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Un nouveau paysage de téléspectateurs : mettre l’accent sur les âges extrêmes de la vie 

 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

21.  Un nouveau paysage de téléspectateurs : mettre l’accent sur les âges extrêmes de la vie 

Les nouvelles séries développées à l’aube des années 1980 amènent une augmentation de l’auditoire et, en parallèle, une augmentation des prêts de films et des copies réalisées. A partir de 1976 en effet, la CNAMTS « s’est attachée à mettre en place les bases d’un

dispositif destiné à permettre la diffusion, dans les régions, des copies tirées des émissions les plus marquantes de la série « Objectif santé » […] Au plan national, cette action s’est concrétisée par la préparation et l’envoi dans les Caisses Régionales d’Assurance Maladie et les Caisses Générales de Sécurité Sociale des Départements d’Outre-Mer de 760 copies à raison de 40 par caisse, de façon à leur permettre d’ériger une cinémathèque »301. A ces diffusions doit s’ajouter la distribution de copies exceptionnelles, en constante augmentation, comme le montrent les rapports d’activité de l’Assurance Maladie302. Les schémas reproduits en page suivante, extraits des rapports annuels de la Caisse Nationale de 1983 et 1984, montrent effectivement une production télévisée (films et copies) plus importante à partir du milieu des années 1970, conjuguée à un intérêt croissant de la part du public (courrier et demande de dépliants en nette augmentation).

       

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Rapport d’activité de la CNAMTS 1976, pp. 467-468. 302

 

  Figure 19 : Extraits des rapports d'activité de la CNAMTS 1983 (en haut) et 1984 (en bas).

Ces graphiques permettent de constater la progression ascendante du nombre de copies de films diffusées sous forme de prêt, en parallèle du passage à la télévision. Le suivi de ces demandes de vidéos montre clairement un intérêt sur le terrain local (via les Caisses Régionales de l’Assurance Maladie) qui s’étend à différents organismes orientés vers la prévention ou la formation. Cette demande croissante laisse supposer que les organismes concernés valident une certaine qualité de la production et perçoivent de réels avantages éducatifs dans la diffusion de ces films pédagogiques.

L’auditoire des productions ne cesse donc de s’élargir et les nouvelles stratégies envisagées par la CNAMTS permettent de penser qu’il se diversifie. Aucune étude précise ne s’intéresse à la répartition des catégories de téléspectateurs intéressés par ces émissions. Cependant, la diffusion d’une nouvelle forme de culture sanitaire se généralise et tend à devenir inter générationnelle et organisée en conséquence (discours, durée, créneaux). En effet, en conservant une série semblable à celle des années 1960 (« Je voudrais savoir »), les membres de l’action sanitaire s’assurent de fidéliser un auditoire majoritairement constitué d’adultes. Les collections spécialement destinées aux enfants, créées à la fin des années 1970303, attirent quant à elles un nouveau public, plus jeune et pour lequel, comme nous l’avons vu, un effort de transmission didactique semble devoir s’imposer.

Dans le cadre plus spécifique des films sur l’exercice physique visionnés, une analyse par catégorisation des principaux destinataires permet de dégager la répartition des publics ciblés par la CNAMTS depuis 1976. Les trois types de public recensés dessinent le paysage global des téléspectateurs potentiels. Aux adultes, encore et toujours la cible du plus grand nombre de productions télévisées, se cumulent de plus en plus de films destinés aux enfants et aux personnes âgées. Ces deux dernières catégories font ici l’objet d’une analyse plus précise quant aux contenus relevés dans les inventaires.

Comme nous l’avons abordé précédemment, les enfants représentent désormais une large part des publics convoités par les producteurs, notamment grâce aux différentes séries qui leur sont destinées. Dans cette perspective, par exemple, « La vie en toi » fait intervenir des marionnettes animées comme des personnages et propose un questionnement simple autour de situations concrètes au sein du cercle familial. La figure des parents, souvent mise en scène avec humour, s’impose à travers l’image de nouveaux détenteurs du savoir et des méthodes d’éducation à adopter pour leurs enfants. Les films clairement destinés aux enfants        

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et tout particulièrement les séries « La vie en toi », « Hygea 7 » et « La belle santé », toutes trois consécutives, adoptent également des stratégies nouvelles pour faciliter la transmission et l’assimilation de messages sanitaires. Ces messages, sous forme de conseils d’hygiène de vie ou d’attitudes à favoriser sont les vecteurs d’une forme de normalisation des comportements qui symbolise, y compris auprès des plus jeunes et insouciants, la nouvelle emprise sur le corps à travers une éducation pour la santé, plus insidieuse et immanente304. Grâce à l’attrait des enfants pour la télévision, et en cherchant à les fidéliser, il est simple et efficace de toucher tout le cercle familial. Plusieurs changements notables donc, transforment les nouvelles séries pour les jeunes.

Le premier d’entre eux est l’apparition de scénarios et d’histoires avec des personnages récurrents et facilement identifiables. C’est le cas pour la série « La vie en toi » qui se passe dans la cadre d’une famille, pour « Hygea 7 » avec des pilotes de navette spatiale et « La belle santé » avec des membres d’un équipage nautique sillonnant les mers. Ainsi, les personnages ont désormais un prénom et un rôle spécifique qui permettent de les identifier et renforce la valeur de leur discours (le père, le pilote, le capitaine du bateau, le scientifique…). Mais le format change aussi. Ces collections désormais plus courtes (cinq minutes) s’apparentent à des « séries » où les épisodes s’enchaînent parfois sur plusieurs semaines, ce qui permet de fidéliser plus facilement le jeune téléspectateur. D’autre part, les acteurs ne s’adressent plus au téléspectateur par l’intermédiaire d’un narrateur externe, comme dans le format « adulte » (voir par exemple les voix off dans « Objectif santé »), mais communiquent entre eux comme dans un vrai film de fiction. L’enfant n’est pas apostrophé comme ce peut être le cas dans les autres films mais il est conduit à s’identifier aux héros mis en scène. Ce fonctionnement inédit permet une répartition plus diffuse des thèmes importants et particulièrement quand il s’agit de soumettre des attitudes (positives ou négatives) aux enfants. Le discours se rapproche donc d’une moralisation discrète, il est de type normatif « indirect ». Cette orientation stratégique induit une dernière évolution importante. Nous observons ainsi une reconfiguration, ou reformalisation de la présence médicale, qui doit s’adapter pour correspondre davantage aux publics plus jeunes. Le personnage du médecin en tant que tel disparait considérablement des séries pour enfants et le discours médical est relayé par les personnages identifiés plus haut (par exemple les parents pour la série « La vie en toi » qui s’imposent comme détenteurs des savoirs sur le corps et des préceptes favorables à la

       

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santé de leur famille). Pour autant, le schéma physiologique reste dominant et fréquent mais il est simplifié pour s’adapter à un public plus jeune.

Les films concernant les personnes âgées forment un second ensemble. Ils ont émergé dès le début des années 1960 mais ils ne cessent de se diversifier dans les années 1970 et 1980. Tout en continuant le travail de sensibilisation aux préoccupations sanitaires et de soutien social (aides de l’Etat, accompagnement) initié dans les années 1960, ils incluent davantage par la suite des conseils sur l’organisation de l’activité quotidienne ou du temps de loisirs (jardinage par exemple, clubs, associations). Ils mettent l’accent sur l’organisation du mode de vie pour inciter les personnes âgées à conserver des activités extérieures, notamment destinées à lutter contre l’isolement ou la déchéance (« Le troisième âge actif » - post 1979, « Vieillir et réagir » - 1982/1984). Certaines problématiques abordent le registre du mieux- être, parfois à travers des sujets inhabituels voire tabous (« L’amour au troisième âge » - 1982). Les films développent alors l’idée d’inciter à une fin de vie active, que chacun peut faire fructifier plutôt que de subir les pathologies chroniques en attendant la mort. Autrement dit, comme le signale le film « Vieillissement et pratiques corporelles » (1982-1984), il s’agit à la fois de donner « plus d’années à la vie » et « plus de vie aux années », refuser la fatalité d’une retraite inactive et profiter d’une fin de vie agréable (« Vivre 110 ans » - 1974). Face à la modernisation de la société et aux nouveaux modes de vie, qui renforcent l’exclusion et la désaffiliation305 des personnes âgées de la vie active, la CNAMTS juge important de diffuser par le canal télévisuel – fortement plébiscité par cette tranche d’âge à certains horaires de la journée – des films d’information sur les attitudes à adopter pour lutter contre « l’isolement humain ». Les thématiques recensées révèlent l’éclosion de documents sur des pathologies physiques (arthrose, rhumatisme306) ou sociales (isolement) spécifiques à un public âgé. Face aux dangers que représente la vie de tous les jours (agressions, chutes…), les films s’imposent comme des ressources utiles. Ils incitent notamment les téléspectateurs du 3e âge à se rendre dans des « Clubs de personnes âgées »307 ou à pratiquer des activités physiques au sein de structures comme la Fédération Française d’Education Physique et de Gymnastique

       

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Concept emprunté à Robert Castel, op. cit. 306

Par exemple les films : « Le rhumatisme articulaire aigu » (1982), « L’arthrite chronique » (1980), « Vivre

avec son diabète » (1982)…

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Par exemple les films CNAMTS « Hygiène générale du troisième âge » (Collection Objectif Santé, post 1976), « Les pratiques corporelles lors du vieillissement » (Collection Objectif Santé, 1982-1984), « Les

Volontaire308. Ces productions montrent la plupart du temps des sujets âgés actifs, qui refusent la fatalité de la vieillesse leur imposant immobilité ou isolement social (et parfois familial). Les scénarios prennent la forme d’appels solennels à l’action et à la non-passivité, sous forme de témoignages, en montrant que de nombreuses activités sont possibles et adaptables à leur âge. Les activités physiques présentées ici oscillent entre les pratiques d’entretien (yoga, gymnastique éducative) et des pratiques plus « sportives » d’intensité modérée (tennis de table, basket-ball). Enfin, notons que les sujets autrefois réservés aux catégories « actives » sont progressivement élargis à cette nouvelle catégorie « d’actifs », et traduisent ce glissement et cette lutte contre les incapacités motrices, comme en témoigne la diffusion de sujets inédits : « bricolage au 3ème âge » (post 1979), « jardinage au 3ème âge »

(1982-1984).

L’ensemble des caractéristiques évoquées dans ce travail cherche à affiner et combiner les différents indicateurs retenus pour comprendre les stratégies d’informations envisagées par les équipes de productions. Suite à ces présentations successives, par périodes chronologiques, il semble heuristique de reconstruire, dans une perspective du temps long, la manière dont une thématique spécifique est abordée et saisir ainsi les effets de contexte et les changements de conceptions scientifiques au cours du temps. Nous proposons dans cette logique d’approfondir deux cas d’études transversales relatives aux activités physiques à destination de publics particuliers. Il convient alors de cerner les évolutions dans la manière de présenter les modes de vie actifs et d’inciter à la prévention par l’effort corporel entre les périodes les plus extrêmes de notre corpus. Pour ce faire, nous avons sélectionné, pour chacun des deux publics ciblés (adultes et personnes âgées) deux films similaires, abordant la problématique de la prévention par le sport. Ces études comparatives nous permettront de qualifier les discours et ressources de l’éducation pour la santé à chacune des deux époques, en étant également attentifs aux savoirs véhiculés quant aux formes de pratiques conseillées et aux modes de justifications scientifiques avancés.

       

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22.  De  l’utilitaire  vers  le  « mieux­être » :  Etude  comparative  de  films 

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