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Naissance du Comité Français d’Education pour la Santé : la mise en visibilité de l’éducation pour la santé en France 

 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

11.  Naissance du Comité Français d’Education pour la Santé : la mise en visibilité de l’éducation pour la santé en France 

Les années 1970 peuvent être identifiées comme une période transitoire, essentielle dans la structuration du réseau d’éducation pour la santé en France. En effet, si les années 1960 accompagnent l’apogée de la branche curative et de la médicalisation des soins, la décennie suivante voit s’amorcer le début d’un rééquilibrage des deux pôles curatif et préventif194. La technologisation croissante des pratiques de soins a en effet conduit à la désorganisation globale du système de santé français : « Il en a résulté, malgré les efforts

déployés ici ou là pour parer au plus pressé, un état d’anarchie du système de santé qui n’est plus désormais souhaitable. […] L’efficacité – toute nouvelle – de la médecine, la soif de se soigner de chacun, l’aspiration collective au mieux être, la croissance inéluctable des coûts font que désormais, il n’est plus possible de traiter les problèmes qui surgissent de toute part, les uns après les autres et indépendamment les uns des autres, une vision globale s’impose »195. Il y a donc une volonté nouvelle de faire primer la prévention dans le milieu

médical, qui s’observe notamment à partir des grandes orientations politiques décidées par le VIème puis le VIIème plan « santé » du commissariat au plan. Le premier de ces deux actes cherche, en développant une politique de « rationalisation des choix budgétaires » – justifiée et amplifiée par les crises économiques du début des années 1970 –, à réorganiser le système de soins pour en réduire les dépenses de fonctionnement196. Parmi les principaux axes engagés, certaines priorités sanitaires concernent le développement de la prévention dans différents domaines : protection maternelle et infantile, alcoolisme, toxicomanie, accidents, maladies mentales. Les maladies cardio-vasculaires ne sont pas oubliées puisque les orientations préconisent que « devront être poursuivis les efforts entrepris dans la lutte contre

les affections cancéreuses et cardiovasculaires et les maladies qui entraînent des coûts élevés pour la société sous forme d’arrêts de travail ou de frais pharmaceutiques »197. Cette réflexion montre la volonté de développer un axe préventif nouveau en généralisant une véritable action sociale : « un effort systématique de prévention est indispensable : quel que        

194

Anne Golse, art. cit. 195

Commissariat général du plan, Commission de la Santé, Rapport du VIème plan, La Documentation Française, 1971, pp. 50-51.

196

Commissariat général du plan, Commission de la santé, Rapport sur les options du VIème plan, Février 1970 [A.N. 20020047 Art 1]

197

Commissariat général du plan, Commission de la santé, Rapport sur les principales options qui commandent

soit le bénéfice que l’on peut attendre d’une action très globale visant à assurer une meilleure maitrise des situations par les individus, ceux-ci se trouvent exposés, dans de nombreux cas, à des risques sur lesquels seule la collectivité peut agir pour en réduire l’ampleur »198. Cet extrait témoigne de la volonté de l’Etat de développer une véritable structure d’action sanitaire. L’hyper médicalisation croissante de la société vise à lutter contre les grands maux sanitaires du pays (dépendances tabac ou alcoolisme, cancer, maladies cardiovasculaires) mais elle occasionne une explosion des dépenses de santé199. Il apparaît donc comme une nécessité première de développer une démarche préventive dans l’espoir de réduire ces coûts à long terme. Cette prise de conscience au niveau étatique permet de comprendre les nouveaux choix politiques orientés vers une répartition plus équilibrée des fonds entre les deux volets : curatif et préventif. La légitimation du CFES est un élément de réponse à cette démarche. Cette institution va jouer un rôle central dans la diffusion du savoir prophylactique au début des années 1970, mettant en lumière l’action volontariste de l’Etat. La compréhension de « l’épistémologie sanitaire » de cette époque passe alors par la connaissance des caractéristiques de ce Comité dont la particularité est d’être une association type loi 1901 tout en étant assujetti au contrôle du Ministère de la santé. Notre analyse montre cependant que cet organisme n’est pas à l’origine de la structuration du champ de l’éducation pour la santé, mais qu’il s’impose néanmoins comme un élément essentiel à son organisation et à sa stabilisation200.

Le renouvellement progressif des membres impliqués dans la vie scientifique du CFES montre un glissement vers une ouverture scientifique plus variée, moins médicalisée. Même si les spécialistes du corps médical sont toujours largement représentés, le conseil d’administration s’élargit dès 1972 en intégrant des « experts consultants à retenir comme

membres actifs»201. Chacun d’entre eux est sollicité comme référent ou spécialiste dans un domaine spécifique. Parmi un ensemble de vingt-quatre professionnels retenus, nous pouvons en comptabiliser cinq répartis dans trois catégories distinctes : un expert « Cinéma », deux pour le domaine de la « télévision » et deux autres pour le thème « audiovisuel »202. De même, le recensement des personnalités impliquées au sein des structures décisionnelles du        

198

Commissariat général du plan, Commission de la santé, Rapport sur les principales options qui commandent

la préparation du VIème plan, p. 217 [A.N. 20020047 Art 1].

199

Luc Boltanski, Les usages sociaux du corps, Annales E.S.C, Volume 26, n°1, 1971, pp. 205-233. 200

Les structures analysées précédemment montrent l’organisation d’un réseau sanitaire national dès le sortir de la seconde guerre mondiale. Cf. Laurence Tondeur, op. cit.

201

Procès-verbal du Conseil d’Administration du CFES du 30 mai 1972. 202

CFES (Conseil d’administration, commissions diverses, employés) montre d’une manière générale un renouvellement ou une restructuration des profils : moins de médecins, plus de spécialistes dans le domaine social ou pédagogique. Le CFES se « démédicalise » progressivement, du moins en partie, comme le souligne le travail de Berlivet : « En France,

l’équipe dirigeante, nouvellement nommée, du CFES tient beaucoup à marquer la rupture avec l’ « éducation sanitaire » […] et le passage à une vision positive de la santé »203. Cette étape marque donc un premier changement de conception scientifique et éthique pour ces nouveaux prosélytes qui « travaillent à imposer une redéfinition radicale des présupposés

normatifs de la prévention et tentent de faire de l’éducation pour la santé une technologie sociale toute entière au service de l’épanouissement de l’individu »204. C’est la naissance d’une structure plus éducative, qui propose des actions centrées sur le changement de comportement des individus, davantage ancrée dans les problématiques sociales. La santé publique moralisatrice et normalisatrice du milieu du siècle laisse donc progressivement place à l’éducation pour la santé, qui consacre l’individu comme une personne devant prendre conscience de ses actes et devant proscrire en toute connaissance certains comportements pathogènes.

Le discours se transforme donc progressivement à partir des années 1970, induisant un double changement dans les films analysés. D’un côté, cette métamorphose du discours médical permet de voir surgir des stratégies de prévention plus affirmées qui jalonnent le quotidien de l’individu et l’aident à se réaliser pleinement. Cela se traduit par exemple dans le renouvellement des titres de films, qui révèlent le souci de lui donner les moyens de conserver sa santé (par ex. « Ménagez votre dos » - 1973). D’un autre côté, le statut des médecins s’en trouve incontestablement modifié, passant du rang de prescripteur d’attitudes à un rôle plus en retrait, sous forme de « caution médicale » en arrière-fond du propos.

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