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Le vote de la loi du 15 février 1902 relative à la protection de la santé publique

LA SANTÉ PUBLIQUE, COMPOSANTE DE L’ORDRE PUBLIC

L A PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE , CONDITION DU MAINTIEN DE L ’ORDRE PUBLIC

B.- L A CONSÉCRATION DE LA SANTÉ PUBLIQUE COMME INTÉRÊT GÉNÉRAL DOMINANT

1) Le vote de la loi du 15 février 1902 relative à la protection de la santé publique

61 Aboutissement de longues et multiples tentatives d’organisation d’une politique de

santé publique5, la loi du 15 février 1902 s’impose comme l’acte fondateur du droit de la 1C.E., 24 mars 1899,Sieur Saboulard, n° 87.742,Rec. p. 262 ;D.1900, 3, p. 79. Déjà en ce cens : Cons. de Préfecture de la Seine, 17 mars 1880,Camann Lévy,D.1880, 3, p. 38.

2 C.E., 23 juill. 1886, De Boismonbrun, n° 62.936, Rec. p. 650 ; D. 1887, 3, p. 124 ; Rev.d’adm. 1886, t. 1, p. 75, obs. M. LEVAVASSEUR DEPRÉCOURT. De même, le Tribunal de simple police de Paris a-t-il refusé de reconnaître la légalité d’une décision prescrivant l’alimentation d’un immeuble en eau, une telle mesure équivalant à «une mesure de commodité et de bien-être pour les locataires», da-vantage qu’à une mesure intéressant la salubrité publique (7 févr. 1885, D. 1886, 1, p. 369). V. également, Cons. de Préfecture de la Seine, 9 juill. 1879,Chemin de fer de l’Estet 18 févr. 1880,

Minoret,D.1880, 3, p. 39.

3Cass., 15 juill. 1864,D.1865, 1, p. 43 : «La loi des 16-24 août 1790 a chargé les maires du soin de prévenir, par des précautions convenables, les accidents et fléaux calamiteux, tels que les épidémies, mais ne les a pas autorisés à déterminer eux-mêmes la nature et l’importance des travaux qui doivent être effectués». Confirmé entre autres par Cass. crim., 23 juill. 1864,D. 1865, 1, p. 326 ; ― 16 mars

1867,D. 1867, 1, p. 415 et ― 25 juill. 1885, Beaujour,D.1885, 1, p. 180. V. également C.E., 5 mai 1865, De Montailleur (2 esp.), n° 35.803 et n° 35.804, Rec. p. 491 (avec les obs. du Ministre) ;

D. 1868, 3, p. 17 ; ― 12 mai 1882, Palazzi, n° 58.106, Rec. p. 450 (note) ; D. 1883, 3, p. 122 ;

S. 1884, 3, p. 37 ; ― 28 mars 1885, Languellier, préc. ; ― 7 mai 1886, Beaujour, n° 63.930, Rec. p. 387 ;S.1888, 3, p. 11 ; – 26 juill. 1889,Galy, n° 65.304,Rec. p. 886 ;D. 1891, 3, p. 91 et ― 27

févr. 1891,Jarlet, n° 73.511,Rec. p. 156 ;D.1892, 3, p. 83.

4L. du 15 févr. 1902 relative à la protection de la santé publique, précitée.

5La loi du 15 févr. 1902 est l’aboutissement de près de vingt années de procédure dont l’origine peut être trouvée dans deux propositions de loi déposées à la Chambre des députés. La première, en date du 20 mars 1880, émanait du Dr LIOUVILLEet tendait à rendre obligatoire la vaccination et la

revac-santé publique. Elle témoigne en effet de la volonté nouvelle des pouvoirs publics d’assurer la protection collective de la santé dans un cadre à la fois plus dynamique et plus volontariste. Elle est par ailleurs la première loi (et pour longtemps la dernière1) qui ambitionne de traiter, sinon de la totalité, au moins de l’essentiel des problèmes sanitaires2.

62 Le vote de ce texte correspond à une profonde mutation de la pensée politique,

sociale et juridique, plus propice à la solidarité générale. Tout d’abord, la révolution industrielle et l’urbanisation qui lui est liée ont conduit à un véritable bouleversement des données économiques, sociales et démographiques de la santé. Ensuite, les découvertes de PASTEUR, indiquant les liens biologiques qui unissent les hommes en société, ont amené à un profond renouvellement de la perception des solidarités sociales. En indiquant que la santé n’est pas exclusivement une affaire individuelle, qu’elle ne dépend «pas seulement de sa propre conduite, mais aussi de celle de son voisin»3, PASTEUR met en exergue les limites des mécanismes traditionnels de la prévoyance individuelle et du modèle de protection fondé sur la vertu de chaque individu. Par là, le pastorisme entraîne la société à se redéfinir dans un cadre nouveau et oblige l’État à repenser les principes de

son intervention4: dès lors que l’on admet que tout individu peut, par ignorance ou

négligence, menacer la sécurité de la collectivité, les frontières matérielles qui séparent traditionnellement l’espace public de l’espace privé tombent d’elles-mêmes. Ainsi amené à reconsidérer son champ d’action et à développer la prévention sanitaire, l’État va alors «pénétrer dans des domaines dans lesquels il n’aurait naturellement pas songé à intervenir»5. Enfin, malgré le libéralisme ambiant, on perçoit un net changement des

cination contre la variole (J.O.1881, Ch. doc., p. 136). La seconde, relative à l’assainissement des logements insalubres, fut présentée par M. NADAUDle 2 déc. 1881 (J.O.1882, Ch. doc., p. 195). Sur l’histoire de la loi du 15 févr. 1902, cf. notamment F. BURDEAU, Le résistible essor, op. cit., p. 117-118 et G. CARVAIS, La maladie, la loi et les mœurs, in PASTEURet la révolution pastorienne, sous la dir. de Cl. SALOMON-BAYET, Paris, Payot, 1986, p. 282-283.

1 Il faudra en effet attendre le 9 août 2004, soit plus d’un siècle, pour que le législateur aborde de nouveau la protection de la santé publique de façon globale (L. n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, préc.).

2La loi du 15 février 1902 sera notamment complétée par la loi du 1eraoût 1905 sur la répression des fraudes dans la vente des marchandises et des falsifications des denrées alimentaires et des produits agricoles, J.O.du 5 août, p. 4813. Sur le lien unissant ces deux textes,cf. G. CARVAIS, La maladie, la loi et les mœurs,op.cit., p. 280-330.

3F. EWALD, Le retour du malin génie. Esquisse d’une philosophie de la précaution, inLe principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, sous la dir. d’O. GODARD, p. 121. Formule reprise par F. CHAUMETet F. EWALD, Petite bibliothèque d’actualité autour de la précaution,Risques 1992, n° 11, p. 103. V. également, F. BURDEAU, Propriété privée et santé publique. Étude sur la loi du 15 février 1902, in Histoire du droit social. Mélanges en hommage à Jean IMBERT, sous la dir. de J.-L. HAROUEL, Paris, P.U.F., 1989, p. 133.

4 «C’est grâce à PASTEURque la notion d’une humanité nouvelle a pu se révéler et a passé dans les esprits, écrit Léon BOURGEOIS.C’est lui qui a fait concevoir plus exactement les rapports qui existent entre les hommes ; c’est lui qui a prouvé d’une façon définitive l’interdépendance profonde qui existe entre tous les vivants, entre tous les êtres […] ; c’est lui qui, par suite, nous a appris notre devoir mu-tuel […]. Quand il a fait cette démonstration merveilleuse qui est le mot suprême de sonœuvre, il a fait non seulement une révolution scientifique mais une révolution morale» (La Politique de la prévoyance sociale, Paris, 1914, t. 1, La doctrine et la méthode, p. 57-58).

5 P. ROSANVALLON, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, 1990, coll. Points. Histoire, n° H172, p. 129. Le principe de la solidarité sanitaire, souligne M. EWALD, permet dès lors l’extension de «la part des obligations légales [qui] tendent à recouvrir les obligations morales» (Le retour du

mentalités à la fin du XIXesiècle, notamment illustré par le solidarisme social défendu

par Léon BOURGEOIS et Henri MONOD1. De plus en plus pensée comme une richesse

collective indispensable à la puissance de l’État, la santé publique acquiert une autonomie nouvelle, ce dont témoigne la création dès 1889 d’une sorte de direction générale de la santé publique réunissant la direction de l’hygiène publique et la direction de l’assistance publique2.

63 La jurisprudence, notamment administrative, s’est naturellement fait l’écho de ce

revirement progressif mais spectaculaire. Cette évolution s’observe déjà dans le vocabulaire employé par les juges qui évoquent désormais «les intérêts primordiaux de la santé publique»3 ou les «nécessités supérieures d’hygiène»4. Sur le fond, le juge administratif a aussi encouragé l’intervention de l’administration par une appréciation plus souple de ses pouvoirs, favorable au développement de la réglementation de santé publique5. C’est ce que traduit, par exemple, l’abandon progressif par le Conseil d’État de l’application du principe du libre choix des moyens en matière de réglementation sanitaire6: dorénavant, un maire peut, «y compris dans l’exercice de ses pouvoirs de

malin génie..., op. cit., p. 99). En 1894, VAILLANT analysera ainsi l’utilité de l’intervention de l’administration en matière d’habitat insalubre comme une précaution qui, favorable à la justice sociale, est également indispensable pour la sécurité de tous : «Le progrès de la science […] montre tous les jours que la solidarité n’est pas un vain mot, qu’elle est matériellement une réalité qu’on ne peut impunément méconnaître et que les mesures d’hygiène, par exemple, qui protègent l’ouvrier dans son domicile et son atelier, éteignent un foyer d’épidémie en enrayant un véhicule de contagion ou d’infection menaçant aussi pour le patron ou pour le riche» (J.O.1894, Ch. doc., p. 1441).

1 Pour une définition du solidarisme comme doctrine morale, cf. notamment, le travail de C. SCHAEGIS,Progrès scientifique et responsabilité scientifique, Th. Droit, Paris, 1998, C.N.R.S. éd., 304 p., coll. C.N.R.S. Droit, spéc. p. 25-106 auquel nous reprocherons néanmoins de ne pas avoir assez mis en évidence l’influence du pastorisme sur la construction et l’enracinement de cette doc-trine.

2Décr. du 5 janv. 1889 détachant les services de l’hygiène publique du ministère du Commerce et de l’Industrie pour les réunir au ministère de l’Intérieur, et décr. du 13 janv. 1889 portant transfert de crédits, JO du 13 janv., p. 170.

3 Cf. C.E., 5 juin 1908, Marc et Chbre synd. des propriétés immobilières de la ville de Paris, n° 17.365,Rec. p. 611, concl. G. TEISSIER;S.1909, III, p. 113, note M. HAURIOU;15 janv. 1909,

Vial, Guillotel et a., nos15.226 à 15.229, 15.243 et 15.244,Rec. p. 30.Cf. également Cass. crim., 29 juill. 1898,RibeyrollesetBouvier(2 esp.),Bull. cirm.n° 7, p. 488 ;S.1900, 1, p. 157.

4Cf. C.E., 6 août 1910,Sieur Levavasseur, n° 22.359,Rec. p. 708.

5 Cette jurisprudence favorable au développement du pouvoir réglementaire en matière de santé, déjà constatée par M. MODERNEen 1965, est toujours à l’œuvre aujourd’hui (Le régime juridique des vaccinations obligatoires,A.J.D.A. 1965, p. 195-211). L’intérêt général impérieux qui s’attache à la santé publique justifie ainsi, selon M. GENEVOIS, que les formations administratives du Conseil d’État cherchent à favoriser leur intervention, souvent considérée comme plus appropriée que celle du législateur (Idée énoncée au cours du colloque organisé par le C.R.D.F. à l’U.F.R. de Droit, Université de Caen, les 11 et 12 mai 2000,L’ordre public : Ordres publics ou ordre public ? Ordre public et droits fondamentaux, sous la dir. de M.-J. REDOR, Bruxelles, Bruylant, 2001, 436 p., coll. Droit et Justice n° 29). En ce sens,cf.par exemple C.E., 21 juill. 1989,Assoc. des médecins pour le respect de la vie, n° 98889,Rec. p. 163 ;A.J.D.A.1991, p. 469, note D. CUSTOS (légalité du décr. n° 88-327 du 8 avr. 1988 qui soumet les activités de procréation médicalement assistée à un certain nombre de règles de qualification et d’équipement en dehors de toute intervention du législateur) etAss., 30 juin 2000,

Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, n° 210412,Rec. p. 252 ;A.J.D.A.

2000, p. 831, concl. P. FOMBEUR; J.C.P. 2000, IV, 2742, obs. M.-C. ROUAULT; R.F.D.A. 2000, p. 913 (légalité des dispositions du décr. n° 99-362 du 6 mai 1999 fixant les modalités de transmis-sion à l’autorité sanitaire de données individuelles concernant les maladies soumises à déclaration obligatoire qui impose aux professionnels de santé ayant constaté un cas de maladie nécessitant une intervention urgente de le signaler sans délai à l’autorité sanitaire).

6C.E., 22 avr. 1904,Vve Goupil, n° 9.078,Rec. p. 340 ;22 nov. 1907, Sieur Fischer de Chevriers, n° 19.659,Rec. p. 854 ; ― 5 juin 1908, Marc et Chbre synd. des propriétés immobilières de la ville de Paris, préc. ; ― 25 févr. 1932, Sieur Bellenger, n° 8.986,Rec. p. 231. Cette jurisprudence ne sera pas

police générale, déterminer les travaux à exécuter pour la disparition des causes d’insalubrité d’un immeuble, […] dès lors qu’ils sont mentionnés au règlement sanitaire départemental, le maire se bornant alors à enjoindre le respect de ce règlement»1.

À compter du début du XXesiècle, la santé publique tend ainsi à émerger comme un intérêt social autonome, différencié de la sûreté. La loi du 15 février 1902 constitue de la sorte une véritable charnière dans l’histoire du droit de la protection de la santé publique2. Il n’en demeure pas moins que la reconnaissance de l’intérêt collectif de la santé reste étroitement rattachée à des préoccupations de sécurité.

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