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 3 Repères et approches méthodologiques

Chapitre 1  Introduction élémentaire aux films sanitaires

12.  L’émergence des schémas d’animation comme caution scientifique 

       

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Luc Berlivet, De l’éducation sanitaire à la promotion de la santé... art. cit., p. 248. En note, il précise également : « Premier trait marquant du recrutement, la quasi-absence de médecins […] Autre caractéristique :

une exposition prolongée au discours des sciences sociales. Ceci est particulièrement vrai des chargés de recherches et responsables du service Etudes et recherches […] ils sont généralement diplômés de sciences sociales, parfois docteurs ».

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Luc Berlivet, Naissance d'une politique symbolique. L'institutionnalisation des “grandes campagnes de

Les réflexions des responsables du CFES à propos du contenu des films ont amené à reconsidérer le statut du médecin, personnage central des films « Je voudrais savoir ». D’un point de vue pédagogique, la position qui lui est conféré est désormais moins autoritaire. Il n’apparaît plus comme l’énonciateur d’un savoir magistral mais comme une caution scientifique nécessaire, justifiant selon une ambition plus pédagogique les discours présentés. Il reste néanmoins présent physiquement dans les films. Il véhicule encore l’image d’un spécialiste de la maladie qui fait autorité. Pourtant, la démonstration frontale s’efface au profit d’une présentation plus didactique, faisant ainsi évoluer le style du film, qui devient moins prescriptif. En parallèle, comme l’avaient souhaité les membres de la commission, les réalisateurs ont progressivement inséré des schémas et des temps d’intermèdes animés, destinés à renforcer l’attractivité du scénario et à obtenir une meilleure assimilation des contenus. Ces animations de quelques secondes, inclues dans les films, prennent majoritairement deux configurations distinctes. Ils apparaissent, d’une part, sous la forme de dessins animés qui se généralisent dans les séries et qui donnent un coté humoristique aux films (fig. de gauche). D’autre part, ils prennent l'aspect de schémas explicatifs sur le comportement physiologique ou musculaire205 et se présentent sous forme d’animations graphiques (fig. de droite).

 

Figure 11 : Captures d'écran des films "La marche" (1973, à gauche) et "Ménagez votre dos" (1973, à droite) 

Si les dessins animés humoristiques n’ont pas vocation à apporter des connaissances scientifiques formelles, elles permettent une approche différente et cherchent, toujours dans        

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une logique « néo-didactique », à faciliter l’assimilation et la rétention d’information auprès du public. Le schéma quant à lui permet d’illustrer de manière simplifiée le fonctionnement du corps humain, adoptant aussi une fonction de dédramatisation des connaissances scientifiques. Notons par exemple les systèmes cardiaque ou respiratoire qui sont fréquemment représentés, notamment dans les films abordant les pratiques physiques ou sportives. Les globules rouges y deviennent des petits personnages sympathiques. L’utilisation de ces passages animés est une manière originale de vulgariser le discours médical : didactisation semble rimer avec compréhension et implication. S’il apparait très tôt, cet outil se développe davantage à partir du milieu des années 1970, dans les œuvres abordant les pratiques physiques, comme le montre notre graphique récapitulatif ci-dessous.

0 2 4 6 8 10 12 14 63‐64 65‐67 68‐70 71‐73 74‐76 77‐79 80‐82 83‐85 86‐88

MEDECINS SCHEMAS PHYSIOLOGIQUES

  Figure  12  :  Répartition  chronologique  de  la  présence  de  médecins/schémas  physiologiques  dans  les  films  sanitaires (1963‐1988) 

Ces schémas physiologiques ne cherchent pas à « évacuer » totalement la figure du médecin. Cet outil animé vise à transmettre une information scientifique simplifiée, qui sera dans un deuxième temps commentée par un médecin, attestant ainsi de sa validité et jouant donc ce rôle de caution morale identifié précédemment. Cette technique audiovisuelle est un moyen didactique utilisé pour faciliter la transmission du propos scientifique. Le schéma a donc une portée plus pédagogique (et ludique) que la présentation magistrale sous forme

d’entretien avec le médecin : c’est l’évolution principale de cette période. Des études récentes ont d’ailleurs montré le caractère essentiel mais relativement complexe de l’utilisation du dessin animé dans les films scientifiques, comme tente de l’expliquer cet extrait de l’ouvrage d’Alexis Martinet, dans lequel il s’interroge sur la légitimité de cette technique :

« Quand utiliser le dessin animé ? L’animation et, plus spécifiquement, le dessin animé, sont d’excellents moyens pour faire comprendre à des publics un tant soit peu concernés des concepts scientifiques qu’il serait difficile de « faire passer » par un autre moyen. Si, en effet, la vue réelle cinématographique est adéquate lorsqu’il s’agit de montrer la réalité, le dessin animé, lui est irremplaçable lorsqu’il s’agit d’expliquer les principes qui gouvernent cette réalité. Tout propos relativement abstrait a plus de chances d’être compris du public par l’animation que par un gros plan fixe du professeur Untel exposant sa théorie. Procédé pourtant classique.

[…] Car le souci du cinéaste scientifique est bien d’expliquer et non pas de « vendre la science » en faisant du sensationnalisme avec des images qui étonnent, mais n’expliquent rien. Le dessin animé est donc requis dans les cas où il s’agit d’expliquer à des publics nécessairement « demandeurs » des notions qu’un autre mode d’exposé risquerait de rendre ennuyeuses. Encore faut-il prendre quelques précautions…

[…] Rendre un dessin animé de contenu scientifique attrayant suppose adopter un ton qui s’éloigne, si on peut le peut, du ton professoral. Sans tomber dans l’infantilisme, on peut fort bien scénariser quelque peu le propos en mettant en scène un ou des chercheurs face au problème. En un mot, associer le spectateur à la démarche scientifique plutôt que lui présenter les résultats bruts. Des intermèdes d’un humour discret ou quelques plans esthétiques peuvent venir ponctuer l’exposé sans en faire perdre le fil. Ce qu’on pourrait appeler le « coup du sandwich » 206.

Ces réflexions montrent comment l’utilisation de l’animation alors introduite dans les années 1970 correspond parfaitement aux objectifs affichés par le CFES. D’ailleurs, les chiffres recensés montrent clairement que le recours à cette technique est valorisé par les        

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concepteurs tout au long de la décennie. Ils permettent d’observer une forte augmentation voire une systématisation des schémas physiologiques dans les films sur les pratiques physiques. De 1972 à 1977, une majorité de films fait déjà appel à ce type d’outil, puisque 56% des productions possèdent un schéma physiologique. La période 1977-1984 permet de voir une augmentation du recours à cet instrument, car plus de deux-tiers des bandes présentent une ou plusieurs occurrences (69%). Enfin, les dernières années de création accentuent davantage cette ressource pédagogique et la banalisent dans presque trois-quarts des cas (72%). Les chiffres montrent donc, dans une certaine mesure, une évolution favorisant une démarche plus didactique ponctuée de schémas pédagogiques. Ce recours très fréquent aux animations est censé permettre d’étendre la culture et les connaissances scientifiques des populations et de pouvoir traiter ainsi de nouveaux thèmes, en les simplifiant et les dédramatisant.

13.  De  nouvelles  préoccupations :  comportements  alimentaires, 

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