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 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

3.  La télévision, un nouveau moyen de promouvoir la santé publique

Un léger retour en arrière sur les origines de la télévision nous semble opportun pour montrer tout l’intérêt de la diffusion de films télévisés comme supports de transmission de messages sanitaires à l’aube des années 1960. L’histoire de la prévention par la télévision nécessite alors de rappeler ici les grandes étapes du développement de ce moyen de communication.

La première instance de gestion et d’organisation de la diffusion, la Radiodiffusion et Télévision Française (RTF), est créée début 194965. Il faut cependant attendre plus d’une décennie avant que cet instrument ne se démocratise auprès des ménages français. Ainsi, le nombre d’appareils équipant les foyers français passe de 3794 postes en 1950 à « près d’un

million en 1958 »66 ; le taux d’équipement national passe approximativement de 1% du total de la population française en 1954 à 13,1% en 1960, grimpant à 51,7% en 1966, année où « la

couverture du territoire français en émetteurs » est achevée67.

Il existe donc ici un enjeu de taille, à travers l’annexion de la transmission télévisée comme moyen de diffusion nationale de la propagande sanitaire. Les publications des années 1950 et 196068 montrent d’ailleurs clairement la volonté des « prosélytes » de l’éducation sanitaire, pour la plupart médecins, de s’emparer de la télévision, qui doit être selon eux considérée comme un outil, un moyen et non une fin en soi. Lucien Viborel explique à ce sujet, dès 1953, qu’« elle est appelée à devenir un très précieux auxiliaire de l’éducation

sanitaire tant pour les démonstrations qu’elle apportera aux médecins, aux hygiénistes et aux infirmières et assistantes sociales, pour leur orientation et leur documentation que par la valeur de l’enseignement visuel pratique en matière de prévention sanitaire et de médecine sociale dont la télévision pourra faire bénéficier les populations. Cette action éducative de choix s’exercera sans peine à la maison, de la façon la plus adéquate et la plus efficiente »69. Conscient de l’impact potentiel d’une telle diffusion, il ne manque pas de préciser que « les

éducateurs sanitaires peuvent fonder de grands espoirs sur la Télévision lorsqu’elle aura atteint son plus vaste rayon d’action et qu’à la faveur des prix d’appareils devenus

       

65

Décret du 9 février 1949 66

« 998.000 postes recensés ». Marie-Françoise Lévy (dir.), La télévision publique dans la République. Les

années 50, Paris, Ed. Complexe, Coll. « Histoire du temps présent », 1999, p. 13.

67

Ibid., p. 12. 68

Lucien Viborel (dir.), L’éducation sanitaire, op. cit., p. 203 ; COFRESS, Au service de la santé publique, op.

cit., p. 30.

69

accessibles pour le grand nombre, elle se verra assurée de sa pleine efficience. D’une façon générale, cette technique n’est encore appliquée, du fait des conditions, que d’une façon assez limitée à l’éducation sanitaire. Nous ne croyons pas être en retard, en France, car dès l’origine de la Télévision éducative, nous avons été appelé à représenter au sein de la Commission officielle, l’éducation sanitaire »70. Les grands précurseurs de l’éducation

sanitaire en France ont su très tôt profiter des nouvelles voies de communication et adapter le format des messages sanitaires aux nouvelles technologies. Visionnaires, ils avaient déjà compris l’intérêt de la radiodiffusion quelques années auparavant, précisant que sa « portée

immense peut, en revêtant les formes les plus variées et les plus séduisantes, constituer un instrument d’éducation sanitaire de tout premier ordre »71. Ces constats montrent la nécessité de diffusion des idéaux sanitaires par les canaux médiatiques populaires et expliquent cette mobilisation du milieu sanitaire, qui peut prétendre à construire un mode d’information pérenne.

A l’enthousiasme voire l’enchantement manifesté par les éducateurs sanitaires au début des années 1950 pour la télévision alors naissante, succède cependant une période d’interrogation et de réflexion dès le milieu des années 1960. Après les premières expériences télévisuelles des années 1960, les avis des éducateurs sanitaires sont mitigés et la portée de ces actions est remise en cause. Il semble évident que la place prise par la télévision dans la société moderne en fait un nouveau loisir passif, fortement prisé par les populations : « elle a

pour elle de toucher le nombre, de s’imposer. Elle s’est révélée sans égale pour lancer une marque, un produit, une mode ou un slogan. Il serait donc impardonnable de ne point l’utiliser, à une condition cependant, c’est que l’on sache qu’il s’agit d’un genre à double tranchant dont il faut attendre le meilleur ou le pire. Le petit écran ne pardonne pas : une émission ratée ou naïve (ce qui arrive) peut animer le téléspectateur à tourner son bouton chaque fois que se présente une séquence sur la santé »72. Le message sanitaire proposé au

cours des émissions doit donc s’adapter et devenir attractif, au risque de devenir un instrument inefficace, voire contre-productif, comme l’explicite l’extrait précédent. Une réflexion s’opère donc autour de ce sujet : « La télévision ne peut tout de même pas être

considérée par l’éducateur sanitaire comme un instrument miracle qui dispensera le public d’une participation nécessaire et active à la promotion de sa santé. Elle n’est qu’un

        70 Ibid., pp. 203-204. 71 Ibid., p. 202. 72

instrument mais un instrument délicat. Comment le manier pour une efficacité réelle ? »73. La question de la passivité des téléspectateurs anime les débats, mettant déjà en lumière le rôle actif et entreprenant que doit jouer le téléspectateur pour conserver sa santé. Très tôt, dès 1964, les concepteurs des émissions télévisées comprennent que « la formule du reportage ou

de la conversation avec une personnalité a été abandonnée parce qu’elle ne tirait pas les spectateurs de leur passivité »74. Prolongeant cette réflexion fondamentale, ils concluent qu’« il est apparu indispensable de s’adresser au public d’une manière telle qu’il se sente

visé et qu’il soit ainsi appelé à s’interroger sur son propre comportement quand il s’agit d’un problème de santé individuelle, ou de sa participation à l’effort commun quand il s’agit d’un problème médical à portée collective ou d’un problème social »75. Notons d’ores et déjà la volonté certaine des éducateurs sanitaires d’agir sur l’investissement de chacun et de transformer les représentations du public en faveur d’un engagement durable et motivé. En somme, cette volonté d’agir sur la dimension cognitive du téléspectateur doit l’amener à être en alerte permanente vis-à-vis de son comportement de santé. Les réflexions de Joseph Gusfield conditionnent notre perspective analytique76, en considérant ces dispositifs sanitaires comme autant de « structures », impliquant la prise en compte d’une dimension éthique relative aux normes et valeurs diffusées et d’une dimension cognitive relative aux savoirs et techniques véhiculées.

Les orientations stratégiques s’engagent de manière précoce sur la question de la communication et de la transmission d’informations. Chaque message cherche à tenir compte du téléspectateur « moyen » pour élaborer des plans de diffusion médiatique à grande échelle. Le travail de réflexion sur la réception télévisuelle est symptomatique et révèle les motivations humanistes inhérentes au champ de l’éducation sanitaire du milieu du siècle. L’élaboration de films de prévention requiert une volonté de captiver l’imaginaire des populations et de transmettre les savoirs nécessaires au maintien de leur santé.

       

73

COFRESS, Au service de la santé publique, op. cit., pp. 34-35 74

Informations et actualités. Santé publique et population, juillet 1964, p. 1. Action éducative et radiotélévision [A.N. 19780555 Art 10]

75 Ibid. 76

« Analyser des problèmes publics comme dotés d’une structure revient à découvrir l’ordonnancement

conceptuel et institutionnel de leur émergence dans l’arène publique […] Un problème public couvre des états de fait condamnables dans la perspective de la moralité individuelle. Même les conceptions médicales de la maladie sont porteuses d’une admonition morale selon laquelle la maladie n’est pas préférable à la santé, et le patient devrait préférer se sentir bien plutôt qu’être mal en point » (Joseph Gusfield, op. cit., pp. 8-10)

La télévision s’impose donc au milieu du siècle comme un instrument propice à la diffusion « domestique » ou « populaire » des grands préceptes hygiéniques passés et futurs. Elle laisse entrevoir un espoir dans l’éducation des comportements intimes et collectifs, permettant d’accentuer la lutte contre les dernières grandes épidémies persistantes en France et en Europe. La répartition globale de ce nouveau relais médiatique est un enjeu de taille pour le milieu de l’éducation sanitaire qui cherche dès son origine à s’en emparer et à s’approprier un temps de diffusion d’information. Mais l’utilisation de ce support nécessite une réflexion préalable sur les formes du discours et la teneur des messages retransmis. Les éducateurs sanitaires cherchent à susciter chez les individus l’adoption des capacités nécessaires pour gérer eux-mêmes leur vie physique et leur destin corporel. Cependant, dans les faits, la démarche mise en œuvre n’est pas la même et les stratégies utilisées se transforment des années 1960 aux années 1980.

La suite du texte tente de reconstruire de manière simple l’ordonnancement du processus de création des films sanitaires, à commencer par la description du rôle de chaque groupe d’acteurs impliqué. La répartition des fonctions et des spécificités nous amène dans un premier temps à présenter la constitution d’une commission de travail, à travers la déclinaison des institutions engagées et des membres actifs inscrits dans cette activité. Par la suite, un passage s’attarde sur le processus de création des films et le fonctionnement chronologique de ce mécanisme.

4.  La  sous­commission  de  réalisation  des  émissions  télévisées : 

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