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Le maintien des liens unissant la santé publique à la sécurité

LA SANTÉ PUBLIQUE, COMPOSANTE DE L’ORDRE PUBLIC

L A PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE , CONDITION DU MAINTIEN DE L ’ORDRE PUBLIC

B.- L A CONSÉCRATION DE LA SANTÉ PUBLIQUE COMME INTÉRÊT GÉNÉRAL DOMINANT

2) Le maintien des liens unissant la santé publique à la sécurité

64 Véritablement perçue comme un intérêt général, la santé publique tend, au début du

XXe siècle, à acquérir une autonomie nouvelle. L’appel à la puissance publique reste

toutefois étroitement associé à l’impératif collectif de la sécurité, qui situe l’ordre public dans le premier cercle des intérêts de l’État. Le rattachement de l’hygiène publique au ministère de l’Intérieur de 1889 à 1920 témoigne bien de cette perspective sécuritaire qui préside à la reconnaissance de l’intérêt collectif de la santé publique3. On en trouve par ailleurs l’écho dans les comptes-rendus des premières conférences internationales d’hygiène publique4 et dans les débats parlementaires précédant le vote des législations sanitaires, en particulier celui de la loi du 15 février 1902.

65 Dans l’esprit des contemporains, l’usage des procédés prescriptifs et coercitifs de la

puissance publique pour la protection de la santé publique s’impose à un double titre : «le bonheur des peuples et la puissance de l’État»5. Elle correspond, en premier lieu, à

la protection de la liberté individuelle, puisqu’elle s’impose in fine comme la

conséquence nécessaire du droit imprescriptible à la sûreté sous sa forme la plus

immédiatement suivie par les tribunaux judiciaires : cf. Trib. de simple police de Reims, 9 janv. 1905,S.1907, 2, 249 ; Pan. Pén. 1905, 2, 48 ;de Bordeaux, 11 févr. 1905,S.1905, 2, p. 249, note J. A. ROUX;D.1905, 2, p. 123 ; Trib. corr. de Versailles, 26 janv. 1905,D.1905, 3, p. 31 ; Cass., 2 juin 1906, S. 1909, 1, 412. V. également la note de M. HAURIOU sous C.E., 5 juin 1908, Marc et Chbre synd. des propriétés immobilières de la ville de Paris,S. 1909, III, p. 133-115.

1C.E., 19 mai 1954,Sieur LegrandetSieur Lagrèze(2 esp.), n° 13.775 et n° 14.306,Rec. p. 285 et

p. 286 ; ― Sect., 28 avr. 1961, Cne de Cormeilles-en-Parisis, n° 45.424, Rec. p. 265, concl. J. CHARDEAU;A.J.D.A.1961, p. 487, concl.

2J. RIVERO, Les transformations sociales et le développement de la protection légale de la santé, in

Santé et Société. Découvertes biologiques et la médecine sociale au service de l’homme, Montpellier, 1951, éd. de la chronique sociale, Semaine sociale de France n° XXXVIII, p. 76.

3 Décr. du 3 janv. 1889, précité. Jusqu’alors la police sanitaire, intéressant essentiellement la protection des frontières et le contrôle des flux commerciaux, relevait principalement du ministère du commerce (v.infran° 326). En 1896, est par ailleurs créé un Comité consultatif d’hygiène publique également rattaché au Ministère de l’Intérieur.

4La recherche d’une coordination internationale dans la lutte contre les maladies a émergé en Eu-rope dès le milieu du XIXe siècle, sous l’influence déterminante de la France, au moment où les États, confrontés à des épidémies massives et résurgentes, ont saisi la vanité de politiques isolées de défense sanitaire. Sur ce thème,cf. notamment G. CARVAIS,op.cit., p. 280-330.

5 Formule célèbre du Premier ministre anglais DISRAËLI qui, pour ces motifs, considérait la santé publique comme «le premier devoir d’un homme d’État» (notamment cité par H. MONOD, La santé publique (législation sanitaire de la France), Paris, Hachette, 1904, p. 8-9).

impérieuse qui est celle de «la liberté de vivre»1. Se conjuguant aux préoccupations démographiques2, la protection de la santé publique répond, en second lieu, à un impératif essentiel pour la Nation : celui de protéger la vie, le nombre et la vaillance de la population, conditions indispensables à la puissance économique, politique et militaire de l’État3. La santé publique, estimait ainsi Léon BOURGEOIS, obéit «aux nécessités du patriotisme, car elle a pour but et pour effet de conserver et d’accroître ce capital humain dont la moindre parcelle ne peut être perdue sans une atteinte à la sécurité nationale et à la grandeur de la patrie»4.

Les débats parlementaires de l’époque regorgent de telles assimilations de la santé publique à la sécurité nationale. Le sénateur LABBÉy voit ainsi une question «vitale pour notre pays» : la paix restaurée, c’est désormais «l’ennemi de chaque jour, celui qui nous environne, nous enserre, nous menace à chaque instant qu’il faut combattre»5. Pour le sénateur MÉRIC, «il n’est pas exagéré de dire que le souci de la santé publique peut-être classé, parmi les préoccupations gouvernementales, presque au même rang que le souci de la sécurité nationale»6.

66 Depuis lors, la santé publique a amplement dépassé cette dimension première de la

sécurité nationale. La reconnaissance du droit à la protection de la santé au milieu du XXe siècle a notamment inscrit l’action sanitaire de l’État dans un cadre nouveau, plus solidaire et humaniste, qui accorde à l’individu une créance de santé envers la société. Il n’en demeure pas moins que c’est à partir de cet impératif collectif de sécurité que s’est constitué l’ordre public sanitaire. On soulignera d’ailleurs que cette logique sécuritaire n’est pas étrangère à la reconnaissance du droit à la protection de la santé. En ce sens, l’alinéa 3 du Préambule de la Constitution de l’O.M.S. du 22 juillet 1946 fait bien de «la santé de tous les peuples […] une condition fondamentale de la paix du monde et de la sécurité»7.

1H. MONOD, Les mesures sanitaires en Angleterre depuis 1875 et leurs résultats,Bull. de la société de Médecine Publique1891, n° 14, p. 79 : «La liberté de ne pas être infecté de [maladies] vaut bien celle de les répandre, ajoute-t-il ; elle est plus respectable en soi et plus profitable à la société ; la liberté de vivre doit avoir le pas sur la liberté de tuer». Dans le même sens, Léon JOUARRÉconsidérait la protection de la santé publique comme la garantie du «droit le plus sacré, le droit de vivre» (op. cit., p. 2).

2Sur le problème de la dépopulation qui se pose à l’époque,cf.l’intervention de P. STRAUSSau Sénat le 11 déc. 1900 (J.O. Sénat, p. 953).

3Cette dimension de la santé publique n’a d’ailleurs pas disparu comme en atteste le discours de Mme BACHELOT, ministre chargée de la Santé, prononcé lors de l’ouverture du 13eforum internatio-nal de l’Économie de la santé (publié le 14 nov. 2007 sur le site Internet du ministère,

www.sante.gouv.fr, rubrique : « Discours »).

4L. BOURGEOIS, discours prononcé à la première séance tenue par le Comité consultatif d’hygiène publique au ministère de l’Intérieur, 14 janv. 1889, cité par H. MONOD,La santé publique…,op.cit., p. 9.

52èmedélibération du Sénat sur le projet de loi relatif à la protection de la santé publique,J.O. Sénat,

Séance du 11 déc. 1900, p. 953.

6Ibid., Séance du 21 mai 1901, p. 663.

7Al. 3 du Préambule à la Constitution de l’O.M.S. du 22 juill. 1946, notamment reproduit in Préve-nir,op. cit., p. 13.

67 La politique de santé de l’État-providence a certes profondément modifié le cadre et l’objectif de son intervention. Le droit à la protection de la santé, qui assigne de nouveaux devoirs à la Nation, poursuit des finalités qui lui sont particulières et qui se distinguent de celles de l’ordre public sanitaire. Sa reconnaissance suppose notamment l’élaboration d’une politique active et volontariste de santé publique qui ne vise plus seulement à défendre la santé de la collectivité contre les menaces les plus graves, mais qui doit permettre de donner à tous, et à chacun en particulier, les moyens techniques et financiers de préserver sa santé et, le cas échéant, de se soigner1.

68 Il reste que la consécration du droit à la protection de la santé a aussi correspondu à

un intérêt bien compris de l’État qui a pu, par ce biais, prolonger les logiques de

développement sanitaire de son capital humain et imposer des contraintes

supplémentaires de santé publique. Si les pouvoirs publics ont été soumis à de nouvelles obligations, ils ont aussi, et du même coup, été investis de nouvelles prérogatives de réglementation, de surveillance et de contrôle de la santé publique2. «Derrière des affirmations généreuses d’un droit individuel à la santé se profilent les considérations sociales les plus certaines, observait le doyen Jean-Marie AUBY. L’État s’est rendu compte en effet que la maladie constituait une atteinte directe à sa puissance, qu’elle amoindrissait sa situation économique ou militaire. Il est apparu ainsi une politique de la santé publique dans laquelle les droits des individus ne sont que les reflets de décisions collectives»3.

Le programme de l’État providence a de la sorte enrichi l’ordre public sanitaire de nouvelles dimensions plus offensives de protection de la santé publique. Or l’on retrouve dans ces mesures la logique initiale de l’ordre public sanitaire qui rend l’individu comptable envers la société pour des motifs liés à la sécurité collective.

1Cette politique repose sur l’organisation d’un système de santé – dont l’hôpital public constitue le « pivot » – capable de répondre techniquement et de façon égale pour tous aux besoins de santé des individus. Le droit à la protection de la santé reçoit de surcroît une dimension économique qui per-met l’assistance financière des individus malades et la couverture sociale des dépenses de santé. L’effectivité du droit à la protection de la santé repose donc sur un double principe d’égal accès aux soins et d’assurance sociale auxquels se rattachent les mesures d’aménagement et de gestion du système sanitaire et hospitalier et, en partie, le droit de la Sécurité sociale.

2 V. notamment J. RIVERO, Les transformations sociales et le développement de la protection légale de la santé,op. cit., p. 80.

3J.-M. AUBY, L’obligation à la santé,Annales de la Faculté de Droit de l’Université de Bordeaux. Série juridique, 1955, n° 1, p. 8-9.

§2.- L’

APPROFONDISSEMENT PROGRESSIF DE LA DIMENSION SANITAIRE DE L

ORDRE PUBLIC

69 L’approfondissement de la dimension sanitaire de l’ordre public est déjà très

nettement perceptible dans l’extension du champ d’application de la réglementation sanitaire. En effet, alors que la loi du 15 février 1902 ne prévoyait que deux types de dispositions en la matière1, la réglementation sanitaire couvre aujourd’hui un domaine très large et varié allant de la prévention des maladies transmissibles à la conservation des denrées alimentaires en passant par la lutte contre les nuisances sonores2. Cette extension remarquable est révélatrice de l’évolution de la conception de l’ordre public sanitaire. D’une part, les exigences sanitaires de l’ordre public se sont considérablement enrichies au cours du XXe siècle (A). D’autre part, l’ordre public sanitaire s’est vu assigner de nouvelles finalités qui en ont fait un ordre dynamique (B).

A.- U

NE PERSPECTIVE ÉLARGIE DES EXIGENCES SANITAIRES DE L

ORDRE

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