• Aucun résultat trouvé

Film de prévention, film pédagogique, film de propagande ? La spécificité du film sanitaire

 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

1.  Réflexions épistémologiques

1.2.  Film de prévention, film pédagogique, film de propagande ? La spécificité du film sanitaire

L’originalité du travail de recherche que nous présentons ici réside dans l’analyse d’un corpus d’archives de type cinématographique. Ces données constituent un vaste ensemble de documents audio-visuels, traitant de nombreux thèmes sanitaires, sur la base de courts films d’une dizaine de minutes, produisant des discours scientifiques ou médicaux, à travers des exemples de la vie courante, illustrés par des situations quotidiennes, anodines. Elles prennent différentes formes, visent différents objectifs, engagent différents argumentaires, mobilisent différents acteurs. Ces productions prennent également des appellations multiples, ce qui complique parfois leur classification : « film sanitaire », « film de propagande », « film pédagogique », « film médical »… Pour les spécialistes du champ, ce pan du cinéma du XXème siècle reste encore largement méconnu18, mais son intérêt est certain : « medical films

are part of the wider setting of 20th-century mass education practices, be it as instructional and training films for professionals, or as health education films for the general public »19. Il est d’ailleurs l’objet de plusieurs colloques récents20 et d’une manière générale de travaux particulièrement heuristiques21. Ces réflexions ont par exemple abouti à la création d’un        

18

Colloque « Le film sanitaire : une forme cinématographique à part ? » Strasbourg, juin 2009. 19

Christian Bonah, et Anja Laukötter, Moving Pictures and Medicine in the First Half of the 20th Century: Some

Notes on International Historical Developments and the Potential of Medical Film Research, Gesnerus n°66,

2009, p. 121. [« Les films à portée médicale font partie du contexte plus large des pratiques d’éducation de

masse du XXe siècle, qu’il s’agisse de films d’instruction et d’entrainement pour professionnel ou de films d’éducation sanitaire pour le grand public »]

20

Journée d’étude « Histoire du film médical et sanitaire en France et en Allemagne : Recherche, enseignement

et propagande, 1895-1960 » (26 novembre 2010) ; « Le film sanitaire après la seconde guerre mondiale : une nouvelle ère ? », « Le film sanitaire : une forme cinématographique à part ? » Strasbourg, juin 2009 ; « Tourner (autour d')un film sanitaire : regards, lectures, analyses », organisées les 10 et 11 juin 2010 ; « A propos du genre… Le film médical: production, publics, analyses » 16-17 octobre 2009.

21

Par exemple les travaux de Valérie Vignaux, L’éducation sanitaire par le cinéma dans l’entre-deux-guerres en

groupe de recherches22 et d’une revue consacrée au « cinéma pédagogique » d’un point de vue socio-historique23.

Certains travaux s’intéressent donc à ces nouveaux objets et interrogent les relations entre cinéma et histoire24, entre archives audiovisuelles et analyse historique. A ce titre, les premiers films consacrés à la médecine sociale, à l’hygiène et à la santé publique constituent une typologie à part entière, dont certains chercheurs font leur objet historique de prédilection25. Ces supports permettent d’observer comment le médecin s’impose comme un prescripteur d’images26 et comment les films véhiculent des prescriptions normatives plus ou moins diffuses. Les dénominations choisies pour ces films sont variables : nous retiendrons volontiers les appellations « film sanitaire » et « film pédagogique », qui nous semblent traduire une approche plus globale, relevant d’une conception de la santé plus générale. Notre attention se porte à cet effet sur les éléments laissant apparaitre une évolution dans les discours, dans la manière de les transmettre, ainsi que dans les représentations des groupes sociaux, communautés ou individus qui sont données à voir27.

Une question doit toujours rester à l’esprit pendant l’analyse : Comment évoluent les messages d’éducation sanitaire – pour la santé – à travers les films, et quels sont les critères qui vont permettre d’en saisir les changements ? Au cours de notre période, qui s’avère riche en transmission d’informations et en incitation de comportements à adopter, les représentations en matière de pratiques et d’exercice physique évoluent. Il s’agit de les caractériser afin d’en saisir le sens précis. Ceci nous permettra, à terme, de pouvoir déconstruire les logiques des concepteurs afin de mieux comprendre les objectifs de leurs campagnes audiovisuelles. En somme il s’agit, comme le propose Michèle Lagny, « de

répondre aux « 3 Q » : qui, quand, quoi. Et pour répondre à ces trois questions, ils ont besoin de beaucoup de sources externes qui peuvent être des sources concernant la production ou la

        calvaire du Steinach-Film (1922-23). Représentations du médecin dans le film de recherche et d’enseignement médical, Sociétés et représentations, n°28, octobre 2009, pp. 87-105.

22

L’Association Française de Recherche sur l’Histoire du Cinéma (AFRHC) 23

Créé en 2000 par l’AFRHC, 1895 est le seul périodique français exclusivement consacré à l’histoire du cinéma 24

Antoine de Baecque, Les formes cinématographiques de l’histoire, art. cit. ; Édouard Arnoldy, Le cinéma,

outsider de l’histoire ? Propositions en vue d’une histoire en cinéma, 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze

[En ligne], n°55, 2008, mis en ligne le 01 juin 2011 25

Les travaux de Valérie Vignaux et Thierry Lefebvre notamment, ont amené des réflexions très intéressantes sur l’analyse de ces documents.

26

Le médecin prescripteur d’images, Sociétés & Représentations, n° 28, octobre 2009. 27

réception. Cela entraîne évidemment une expansion considérable des archives non films, telles qu’elles se sont d’ailleurs développées depuis maintenant quelques décennies »28.

Des racines plus anciennes…

Les documents cinématographiques que nous proposons d’examiner ne sont pas les premiers de ce genre à avoir été produits. Des essais précédents avaient déjà permis la création de plusieurs films et avaient aboutis à une émission télévisuelle intitulée « Mieux

vaut prévenir », diffusée de 1959 à 196029. Cette initiative est la première intervention télévisée de ce type en France, entièrement destinée à la diffusion d’intermèdes d’informations sanitaires et sociales. Cet ensemble de films est le fruit de la collaboration entre les services de la Sécurité Sociale et de l’éducation sanitaire, ce dernier assurant la coordination et la responsabilité du contenu et de l’organisation. Cette série, à la durée de vie relativement courte, aura été une première expérience de diffusion télévisée hebdomadaire. Les productions, d’une durée moyenne de vingt à trente minutes, abordaient déjà les thèmes prioritaires d’après-guerre, comme les grandes maladies (« La prévention de la poliomyélite » 1959), la Protection Maternelle et Infantile (« Ligne de vie » 1957), ou l’hygiène courante (« Les ennemis sont dans la maison » 1959)30. Le titre de cette émission télévisée, sous forme de slogan populaire, affiche clairement une volonté d’information sanitaire afin de permettre aux populations d’acquérir certains principes de prévention.

En 1963, trois ans après l’interruption de la série « Mieux vaut prévenir », et de longs mois de pourparlers et de démarches auprès de la Radiodiffusion Télévision Française31, une deuxième initiative voit le jour, sous le titre « Je voudrais savoir ». Une commission spéciale, réunissant des représentants de l’Assurance Maladie, de l’éducation sanitaire et des ministères concernés, est alors créée. Rapidement « chargée des émissions télévisées d’éducation

sanitaire »32, elle dégage, lors de la réunion de travail du 28 décembre 1962, les conditions nécessaires à une reprise et les grandes orientations retenues pour la nouvelle collection à venir. L’ensemble de ses membres se prononce avec enthousiasme pour le retour des        

28

Michèle Lagny, Du film d'auteur au film comme acteur social : les archives de plus en plus sollicitées. Intervention au colloque « Entre l’offre et la demande : l’entreprise patrimoniale » du 22-24 octobre 2007. 29

Rapport de 1964 sur la réalisation des émissions télévisées « je voudrais savoir », p.1. [A.N. 19780555 Art10] 30

Ibid. [A.N. 19780555 Art10] 31

Ibid. [A.N. 19780555 Art 10] 32

émissions à l’antenne dès le mois de juillet 1963, à raison d’un film par semaine, diffusé le mercredi aux alentours de 18h35. Cette diffusion hebdomadaire sera la seule du genre entre 1963 et 197433, et avec treize ans d’antenne au total, elle est la série ayant eu la durée de vie la plus longue34. Aussi, notons d’ores et déjà qu’elle représente un panel important de données dans notre analyse de contenu, par le foisonnement de films différents disponibles.

2.  Les  premières  mobilisations  médiatiques  de  l’Etat  en  faveur  de 

Outline

Documents relatifs