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 3 Repères et approches méthodologiques

Prévention 20 1979-1984 12 min Post-

4.  Contextualisation avant 1960

4.1.  De l’hygiénisme à la santé publique moderne : du curatif au préventif 4.1.1 Historiographie du système de santé publique français 

4.1.2.  Avènement de la médecine probabiliste

Pourtant, face aux limites affichées dans certains domaines de la médecine traditionnelle, les méthodes prophylactiques puis hygiéniques émergent, dès la IIIème république, comme salutaires : « L’hygiénisme se développe d’abord dans les lacunes de la

thérapeutique. Faute de savoir guérir, il importe de prévenir »148. Cette science de l’hygiène se base avant tout sur le calcul d’une probabilité, sur l’apparition potentielle d’une pathologie dans un groupe donné. Elle se base donc essentiellement sur un développement statistique149, justifiant ainsi des interventions spécifiques sur des groupes à risques, spécifiquement concernés. Ce qui provoque des revendications éthiques, ces entités étant alors la cible de discrimination : « Désigner un groupe à risque, c’est souvent le dénoncer, lui reprocher une

déviance, une faute, et par là même envisager de le mettre à l’écart, pour qu’il ne corrompe pas d’autres segments de la société »150. L’utilisation et le traitement des méthodes statistiques en médecine sont relativement récents, bien que les origines de ces techniques soient imprécises. D’un point de vue étymologique, à l’origine en tout cas,        

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Extrait de l’ordonnance du 4 octobre 1945. 147

Extrait de l’Illustration du 19 mai 1934, à propos du fonctionnement de l’Institut Public d’Hygiène Sociale :

« ajoutons qu’il a été, lui, largement subventionné par l’initiative privée. Créé à la demande de la fondation Rockefeller, et grâce à une contribution annuelle de celle-ci de 300.000 francs, il a réalisé la formule pour laquelle avaient été créés les offices. […] La contribution de la fondation Rockefeller devait cesser au bout de cinq ans, mais, eu égard aux services éminents rendus par l’office, notamment par sa lutte contre la tuberculose, elle a été prolongée d’autant ».

148

Jacques Léonard, La France médicale au XIXème siècle, Paris, Gallimard, 1978, p. 173. 149

Luc Berlivet, De « l'enquête médico-sociale » à la « recherche statistique » : reconfiguration de la recherche

médicale et transformation des pratiques statistiques à l'INH/INSERM (1941-1982), Courrier des statistiques

n°123, janvier-avril 2008, pp. 13-14. 150

« l’épidémiologie » semble être l’étude de la distribution des épidémies et la recherche des causes de leur apparition151. L’épidémiologie peut donc être plus précisément définie comme « l'analyse quantitative des circonstances d'apparition des maladies et des traumatismes dans

les groupes de population, des facteurs qui affectent leur incidence, leur distribution et la réaction des patients, ainsi que l'usage de ce savoir dans la prévention et dans la lutte»152. Sans nous attarder sur l’origine exacte de cette méthode d’investigation, notons que l’épidémiologie des maladies chroniques concerne la seconde partie du XXème siècle. Ainsi, nous retiendrons comme date repère, dans le cas de la situation française, la création de la section « épidémiologie » de l’Institut National d’Hygiène – héritier de la Mission Rockefeller et ancêtre de l’INSERM – en février 1942. Cette section, dirigée par Alice Lotte, s’organise rapidement autour d’études statistiques sur les grandes épidémies encore existantes ou naissantes : tuberculose153, cancer, leucémie… Cette branche de l’institut, organisme d’Etat, a très rapidement évolué dans son appellation, mais également dans ses missions, menant des études inédites sur les facteurs de risques pendant la grossesse dès 1963, ou le handicap d’origine congénitale à partir de 1987. Les premières années de fonctionnement de l’INH, notamment pour des raisons budgétaires et sociopolitiques, n’ont pas été très prolifiques en matière de recherche épidémiologique. Il faut attendre le début des années 1960, notamment avec le passage à l’INSERM, pour observer les premières études opérationnelles154.

Cette logique scientifique amène à ne plus simplement assimiler l’individu à un malade, mais comme potentiellement porteur de maladie. Une inversion importante se produit ici : la médecine agit désormais « sur ce qui n’est que potentialité »155, en développant des études de type probabiliste, dont l’INSERM se veut le fer de lance. La montée en puissance de la recherche épidémiologique traduit une importante métamorphose de la médecine156, qui se conjugue à un retour en force de la branche préventive. L’inversion est ici symbolique :        

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Nous nous basons sur une des premières définitions proposées, celle de Brian Mac Mahon : « Epidemiology is

the study of the distribution and determinants of disease prevalence in man » (Epidemiologic Methods, Little,

Brown, 1960, p. 3) – [« L’épidémiologie est l’étude de la distribution des maladies chez l’homme et des facteurs

qui les influencent »].

152

Jean Dutertre, L'épidémiologie d'hier à aujourd'hui, Bordeaux médical, n°16, 1983, p. 598. 153

Cf entretien avec Alice Lotte sur le site Internet « Histoire de la recherche médicale et en santé publique dans

la France du vingtième siècle », mené par Suzy Mouchet et Jean-François Picard en avril 2002.

[http://www.vjf.cnrs.fr/histrecmed] 154

Jean François Picard, De la santé publique à la recherche médicale, de l'INH à l'INSERM, INSERM, 2003. 155

Anne Golse, De la médecine de la maladie à la médecine de la santé, dans Philippe Artières, et Emmanuel Da Silva (dir.), Michel Foucault et la médecine. Lectures et usages, Paris, Kimé, 2001, p. 288.

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« le discours de la médecine de santé fait rupture avec celui de la médecine curative : l’homme n’est plus le terrain de la maladie, il en devient l’auteur »157. Face aux limites de la médecine curative, notamment face à l’augmentation des maladies cardio-vasculaires, le développement de la prévention et de l’éducation pour la santé, tel qu’il est véhiculé par de nouvelles institutions comme le Centre National d’Education Sanitaire158, va s’organiser en tentant d’introduire la notion d’anticipation sur les comportements.

Ainsi, nous assistons à l’émergence de la notion de « risque »159 et de facteurs qui lui sont associés, potentiellement déclencheurs de maladies. Leur cumul augmente les probabilités d’apparition de pathologies. Cependant, si certains de ces « facteurs de risques »160 doivent être réduits par des actions de prévention primaire, d’autres sont au contraire des « facteurs de santé », que la promotion de la santé doit pouvoir encourager : amélioration de la nutrition, pratique d’une activité physique, amélioration des conditions de sommeil...

Ce tournant se renforce davantage à partir des années 1980, au moment où le SIDA161 apparait en Europe et dans le Monde. Tout un chacun peut désormais se rendre compte que son comportement, notamment le comportement sexuel – le plus intime qui soit –, peut avoir une incidence directe et irrémédiable sur sa santé. Comme le note Georges Vigarello, « Le

sida est devenu le « fléau du XXème siècle », celui qui, en une décennie, a envahi toutes les consciences, mais aussi celui qui, par les défenses proposées, révèle un ultime déplacement du rapport entre l’individu et la communauté »162. A chacun désormais de comprendre à quel niveau se joue sa responsabilité, vis-à-vis des autres et vis-à-vis de soi-même. Emerge alors puis se démocratise le concept de « mode de vie »163, caractéristique de la deuxième partie du

       

157

Anne Golse, art. cit., p. 288. 158

Nous renvoyons ici le lecteur au schéma récapitulatif des institutions sanitaires en annexe. 159

Patrick Peretti-Watel, Sociologie du risque, op. cit. 160

Patrick Peretti-Watel, La société du risque, op. cit. Sur la notion de risque, et notamment le risque dans son rapport à la science, nous renvoyons également le lecteur à Douglas & Wildavsky, Risk and culture, An Essay on

the Selection of Technological and Environmental Dangers, University of California Press, London, 1983 : « L’aversion pour le risque est une préoccupation qui mène à une gestion centralisée et organisée du danger à prédire, gestion dans laquelle le pouvoir mobilise massivement ses ressources face aux maux possibles de la société ». (Extrait issu de Mary Douglas et Aaron Wildavsk « Risque et culture », Sociétés n°77, 2002, pp. 17-

19.) 161

SIDA : Syndrome de l'Immunodéficience Acquise. Le virus apparait en France en 1982, avant d’être clairement identifié dans les années suivantes. Voir sur ce sujet Mirko Grmek, Histoire du SIDA. Début et

origine d’une pandémie actuelle, Paris, Payot, 1989.

162

Georges Vigarello, Histoire des pratiques de santé. Op. cit., p. 291. 163

Cette notion de « mode de vie » se retrouve notamment dans les travaux de Pierre Bourdieu ou Joffre Dumazedier.

XXème siècle. Certaines études permettent d’observer l’apparition de cette notion dans les préoccupations des populations, à travers différents contextes socio-démographiques164.

4.2. L’émergence de la prévention : une historiographie des campagnes sanitaires 

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