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Les obstacles à la diffusion de l’émission « Je Voudrais Savoir »

 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

10.  Les obstacles à la diffusion de l’émission « Je Voudrais Savoir »

Rappelons, avant de poursuivre, que c’est la fragilité institutionnelle du dispositif qui amène la suspension du Centre National d’Education Sanitaire et Sociale dont les activités sont confiées par le Ministère de la santé, dès avril 1966179, au COFRESS. Cette association hérite donc de nouvelles missions, sans toutefois obtenir suffisamment de moyens supplémentaires180. Malgré cela, elle perpétue avec succès le processus fraîchement entamé de rénovation des films télévisés, plaidant alors légitimement pour une nouvelle officialisation de son statut : « si l’expérience qui vient de s’écouler durant trois ans permet d’aboutir à une

conclusion positive, c’est dans cette direction qu’il faut la rechercher en lui donnant la garantie d’un statut officiel »181. Le travail accompli par ses membres aboutit dès 1972 à la création du Comité Français d’Education pour la Santé, notamment sous l’impulsion du rapport Legrand182 dénonçant une désorganisation irrationnelle de l’éducation sanitaire en France, dont le développement est parasité par les multiples structures concurrentes. Construite sur les ruines du CNESS et à partir du travail du COFRESS, cette nouvelle structure acquiert un statut privilégié et davantage légitimé au niveau national, nécessaire pour répondre à la demande sanitaire du moment. Elle laisse entrevoir de nouvelles conceptions sanitaires et de nouvelles orientations pour les films télévisés dès le début des années 1970.

       

179

Voir le schéma récapitulatif des institutions de l’éducation sanitaire (chapitre 2.4) 180

Comité Français d’Education Sanitaire et Sociale, Deux années de réalisations. Bilan d’une expérience (1966

à 1968)

181

Ibid., p.32. 182

André Legrand, Rapport sur l'éducation sanitaire et sociale, rapport au comité central d'enquête sur le coût

Comme nous l’avons déjà évoqué, le succès des émissions « Je Voudrais Savoir » est au rendez-vous dès le milieu des années 1960, après quelques années de diffusion. Cependant, les partenaires impliqués dans ce projet semblent moins enthousiastes que les responsables du COFRESS et certaines tensions laissent entrevoir des priorités et des perspectives différentes à propos de ce programme télévisé. En réaction, le docteur Aujoulat, secrétaire général du COFRESS et ancien Ministre183, regrette le manque de soutien et d’intérêt de la part de l’ORTF et de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale :

« L’ORTF considère qu’elle fait un grand sacrifice en accordant des émissions à

des choses dites « sérieuses », et il lui semble surtout dès l’instant où ces choses passent sous le signe de l’éducation que le public est d’avance blasé. C’est la raison pour laquelle l’émission « Je Voudrais Savoir », qui autrefois était donnée le samedi après-midi, ce qui lui assurait une écoute très vaste, a été reléguée le mardi, donc un jour ouvrable, à une heure impossible, après la bourse, ce qui veut dire qu’il n’y a même pas 5% de téléspectateurs qui profitent de l’émission. On en vient à se demander, comme par ailleurs il faut payer pour fabriquer l’émission (seul le droit d’antenne est gratuit), si cela vaut la peine de dépenser 20.000f par semaine pour une émission qui a si peu d’impact.

Il faudrait, aussi bien à l’ORTF qu’à la Sécurité Sociale, qu’on se mette dans la tête que les gens en ont assez, de voir sur l’écran de grands « pontifes » qui viennent donner des messages compliqués qu’on ne retient pas. Notre émission « Je Voudrais Savoir » est vraiment terne et grise […] On souhaiterait presque que la SS accepte au besoin de faire des émissions plus courtes, mais plus percutantes. Cela suppose un renouvellement complet de l’équipe. Nous sommes vraiment les derniers, en Europe, dans ce domaine. »184

Malgré un caractère récréatif et novateur, les films télévisés « Je voudrais savoir » progressivement améliorés ne font pas l’unanimité au sein des organismes décideurs de l’éducation sanitaire. Marc Danzon, alors conseiller technique au CFES185, est pour sa part        

183

Ministre du Travail et de la Sécurité Sociale en 1954-55. 184

Interview dans le cadre du travail de Marc Danzon, Le médecin et l’éducation sanitaire moderne, Thèse de doctorat, Toulouse, novembre 1972, pp. 61-62. Document BNF [Réf : 4- THM- 2962]

185

Marc Danzon débute fin 1973 au CFES dans les services techniques (Conseiller technique adolescence, 3ème âge, drogues, émissions télévisées « Je Voudrais Savoir »). Il devient adjoint au délégué général à partir de 1980 puis délégué général en 1990. De 2000 à 2010, il est directeur régional de l’O.M.S. zone Europe.

convaincu de l’intérêt d’une telle production et de la chance que doit saisir le champ de l’éducation sanitaire, s’il veut renouveler sa crédibilité auprès des populations:

« En France, le principal problème des émissions Je Voudrais Savoir, est son horaire de diffusion (mardi 13h30) qui ne lui permet que de toucher un petit nombre de téléspectateurs. Financée par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie de la Sécurité Sociale, elle a pour but de démontrer au public que son bien-être sanitaire et social n’est pas une chimère, mais une réalité immédiate dont il est le premier artisan. Le CFES, coresponsable de l’émission, s’efforce d’éviter deux pièges :

‐ L’émission de technique ou d’information médicale, brillante, mais mal

comprise par la majorité des téléspectateurs, et par là inutile et dangereuse.

‐ L’émission de vulgarisation, primaire, mais simpliste. »186

Convaincu de l’intérêt de « l’éducation sanitaire moderne » - dont il fait l’objet de l’intitulé de sa thèse soutenue en 1972 - il dénonce la frilosité des politiques publiques à l’égard des moyens investis en éducation sanitaire :

« D’ailleurs, l’intérêt de l’éducation sanitaire n’est pas seulement humain, mais aussi économique : ce qu’un gouvernement refuse de dépenser aujourd’hui pour l’éducation sanitaire, il le trouvera demain et combien multiplié sous forme d’impôts pour soigner les malades, les infirmes, les incurables »187.

Ces quelques extraits montrent clairement une scission entre l’organisme financeur (CNAMTS à partir de 1967) qui hésite à investir clairement dans cette initiative et l’organisme éducatif (COFRESS) qui souhaite profiter pleinement de ce nouvel outil et continuer à enrichir son expérience éducative. L’ORTF penche du côté de la Sécurité Sociale, en réduisant les possibilités de diffusion à grande échelle par toujours plus de contraintes. De plus, le COFRESS reste financièrement dépendant de la CNAMTS pour la production puisque son budget global est insuffisant pour assumer seul la production, sachant que « le

prix de revient en est très élevé (de 1000 à 2000F la minute en 16mm) »188. Il doit donc se        

186

Marc Danzon, Le médecin et l’éducation sanitaire moderne, op. cit., pp. 155-156. 187

Ibid., p. 13. 188

résoudre à accepter cette situation délicate. Plus qu’anecdotiques, ces conflits montrent le faible poids institutionnel de l’éducation sanitaire et sa fragilité, notamment due à de faibles moyens et de faibles ambitions au regard d’autres registres politiques et sociaux. La fin des années 1960 montre d’une manière globale un infléchissement de la politique d’éducation sanitaire et sociale en France189. L’érosion du modèle biomédical, trop centré sur un hygiénisme dépassé, conjuguée à une volonté de recycler le style des émissions télévisées, va amener par la suite des modifications importantes.

La persévérance et la passion des prosélytes de l’éducation sanitaire mobilisés au sein du COFRESS permettent aux projets de continuer à survivre, malgré les embûches. Incontestablement, ces difficultés n’ont fait que grandir l’expérience et l’obstination de ces acteurs, permettant au champ de l’éducation pour la santé de se forger une histoire et des valeurs humanistes. Le travail accompli lors de la première décennie décrite ici montre que les chantiers de rénovation sont nombreux et que les films sanitaires n’en sont encore qu’à leur balbutiements. Les éducateurs n’arrivent donc pas, dans un premier temps, à saisir tout le potentiel et toute la dimension éducative que peut leur apporter la diffusion télévisée. Qui plus est, les tensions qui traversent le champ ne facilitent pas les réflexions en profondeur sur ces objets.

La conjoncture socio-politique des années 1970 va induire une mutation du regard et des pratiques en éducation pour la santé, valorisant davantage cette nouvelle « science » au regard des bienfaits et des apports qu’elle procure. De ce fait, la légitimation passe par la création d’une structure officielle, dont les contours sont davantage définis, les attributions clairement exprimées et les moyens augmentés. Cette nouvelle impulsion engendre dès le début des années 1970 une modification conceptuelle des films sanitaires, dont nous allons maintenant présenter les caractéristiques innovantes.

       

189

Chapitre  3  ‐  La naissance de l’éducation pour la santé : le renouveau 

du CFES (1972­1975) 

Le réseau de partenaires participant à l’élaboration des films sanitaires se développe progressivement, comme en témoigne le nombre de nouveaux producteurs engagés dans la réalisation de l’émission « Je Voudrais Savoir ». De deux sociétés impliquées depuis 1965, le marché s’ouvre à quatre en 1973, puis 8 en 1974. La CNAMTS évoque son ambition de « diversifier et rénover le style des émissions »190, notamment par l’introduction « de

techniques d’animation dans 25% des films »191. Les efforts accomplis au cours des premières années permettent l’augmentation de l’audience télévisée, atteignant selon la CNAMTS fin 1973 « un public de 2.500.000 personnes. Ce public est composé de 2/3 de téléspectatrices et

d’1/3 de téléspectateurs. 20% des personnes touchées par ces émissions ont moins de 24 ans, 60% ont un âge compris entre 25 et 64 ans, 20% ont plus de 64 ans »192. Ces premiers chiffres montrent l’intérêt du grand public en général, et des adultes en particulier. Les femmes en âge d’être mère semblent également constituer un noyau fidèle à ces diffusions hebdomadaires, dans la continuité de ce qu’indiquaient nos analyses sur les publics prioritaires.

La charnière des années 1960, comme nous l’avons vu, sonne la fin d’un certain nombre de conceptions et de préoccupations caractéristiques de l’éducation sanitaire de l’après-guerre. Dans une société qui se libère progressivement et s’affranchit de certaines barrières sociales ou corporelles, les conditions dans lesquelles se transmettent les savoirs relatifs au corps ne sont plus les mêmes193.

Le tableau récapitulatif en page suivante regroupe les sujets recensés. Une première analyse permet de comptabiliser une vingtaine de thème, comme dans la période précédente.

       

190

Rapport d’activité CNAMTS 1973, p. 325. 191

Ibid. 192

Ibid., p. 326. 193

Thèmes 72-75

Informations sanitaires, sociales 14 %

Accidents domestiques 13 %

Activités Physiques 11 %

Connaissances théoriques scientifiques/médicales 11 %

Maladies cardio-vasculaires 7 %

Handicap/Rééducation 6 %

Comportements et pratiques alimentaires 5 %

Tabac 4 % Alcool 4 % PMI 4 % Epidémies 3 % Vacances/Loisirs 3 % Colonne Vertébrale/Articulations 3 % Vaccination/Dépistage 2 % Scolarisation 2 % Cancer 2 % Circulation routière 2 % Hygiène corporelle 2 %

Accidents travail/Maladies Professionnelles 1 %

Vie moderne 1 %

TOTAL 100 %

Tableau 7 : Répartition des productions par thématiques entre 1972 et 1975 (en %) 

 

Au-delà des contenus, la manière dont les films doivent présenter l’information se transforme, par l’intermédiaire de nouveaux savoirs, de nouvelles méthodes, ou de nouvelles orientations politiques. Certaines évolutions permettent notamment de mieux comprendre la restructuration des films au début des années 1970. Ainsi, la création du Comité Français d’Education pour la Santé en 1972 permet à la CNAMTS de disposer d’un partenaire mieux identifié et légitimé par le pouvoir politique, une structure sanitaire dotée d’une mission de service public orientée vers la communication en faveur de l’éducation à la santé des populations.

11.  Naissance  du  Comité  Français  d’Education  pour  la  Santé :  la  mise 

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