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Une intervention souvent ponctuelle et toujours partielle

LA DIVERSITÉ DES MODALITÉS DU MAINTIEN DE L’ORDRE PUBLIC SANITAIRE

L A DIVERSITÉ MATÉRIELLE DES MESURES DE PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE

A.- L’ EMPIRISME DE L ’ ENGAGEMENT SANITAIRE DE L ’É TAT

1) Une intervention souvent ponctuelle et toujours partielle

235 Il n’est pas exagéré de dire que l’engagement sanitaire des pouvoirs publics a le

plus souvent été forcé par les évènements. Comme le relève M. LEMOYNE DEFORGES,

l’État est intervenu «au coup par coup, pour régler des problèmes immédiats dont

l’existence, la nature ou l’ampleur n’avait pas été prévue, souvent à la suite d’accidents ou d’épidémies»2.

En réalité, ce phénomène n’est pas propre à l’époque contemporaine, mais se présente comme une caractéristique première de l’histoire de l’interventionnisme sanitaire. Ainsi que le remarque M. TABUTEAU, «il est frappant de constater que ce n’est 1Cf. supranos84 s.

que sous la pression d’une grande épidémie que chaque étape décisive [de la mise en place d’un véritable dispositif de protection sanitaire] est franchie»1. Car si la protection de la santé publique relève des fonctions régaliennes, la nécessité de l’intervention de l’État en ce domaine s’est fréquemment heurtée à l’incompréhension des citoyens comme du personnel politique et des juristes2.

Les premières législations intéressant la réglementation des professions médicales et pharmaceutiques sont ainsi nées des pressions de la bourgeoisie désireuse, au moment où de terribles épidémies sévissent, de se débarrasser des charlatans qui, à la faveur du système des patentes institué par les révolutionnaires, peuplent alors le monde médical3. De même, la première grande loi de police sanitaire du 3 mars 1822 a-t-elle été votée pour répondre à l’épidémie de fièvre jaune qui sévissait à la frontière catalane depuis 18204. Les interventions en matière d’habitat insalubre au milieu du XIXesiècle résultent, pareillement, des épidémies de choléra de 1832 et de 1848.

La législation récente révèle souvent le même empirisme. Les premières mesures de lutte contre le dopage5ou encore les dispositifs relatifs à la sécurité sanitaire sont ainsi nés sous la pression très circonstancielle des évènements. La loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle des produits destinés à l’homme6 a notamment été votée en réaction à la faillite du système de santé publique lors de l’épidémie de sida et, plus particulièrement, au drame de la transfusion sanguine7. De même, la réorganisation de la sécurité alimentaire est essentiellement due à la multiplication des crises alimentaires : dioxine, hormone de croissance, problème dit de la « vache folle », etc.8. L’extension de la sécurité sanitaire environnementale au milieu du travail résulte, quant à elle, du drame de la contamination professionnelle par les poussières d’amiante9.

1 D. TABUTEAU, La Sécurité sanitaire, 1ère éd., 1994, op. cit., p. 8. Dans la mesure où l’auteur a considérablement modifié le contenu de son ouvrage, la première et la seconde édition de celui-ci seront tour à tour évoquées.

Il faut que le danger soit imminent, poursuit M. TABUTEAU,pour que la société se souvienne que son fondement premier est la recherche de sécurité [et] que l’homme accepte les contraintes d’une vie collec-tive pour garantir sa sécurité» (ibid., p. 8.cf.également la 2eéd. de l’ouvrage, 2002, Paris, Berger-Levrault, p. 29).

3Cf. infran° 374.

4L. du 3 mars 1822 relative à la police sanitaire, préc.

5L. modifiée n° 99-223 du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage, J.O.du 24 mars, p. 4399. Sur l’état du droit antérieur, cf.J.-C. LAPOUBLE, Les droits de l’homme et la lutte contre le dopage : le cas français,Petites affiches1997, n° 28, p. 10.

6 L. n° 98-535 du 1er juill. 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle des produits destinés à l’homme précitée.

7Cf.supran° 17 etinfranos397 s.

8 Même s’il est admis que les risques alimentaires sont bien moindres d’autrefois, ces « affaires », largement médiatisées, ont été ressenties comme de véritables « scandales » par l’opinion publique, entraînant par-là des situations de « crise » politique et sociale.cf. infranos419 s.

9 Ord. n° 2005-1087 du 1er sept. 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine,J.O.du 2 sept., p. 14262.

Ce sont encore deux crises successives, celle de la surmortalité liée à la canicule de l’été 2003 et celle de l’épidémie de chikungunya sur l’île de la Réunion en 2005-2006,

qui ont conduit au renforcement du dispositif de veille sanitaire1. La crainte du

bioterrorisme et l’apparition régulière de nouveaux risques pandémiques – sida, S.R.A.S., grippe aviaire, dengue, chikungunya, etc. – ont enfin incité les pouvoirs publics à réorganiser le système national mais aussi international de défense sanitaire. Au niveau national, les bases de ce dispositif ont été jetées par le législateur du 9 août 2004, avant d’être complétées par la loi du 5 mars 2007 relative

à

la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur2. Au niveau international, on ne peut omettre de signaler l’adoption, en 2005, du nouveau Règlement sanitaire international, qui est

entré en vigueur le 15 juin 20073. Il marque en effet un progrès majeur du droit

international de la santé en créant la notion d’urgence de santé publique de portée internationale (U.S.P.P.I.) qui étend le champ et les possibilités d’action sanitaire internationale4.

Les crises sanitaires jouent ainsi un rôle moteur dans la construction du droit de la protection de la santé publique. Il n’est dès lors pas surprenant que les interventions de la puissance publique soient le plus souvent une affaire de circonstances, sans répondre à une stratégie politique clairement définie. Il en découle alors un droit composite, formé de mesures législatives ou réglementaires ponctuelles et souvent partielles de prévention.

236 Cette parcellisation du droit de la protection de la santé publique, composé de

polices toujours plus nombreuses et diversifiées, a logiquement conduit à une dispersion croissante de la matière dont il n’est pas exagéré de dire, avec M. TRUCHET, qu’elle est «plus que jamais partout» dans et hors le Code de la santé publique5. Celui-ci est certainement est un outil précieux d’étude des dispositifs de prévention sanitaire, mais il

1Cf. infranos537 s.

2L. n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique préc. et L. n° 2007-294 du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande am-pleur,J.O.du 6 mars, p. 4224 ;Gaz. Pal.des 6-7 juin 2007, p. 26, chron. A. ATLAN-BOUKHABZA. On relèvera que ce dispositif, plus particulièrement la nouvelle police de l’urgence sanitaire, dépasse le seul cadre du risque épidémique pour s’étendre à toute «menace sanitaire grave appelant des mesu-res d’urgence» quelles qu’en soient l’origine, la cause et la nature.Cf. infranos274 et 637-638.

3 Le R.S.I. (2005) a été adopté le 23 mai 2005 lors de la 58e Assemblée mondiale de la santé.

Cf. notamment leB.E.H.n° 24 du 12 juin 2007,www.invs.sante.fr.

4D’une part, la procédure de notification, jusqu’alors réduite à une liste énumérative de maladies, couvre aujourd’hui tout évènement susceptible d’avoir une ampleur internationale pour la santé publique. Le R.S.I. (2005) créé en outre des points focaux nationaux, interlocuteurs permanents de l’O.M.S. (il s’agit de la D.G.S. en France). Il donne une définition nouvelle des capacités de base qu’un État doit élaborer aux niveaux local et national pour détecter, notifier et combattre les risques et les U.S.P.P.I., permet des échanges bilatéraux précoces entre un État membre et l’O.M.S. et ren-force les pouvoirs de son Directeur. Devant un évènement pouvant constituer une U.S.P.P.I., celui-ci pourra désormais décider de recommandations temporaires ou permanentes qui, définies sur la base des recommandations d’un collège d’experts internationaux, s’appliqueront même en l’absence d’accord d’un État membre. Sur les apports du nouveau R.S.I.,cf. D. THIERRY, Le nouveau règlement sanitaire international : vers plus d’efficacité pour combattre les épidémies, R.D.S.S. 2007, n° 3, p. 447-457.

souffre aujourd’hui comme naguère de nombreuses imperfections qu’il faut attribuer à «l’absence d’un texte fondateur sur la santé publique qui définirait celle-ci et rendrait plus lisibles ses objectifs et son contenu»1.

237 Le Code de la santé publique résulte d’un travail mené selon la procédure de

codification à droit constant obéissant à une double ambition : la réunion des textes, d’une part, et la simplification du droit, d’autre part2. Sur le premier objectif, force est d’admettre que l’effort de recensement des textes n’a pas été suffisant pour que l’on puisse obtenir un aperçu satisfaisant du contenu matériel de l’ordre public sanitaire, dont on a déjà dit qu’il opère une délimitation à la fois trop large et trop restrictive. Outre le fait que tous les dispositifs de police codifiés ne poursuivent pas un but de santé publique, il existe aussi en marge du Code de la santé publique un grand nombre de dispositifs particuliers se rattachant au moins partiellement à la protection de la santé publique. En plus des exemples déjà donnés3, il suffit ici de citer la police relative aux établissements classés pour la protection de l’environnement qui, exclue du Code de la santé publique4, est pourtant l’aboutissement de l’une des plus anciennes réglementations sanitaires de France5et vise expressément la protection de la salubrité et de la santé publiques dont elle se révèle être un chapitre important6.

238 Sur le second objectif, celui de la simplification, on retiendra que, malgré les

efforts du Gouvernement, la codification n’a pas pu empêcher l’enchevêtrement et parfois même la juxtaposition des diverses polices sanitaires. Exemple topique de cette complexité, la salubrité et l’hygiène publiques font ainsi appel à un ensemble

1L. DESSAINTet Ph. LIGNEAU, La spécificité du champ de la santé et de l’action sociale à l’épreuve de la codification, Petites affiches 1997, n° 152. Pour un constat similaire après la recodification de 2000,cf.D. TRUCHET, La loi du 4 mars 2002 et la prévention…,op. cit., p. 43 et D. TABUTEAU, Sécu-rité sanitaire et droit de la santé,op. cit., p. 840-841.

2Sur la définition de la codification législative à droit constant,cf.l’art. 3 de la L. n° 2000-321 du 12 avr. 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, préc. et C.C., n° 99-421 DC du 16 déc. 1999 (Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnan-ces, à l’adoption de la partie législative de certains codes),J.O.du 22 déc., p. 19041 ; Rec., p. 136 ;

Les Cahiers du Conseil constitutionnel2000, p. 13 ;Annuaire international de justice constitutionnelle

1999, p. 589, note D. RIBES; D. 2000, p. 361, chron. W. BARANÈS et M.-A. FRISON-ROCHE, SC., p. 425, obs. D. RIBESet act. VII, note B. MATHIEU;A.J.D.A.2000, p. 31, note J.-E. SCHOETTL;Petites affiches 2000, n° 150, p. 15, comm. B. MATHIEUet M. VERPEAUX; R.T.D.Civ, 2000, p. 186, note N. MOLFESSIS;R.F.D.C. 2000, p. 120, note D. RIBES;Cahiers de la fonction publique2000, n° 187, p. 33. V. également H. MOYSAN, La codification à droit constant ne résiste pas à l’épreuve de la consolidation,D.A.2002, n° 4, p. 6-14 et, du même auteur, La codification devant le Conseil cons-titutionnel,A.J.D.A.2004, p. 1849-1856, ainsi que R. SCHWARTZ, Éloge de la codification,D.A. 2003, n° 10, p. 11. V. encore S. BOISSARD, concl. sur C.E., 26 nov. 2001,A.L.I.S. et a.,R.F.D.A.2002, p. 68.

3Cf. supran° 211.

4Cette police est intégrée dans le Code de l’environnement aux art. L. 511-1 à L. 517-2.

5 On en trouve les traces dès le début du XVIesiècle dans la réglementation relative aux ateliers provoquant des exhalaisons nuisibles.Cf. supran° 6.

6L’art. L. 511-1 C. envir. reprend sur ce point l’art. 1erde la loi n° 76-663 du 19 juill. 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement qui, après celle du 19 déc. 1917 relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes, mentionne, parmi ses objectifs, la protection de la salubrité et de la santé publiques (textes précités). Ces objectifs sont régulière-ment rappelés par le juge administratif : cf. C.E., 14 mars 1919, Sieur Ghesquière, préc. ; 7 juin 1939,Min. du Commerce c. Soc. Wabrand, préc. ;7 juin 1985,Soc. A.C.O.P.A. S.A., préc. ; C.A.A. de Nancy, 2 avr. 1991,Min. de l’Environnement c. Soc. Elipol, n° 90NC00359,Rec. p. 1080.

particulièrement vaste et intriqué de dispositifs dont l’hétérogénéité ne peut être entièrement attribuée à la diversité des risques en ce domaine. À côté de la réglementation sanitaire, noyau dur de l’ordre public sanitaire, il existe en effet une kyrielle de dispositifs plus particuliers d’hygiène publique, dont la multiplicité semble, par elle-même, nier l’existence d’un principe général guidant l’intervention des pouvoirs publics. Ainsi, le secteur de la salubrité des habitations, des agglomérations et des milieux de vie, soumis par l’article L. 1311-1 du Code de la santé publique à la réglementation sanitaire, fait-il l’objet de multiples régimes spécifiques. Certains sont intégrés au Code : il s’agit des régimes relatifs à la résorption des immeubles insalubres1 et des locaux surpeuplés ou impropres à l’habitation2, à la lutte contre le saturnisme3, à l’assainissement des agglomérations et à l’évacuation des eaux usées4, au contrôle sanitaire des piscines et baignades5, etc. S’y ajoute un arsenal juridique particulièrement volumineux dont on ne citera d’ailleurs que quelques exemples : le régime des installations classées, celui relatif à la salubrité des installations d’élevage et aux eaux nuisibles à la santé, les dispositifs intéressant la lutte contre la pollution de l’air et de l’eau, l’élimination des déchets ou encore la réglementation de la construction et de l’urbanisme qui peut comprendre des normes relatives à la salubrité et à l’hygiène publiques6, etc.

La quantité des dispositifs donne logiquement lieu à une réglementation abondante et diversifiée, dont la complexité est souvent source d’incertitudes dans la pratique administrative. La combinaison de ces textes se révèle en effet être une tâche bien délicate malgré sa nécessité.

2) Le rôle clef du juge administratif dans la mise en cohérence du droit de la

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