• Aucun résultat trouvé

U N RISQUE POLYMORPHE

LA DIVERSITÉ DES MODALITÉS DU MAINTIEN DE L’ORDRE PUBLIC SANITAIRE

L A DIVERSITÉ MATÉRIELLE DES MESURES DE PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE

A.- U N RISQUE POLYMORPHE

215 La diversité des mesures concourant au maintien de l’ordre public sanitaire est

directement liée à la polymorphie du risque sanitaire, pluriel dans sa nature (1) mais aussi dans ses causes (2).

1) La diversité des types de risque sanitaire

216 De même que M. PÉQUIGNOTsouligne qu’ «a survécu trop longtemps la notion de

santé (au singulier), concept vide mais unique pour lequel on s’efforce de trouver alors une sorte de contenu»1, il serait plus juste d’utiliser un pluriel pour évoquer les risques sanitaires. La santé d’une population, comme celle d’un individu, est en effet fonction de nombreux facteurs de risques et de déterminants de maladies ou de mauvaise santé. Il existe ainsi une grande variété de risques pour la santé dont il serait absurde ici, à supposer même que cela soit possible, de dresser une liste. On peut toutefois donner quelques exemples de cette diversité.

Il convient tout d’abord d’opposer les risques vectoriels, c’est-à-dire les risques d’infection, d’intoxication ou de contamination extérieurs à l’homme, aux risques endogènes, qui couvrent peu ou prou l’ensemble des maladies transmissibles et les risques de maladies liés aux dépendances et aux comportements sanitaires individuels ou collectifs dits « à risque », tels que le tabagisme, l’alcoolisme, la toxicomanie, etc. Chacune de ces catégories forme un ensemble hétérogène. Il faut par exemple distinguer entre les pathologies aiguës et les maladies chroniques. En effet, si la lutte contre ces maladies peut emprunter les mêmes instruments – dépistages, déclaration obligatoire à l’autorité sanitaire, quarantaines, désinfection, etc. –, elle est également susceptible de faire appel à des mesures spécifiquement adaptées au type de maladie concerné, la vaccination, par exemple, n’étant pas envisageable pour les maladies chroniques.

217 En réalité, chaque risque sanitaire ou presque oblige à une stratégie d’action

particulière. Il est toutefois possible de regrouper les mesures relevant de l’ordre public sanitaire en trois catégories définies à partir du type de risque concerné. La première comprend l’ensemble des mesures destinées à lutter contre les risques liés à la vie en société et les facteurs d’apparition et de propagation des maladies. Ces mesures recouvrent l’ensemble de l’hygiène publique. Il s’agit donc d’une action sur le milieu qui

se traduit essentiellement par la définition d’obligations réelles. Ces mesures intéressent d’abord la protection du cadre de vie1 et font peser des obligations particulières sur les propriétaires ou les collectivités territoriales. Il s’agit, par exemple, d’obliger les communes à assurer l’enlèvement des déchets et des ordures ménagères ou à construire des réseaux d’évacuation des eaux usées, de contraindre les propriétaires à se raccorder à ces réseaux ou à faire des travaux sur les habitations déclarées insalubres. L’hygiène publique exige également le contrôle des activités qui, par elles-mêmes ou par l’usage qui peut en être fait, présentent un danger pour la collectivité. On peut citer la réglementation relative aux installations nucléaires, aux installations classées pour la protection de l’environnement, à l’exploitation et à la distribution des eaux, à la publicité en faveur du tabac ou de l’alcool, à la protection contre les radiations ionisantes ou encore à la sécurité alimentaire qui, notamment, implique la limitation de la liberté d’entreprendre, du droit de propriété et de la libre disposition de ses biens. Cette première catégorie recouvre enfin une partie de la lutte contre la propagation des maladies : le contrôle sanitaire aux frontières, la désinfection, la décontamination d’objets infectés, etc.

218 La deuxième catégorie comprend les mesures destinées à combattre certaines

maladies. Contrairement à l’hygiène publique, il n’est plus question ici d’agir sur les facteurs de risques sanitaires mais bien sur les maladies elles-mêmes. En ce sens, il est essentiellement fait appel à des obligations personnelles que le doyen Jean-Marie AUBYa regroupé sous le nom «d’obligations à la santé»2. Ces mesures concernent tout d’abord les maladies transmissibles. Bien que comprenant certains volets de la lutte contre les fléaux sociaux, tels que les dispositifs relatifs à la tuberculose ou aux maladies vénériennes, cet ensemble intéresse les risques que l’on peut qualifier de « naturels » par opposition aux risques liés à la vie en société. Terrain d’élection de la prévention médicale, ces mesures consistent en des obligations de faire (déclaration ou signalement obligatoires) ou de subir (examens de santé obligatoires, obligations de soins, obligations vaccinales, etc.). Ces obligations n’ont toutefois pas toutes la même portée selon le type de maladie qu’il s’agit de combattre : certaines d’entre elles sont générales et absolues3, d’autres touchent une partie seulement de la population selon sa profession, son âge ou son lieu de résidence4. Les mesures de lutte contre les maladies concernent également les dépendances issues de comportements à risque comme le dopage, la toxicomanie, le tabagisme ou encore l’alcoolisme. Ces mesures font également appel à des obligations

1Ce que l’on nomme parfois l’« hygiène du milieu ».

2J.-M. AUBY, L’obligation à la santé,op. cit, p. 7-19. V. également A. LAJOIE, P. A. MOLINARIet J.-M. AUBY, Traité de droit de la santé et des services sociaux, Montréal, Les presses de l’Université de Montréal, 1981, p. 288 s.

3C’est le cas, par exemple, de l’obligation vaccinale contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (art. L. 3111-2 et L. 3111-3 C.S.P.).

4 C’est l’exemple des obligations de vaccination contre l’hépatite B, la grippe ou la fièvre typhoïde (art. L. 3111-4 C.S.P.).

personnelles, mais celles-ci consistent la plupart du temps en une interdiction de se livrer à tel ou tel comportement nocif pour la santé publique.

219 Une troisième et dernière catégorie de mesures vise enfin à lutter contre les risques

iatrogènes qui, liés aux activités de santé, peuvent être provoqués par des actes collectifs ou individuels de prévention, de diagnostic ou de soins. Cet aspect de la protection de la santé publique, récemment développé du fait de l’intérêt nouveau accordé à la sécurité sanitaire1, repose en particulier sur le contrôle et la surveillance sanitaires des activités, des équipements, des professions, des produits et des matériels de santé qui, notamment, justifient la définition réglementaire de nombreuses normes techniques de fonctionnement visant à en garantir les bonnes conditions d’hygiène et de sécurité2.

Ces différentes catégories de mesures sont susceptibles de se recouper. Par exemple, la lutte contre les risques iatrogènes suppose l’observation de règles d’hygiène publique. De même, la désinfection est-elle un élément indispensable de la lutte contre les maladies. Enfin, parmi les mesures destinées à combattre les maladies, certaines s’appliquent à des risques qui, comme les infections nosocomiales, sont liés aux activités de santé.

La diversité des types de risques sanitaires constitue donc une première explication de la diversité matérielle des mesures de protection de la santé publique. Mais l’efficacité de ces mesures exige également qu’il soit tenu compte de l’origine même des risques contre lesquels on veut lutter.

2) La diversité des causes de risque sanitaire

220 Multiple dans sa nature, le risque sanitaire l’est aussi dans ses causes. Il peut être

créé par l’homme ou résulter d’une cause extérieure à lui ; il peut être lié au milieu de vie ou avoir pour origine une activité ou un comportement social. Dès lors, si toutes les mesures de protection de la santé publique visent évidemment à supprimer un risque sanitaire, certaines intéressent directement l’origine de ce risque alors que d’autres, comme la vaccination, cherchent à agir sur ses vecteurs de transmission. Par ailleurs, un même risque suppose très souvent de nombreuses mesures de prévention. À l’inverse, une même mesure est susceptible d’influer sur de nombreux risques3. En réalité, comme le

1Cf. infranos411 s.

2La priorité accordée aujourd’hui à la sécurité sanitaire a toutefois conduit ces dernières années à l’approfondissement des objets de cette réglementation qui s’étend, par exemple, aux pratiques pro-fessionnelles et aux systèmes de contrôle qualité.Cf. infra.nos618 s.

3Sur cette question,cf.notamment M. SETBON, Le risque comme problème politique. Sur les obsta-cles de nature politique au développement de la santé publique, R.F.A.S. 1996, n° 2 : « Santé, res-ponsabilité et décision : les enjeux du risque », p. 19-20.

souligne M. TRUCHET, les enchaînements causals sont tels qu’il est rarement possible d’assigner au risque une origine précise justifiant une mesure particulière1.

221 Ce qui est certain en revanche, c’est que la nature et le régime juridiques de ces

mesures varient selon la cause imputée à tel ou tel risque pour la santé publique. On peut, pour illustrer ce propos, prendre appui sur une classification qui, proposée par M. TRUCHET2, cherche à distinguer les différentes mesures de prévention sanitaire selon leur destinataire. Cette classification retient trois catégories de mesures.

La première est constituée des mesures qui intéressent les conditions d’existence des hommes. Il s’agit ici principalement des mesures d’assainissement : raccordement aux réseaux de distribution d’eau potable, raccordement aux réseaux d’évacuation des eaux usées, suppression des mares et des étendues d’eau insalubres, etc. Le bénéficiaire de la mesure n’est donc ni l’auteur du risque ni le destinataire de cette mesure.

La deuxième catégorie comprend les mesures destinées à prévenir les risques naturels qui, bien que propres à l’homme, ne résultent pas de son comportement. Il s’agit essentiellement des mesures de prévention médicale visant à lutter contre les risques de maladies transmissibles, infectieuses ou virales. Cet ensemble comprend la plupart des obligations personnelles de faire ou de subir, telles que les examens de santé ou les vaccinations obligatoires. Ces prescriptions n’ont toutefois pas toutes la même portée. Il peut s’agir d’obligations relatives, dont la réalisation décide de l’accès à un droit ou à une prestation3. L’obligation peut aussi prendre un caractère général et être attachée à la personne de manière indissoluble4. Dans tous les cas, les destinataires de la mesure en sont aussi les bénéficiaires directs. Ils ne peuvent en revanche être considérés comme les auteurs du risque puisque celui-ci ne dépend pas de leur comportement.

La dernière catégorie est constituée des mesures visant à prévenir les risques créés par l’homme et résultant de son comportement conscient. Il y a, cette fois, une coïncidence entre l’auteur du risque et le destinataire de la mesure qui peut aussi, dans le cadre de la lutte contre les comportements à risque, en être le bénéficiaire immédiat. Une partie de ces mesures concerne l’hygiène publique. Il s’agit ici de combattre ou d’encadrer les activités ou les comportements susceptibles de nuire à la salubrité publique et de faire naître un risque pour autrui. À côté de ces mesures, se trouvent les dispositifs

1D. TRUCHET, Pour une approche juridique des mesures de prévention,op. cit., p. 459.

2Ibid., p. 459.

3C’est le cas par exemple des examens pré et postnataux (art. L. 2122-1 à L. 2122-5 C.S.P.), dont dépend l’attribution des prestations financières de la Caisse d’allocations familiales, ou encore des obligations vaccinales, auxquelles est subordonné l’accès aux professions exercées dans les établis-sements de santé et médico-sociaux (art. L. 3111-4 C.S.P.). Ce fut encore celui du contrôle médical prénuptial obligatoire jusqu’à sa suppression par la L. n° 2007-1787 du 20 déc. 2007 relative à la simplification du droit précitée.

4C’est notamment le cas des obligations générales de vaccination contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (art. L. 3111-2 et L. 3111-3 C.S.P.).

visant à réprimer certains comportements sanitaires dangereux, ce qui comprend la lutte contre le dopage, la toxicomanie, le tabagisme et l’alcoolisme1.

222 On remarque alors que plus la participation réelle ou supposée de l’individu dans la

constitution du risque est grande, plus rigoureux est le dispositif appliqué. Cette affirmation se vérifie notamment s’agissant des procédés d’exécution des décisions. Il semble ainsi que l’existence d’une telle procédure ne résulte pas tant de la liberté concernée par la mesure qu’il convient de faire appliquer que de la cause assignée au risque visé. Lorsque le destinataire de la mesure n’est pas l’auteur du risque, il n’existe pas de moyen d’exécution forcée. C’est le cas, par exemple, en matière de lutte contre les risques de maladies endogènes : l’exécution des mesures prescrites dans ce cadre est essentiellement garantie par l’existence de sanctions administratives ou pénales, voire, parfois, par le seul refus d’accès à un droit ou à une prestation. En revanche, lorsque le destinataire de la mesure est réputé être l’auteur du risque, l’administration bénéficie la plupart du temps de la possibilité de faire exécuter d’office ses décisions. Il en va ainsi dans le cadre du régime relatif aux immeubles insalubres. L’article L. 1331-28 du Code de la santé publique, par exemple, reconnaît aux autorités de l’État (le préfet du département ou le maire agissant au nom de l’État2) le droit de faire procéder d’office à l’exécution des mesures nécessaires pour empêcher l’utilisation de locaux frappés d’une interdiction définitive d’habiter en raison de l’insalubrité irrémédiable de l’immeuble3. L’article L. 1331-29 du Code de la santé publique permet également, en cas de résistance du propriétaire, l’exécution d’office des mesures destinées à écarter les dangers immédiats pour la santé et la sécurité des habitants et des voisins présentés par un immeuble frappé d’une déclaration d’insalubrité irrémédiable. Ces dispositions spéciales ne font d’ailleurs pas échec aux pouvoirs définis par l’ordonnance du 15 décembre 2005 relative à la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux qui a accordé au maire ou, à défaut, au préfet du département, la possibilité de faire procéder d’office aux mesures

1 On peut aussi faire mention de l’ancien dispositif de lutte contre les maladies vénériennes bien qu’il ait été abandonné par le nouveau Code de la santé publique. Héritière du courant moral de l’hygiénisme, cette législation traitait en effet les malades comme de véritables délinquants sanitaires et les soumettait à un régime très coercitif dont la rigueur était justifiée par l’idée de la responsabilité consciente du malade dans la réalisation du risque et la propagation de la maladie. Sur ce dispositif,

cf. notamment la L. du 31 déc. 1942 portant organisation de la prophylaxie et de la lutte contre les maladies vénériennes (J.O.du 3 mars 1943, p. 601), le décr. du 20 juill. 1943 relatif à la prophylaxie et à la lutte contre les maladies vénériennes (J.O.du 5 août, p. 2044), l’ord. n° 60-1246 du 25 nov. 1960 sur la lutte contre les maladies vénériennes (J.O.du 27 nov., p. 10606) ainsi que les anc. art. L. 245 à L. 311 C.S.P. V. J.-S. CAYLA, Les maladies transmissibles par contact sexuel,op. cit., p. 27-32.

2 Circ. DGS/SD7C n° 2002-286 du 2 mai 2002 relative à l’application des dispositions de la loi S.R.U.,B.O. Santén° 2002-24, p. 211.

3Cf.par exemple T.A. de Paris, 11 juill. 1968,Soc. Gélin et Cie pour le synd. des copropriétaires de l’immeuble, 30, rue de Sambre et Meuse à Paris,Rec. p. 599.

d’hygiène qui n’ont pas été exécutées par leur destinataire1. Il existe ainsi une corrélation étroite entre la nature des mesures susceptibles d’être adoptées par l’administration et la cause assignée au risque qu’il s’agit de prévenir ou de faire cesser.

La diversité matérielle des mesures de protection de la santé publique s’explique donc également par la diversité des causes du risque sanitaire. Le risque sanitaire n’est toutefois pas seulement divers dans sa nature et dans ses causes. Il se signale également par son caractère relatif et contingent, qui oblige l’administration à une adaptation constante des mesures qu’elle édite pour le prévenir ou le faire cesser.

Outline

Documents relatifs