 ; le taux d’équipement passe approximativement de 1% du total de la population française en 1954 à 13,1% en 1960, et grimpe à 51,7% en 1966, année où « la couverture du territoire français en émetteurs » est achevée218.

Les perspectives ouvertes par ce nouveau canal paraissent sans limite. Fini le temps des cinématographes portables et des réunions publiques désertes. Le temps est à la communication de masse, à moindre effort. Encore une fois, le milieu sanitaire et préventif va se mobiliser pour profiter de ces avancées technologiques. L’attrait est double. Il s’agit à la fois de montrer à nouveau que l’éducation sanitaire est une discipline moderne, en vogue, qui sait s’adapter à son temps. Mais il s’agit également et surtout pour les leaders de ce mouvement de se détacher de l’attrait moraliste qui lui fait défaut et dont il essaie depuis longtemps de se détacher : « Le film d’enseignement de l’hygiène sociale doit être clair et

simple. Il devra être attrayant et non horrifiant. […] On a cru trop longtemps que pour faire de l’enseignement hygiénique, il fallait montrer les plus horribles lésions, les plus

       

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1945 : Création de la sécurité sociale et des structures d’éducation sanitaires (Centre National d’Education Sanitaire, 1945)

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Le sigle communément adopté pour cet organisme est « R.T.F. ». 216

Décret du 9 février 1949. 217

« 998.000 postes recensés ». Source : Marie-Françoise Lévy (dir.), La télévision publique dans la République.

Les années 50, Paris, Ed. Complexe, Coll. « Histoire du temps présent », 1999, p. 13.

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repoussantes mutilations. On s’est attaché, à notre sens, beaucoup trop au côté négatif de la question de l’hygiène sociale, pas assez au côté positif et constructif. Tout en nous gardant d’une réaction trop accentuée, ce qui constituerait une autre erreur, nous estimons qu’il est grand temps d’adopter, comme moyen d’enseignement de la préservation, non pas le film qui repousse mais le film qui attire »219.

Ainsi, le milieu des années 1950 est l’occasion pour les structures d’éducation sanitaire de renouveler leur stock de productions, afin de pouvoir régulièrement les diffuser sous le titre de l’émission « Mieux vaut prévenir », via la RTF. La faible marge de manœuvre des commanditaires au sein de la RTF, conjuguée à une faible diffusion en raison d’un taux d’équipement restreint ont sans doute contribué à la disparition de cette émission en 1960.

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