• Aucun résultat trouvé

A chacun sa responsabilité : accidents domestiques, sexualité et soins domestiques

 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

18.  A chacun sa responsabilité : accidents domestiques, sexualité et soins domestiques

Depuis le début des années 1970, la modification du comportement des populations au quotidien était l’une des problématiques centrales, à la fois par une orientation des attitudes et par une éducation sanitaire et médicale orientée vers la connaissance de son corps. Une étape supplémentaire amène de plus en plus les producteurs des films à déborder sur la question de la responsabilité dans les années 1980, qui engage les attitudes des individus au regard de la collectivité (famille, amis, société) dans un processus visant à mettre à l’index les comportements néfastes voire dangereux dont il peuvent faire preuve. On évolue donc progressivement de la stigmatisation d’un comportement individuel vers la mise en cause des conséquences des comportements sanitaires erronés. Ceci a pour effet de renforcer l’idée de mauvaise attitude, de mauvais choix et engage clairement le fautif dans un processus de moralisation où il est pointé du doigt comme le principal responsable. Cette évolution repose sur le constat que les choix individuels entrainent en effet des conséquences importantes en        

269

« Prévention 20 » : Films à l’intention des jeunes adultes (16-20 ans), d’une durée de 12 mn (1979-1984) 270

« Prévention Outre Mer » : Films destinés aux populations des DOM-TOM, abordant des thèmes spécifiques à leur espace de vie (1979-1984)

termes de mortalité ou de prévalence (le tabagisme passif par exemple est une problématique où l’attitude d’un seul peut avoir des conséquences collatérales à ne pas négliger). Ce fait est d’autant plus marquant dans le cadre de la sexualité où chaque individu, par son comportement et ses choix, est responsable de sa santé et de ses pratiques vis-à-vis de ses partenaires. Certains domaines particuliers sont donc ciblés en priorité, priorités traduites par l’évolution significative des occurrences. L’apparition progressive de ces thèmes de la sexualité, mais aussi l’idée des comportements alimentaires ou de soins à la maison marquent cette étape qui n’engage plus seulement l’individu mais le réinscrit dans une perspective davantage communautaire. 1972-1975 1976-1988 évolution Thèmes (%) (%) (%) Sexualité MST - 3,2 Vie moderne 1 5,1 +410% Soins domestiques - 6,6

Comportement et pratiques alimentaires 5 11,1 +122%

Connaissances théoriques/pratiques 11 17,9 +63%

Tableau 12 : Evolution du volume de productions des principaux thèmes sanitaires (en %)

L’analyse des thèmes traités dans les films de la CNAMTS montre des permanences tout en révélant une diversification des domaines prioritaires nécessitant une information et une éducation active des individus. Tout d’abord, la problématique des nouveaux comportements alimentaires, qui s’amplifie davantage, soulève des questions importantes relatives à l’équilibre et la préparation des repas (« Calories 4-2-1 » - 1980, « Du bon

équilibre des lipides dans l’alimentation » - 1977). Les pathologies consécutives à une

alimentation trop riche ou une mauvaise nutrition sont aussi abordées, notamment pour des publics spécifiques comme les sportifs ou les enfants (« L’enfant qui mange peu et celui qui

mange trop » - 1979, « L’intolérance du nourrisson aux protéines alimentaires » - 1982, « Le sportif et son alimentation » - 1979/1984). Enfin, l’accent est toujours porté sur certains

aliments sensibles ou ceux dont les propriétés ou les usages sont mal connus (« Découverte de

l’œuf » - 1978, « Fruits et légumes en vedette » - 1981).

Mais au-delà d’un épiphénomène débouchant sur l’importance accordée à la nutrition, ce sont d’une manière plus large les questions de comportement et de responsabilité face à la santé qui sont à l’ordre du jour à la charnière des années 1970. Les démarches valorisées

s’appuient sur l’idée que les attitudes des populations semblent pouvoir être modifiées durablement dans certains domaines. Cette tendance se confirme comme le montrent parallèlement les nouvelles pratiques « soins domestiques» qui se développent suivant deux axes : savoir diagnostiquer ou auto-évaluer un risque ou une plaie (« S’agit-il d’une

indigestion ? » - 1977, « Premiers secours : agir selon l’état de la victime » - 1987) et

connaitre les premiers gestes de secourisme ou de soins élémentaires (« L’art de faire un

bandage » - 1978, « Bouche à bouche » - 1980). Les films centrés sur ce sujet abordent

également des perspectives plus familiales, concernant les produits incontournables pour se soigner à la maison. Par exemple, on dénombre cinq films abordant la bonne constitution d’une trousse de secours entre 1978 et 1984. La question de la responsabilisation familiale en matière de premiers secours ou de gestes sanitaires est ici au cœur du message. Le groupe de films relatifs à un ensemble plus large traitant des risques domestiques (risques alimentaires, dangers des soins domestiques, accidents domestiques) représente plus d’un quart du total des films de cette période (26,3%). Preuve en est que la question de la responsabilité, notamment celle des parents, est importante et qu’elle ne doit pas être négligée.

D’une manière plus générale, les films continuent de développer des contenus relatifs aux connaissances théoriques mais aussi pratiques à acquérir pour préserver sa santé, son équilibre physiologique et éviter les accidents. Le cumul de ces deux dernières catégories (connaissances pratiques et théoriques) augmente considérablement dans notre troisième période pour atteindre près de 18% des productions recensées. Les films abordent deux types de connaissances. Premièrement, les savoirs scientifiques ou médicaux qui restent très présents (13,5%). Ils concernent principalement des grands principes anatomiques (« Cœur et

coronaires » - 1978), des pathologies plus spécifiques (« La stérilité masculine » - 1978, « Le daltonisme » - 1981/1984), ou des phénomènes corporels répandus mais mal connus (« La puberté » - 1977). Dans un second temps, s’y ajoutent des savoirs plus « pratiques » (4,3%)

permettant la plupart du temps d’éviter les accidents de la vie courante (« De bons fils

conducteurs » - 1977) ou de mieux connaitre certains risques inhérents à la vie domestique ou

aux loisirs de plein air (« Les plantes dangereuses » - 1978/1980, « Les serpents de France » - 1979).

C’est dans la continuité de ces principaux sujets et en parallèle des productions désormais autonomes de la CNAMTS, que le CFES lance en 1977 de nouvelles campagnes nationales d’information sur les thèmes de « la nutrition de la femme enceinte et du

nourrisson » et du « bon usage de la médecine »271. La première, intitulée « se nourrir mieux

c’est vivre mieux », à l’initiative de Simone Veil, est présentée comme la « première étape d’une série d’actions éducatives visant à modifier les comportements alimentaires les plus erronés »272. Les concepteurs de la campagne considèrent à l’époque qu’« une prise de

conscience chez la mère traditionnellement responsable de la préparation des repas, peut entraîner, à long terme, une modification efficace des comportements alimentaires au sein de la famille toute entière »273.

La seconde vise notamment « à promouvoir un meilleur usage des médicaments »274, mais aussi à améliorer les mauvaises relations entre médecins et patients, responsables selon les services de santé du Ministère d’une baisse des consultations médicales et d’un recours fréquent à l’automédication anarchique et de fait dangereuse. Ces actions renforcent les problématiques soulevées par les films de la CNAMTS et mettent en lumière la question du comportement sanitaire et celle de la responsabilité individuelle, familiale ou collective.

Enfin, la problématique de l’évolution de la société moderne et de ses incidences sur les modes de vie contemporains émerge significativement par d’autres thèmes inédits. Les nuisances citadines, par exemple, inquiètent de nombreux riverains des grandes villes et semblent devoir nécessiter une information ou une sensibilisation. Cette thématique replace l’individu dans un contexte plus large, et rééquilibre en quelque sorte les formes de responsabilité qui ne sont plus seulement du ressort personnel, en indiquant les facteurs « externes » au simple comportement humain qui peuvent modifier l’état de santé. C’est notamment la pollution et ses conséquences à long terme sur l’organisme qui sont questionnées au début des années 1980 (« Attention pollution » 1980, « La pollution

automobile » 1986). Le bruit (« La civilisation du bruit » 1978-1980, « Bruit et santé » 1980),

le stress (« Le stress » 1982-1984, « Le stress au quotidien » 1987), ou encore l’hygiène citadine (« Notre rue propre » 1976-1978, « La propreté des villes » 1979), sont également à l’ordre du jour et reconnus comme des effets néfastes et pervers de la société industrialisée. Ils pourraient être à l’origine de conflits humain (« Les conflits familiaux » post 1979), de problèmes de sommeil et de fatigue (« Le sommeil » 1979, « Je dors mal » 1986), voire même de l’apparition ou de la généralisation de certaines pathologies plus graves (« mode de        

271

Procès-verbal de l’Assemblée Générale du CFES du 3 février 1977. 272

Rapport d’activité CFES 1977, p. 5. 273

Ibid., p. 6. 274

vie et cancer » 1982-1984). Cette dernière tendance, qui émerge dans les toutes dernières

années de production, traduit une forme de redéfinition de la santé. En effet, le début des années 1980 est de plus en plus propice à replacer l’individu dans un contexte sociétal plus large, dans lequel les éléments de l’environnement viennent aider à comprendre ses choix comportementaux. Les travaux de Claudine Herzlich par exemple sont précurseurs275 dans ce domaine et elle plaide très tôt pour la poursuite de cette voie : « Nous ne devons pas oublier

que maladie et santé ne sont pas seulement le résultat de processus physico-chimiques mais également de réalités sociales et symboliques. Il y a, là aussi, un champ ouvert à la recherche

»276. A travers l’apparition de cette thématique, c’est la question du contexte de vie qui est interrogée et c’est aussi l’apparition d’une nouvelle manière de concevoir les choix de santé des populations, dont le concept contemporain « d’inégalités sociales de santé » est indirectement issu277. En prolongeant ces réflexions d’ailleurs, nous replaçons ce concept dans un contexte issu du mouvement de la fin des années 1960 déjà analysé. Caractérisées par la contestation d’une médecine pathogène ou utopique 278, ces critiques relancent la problématique de la déshumanisation de la relation thérapeutique et celle, sous-jacente, d’une « orthopédie comportementale »279, ou d’une discipline morale et culpabilisante de la vie quotidienne. Cette prise en compte des facteurs environnementaux, dans une perspective « socio-anthropologique » de la maladie, trouve ici un premier ancrage significatif avec le thème « vie moderne » qui représente plus de 5% des films de la période, dont quelques-unes des toutes dernières productions réalisées par la CNAMTS, dans les années 1984-1988.

Ainsi, la gestion du mode de vie engage sa propre responsabilité au regard des risques encourus. Si la modification des pratiques individuelles est au cœur des stratégies de prévention, les facteurs sociaux externes sont désormais une composante nouvelle à prendre en compte dans le processus de santé des individus. La question de l’organisation environnementale amène des nouvelles perspectives au milieu des années 1980, qui semblent devoir engendrer des réflexions inédites et des conceptions différentes de la santé, engageant        

275

Claudine Herzlich, Santé et maladie, Analyse d’une représentation sociale, Paris, Ed. Ecole Pratique des Hautes Etudes, 1969.

276

Claudine Herzlich, Recherche médicale et environnement social, Actes du Colloque du XXème anniversaire de l’Inserm « Recherche médicale, santé société », Sorbonne, 27 et 28 octobre 1984, pp. 165-166.

277

Entretien avec Claudine Herzlich, février 2006, par Suzy Mouchet, et Jean-François Picard. Site Internet de l’INSERM [http://infodoc.inserm.fr/histoire]

278

Ivan Illich, Némésis médicale... op. cit. 279

Claudine Herzlich, et Janine Pierret, Malades d’hier, malades d’aujourd’hui. De la mort collective au devoir

davantage la prise en compte de déterminants sociaux. Le rôle des responsables politiques dans la réduction de certains types de facteurs commence alors à être souligné.

Outline

Documents relatifs