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Le développement de législations communautaires positives de santé publique

LA DIVERSITÉ DES MODALITÉS DU MAINTIEN DE L’ORDRE PUBLIC SANITAIRE

L A DIVERSITÉ MATÉRIELLE DES MESURES DE PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE

B.- L’ INFLUENCE ACTUELLE DU DROIT COMMUNAUTAIRE

2) Le développement de législations communautaires positives de santé publique

252 L’effort d’harmonisation des législations sanitaires s’est d’abord réalisé dans le

cadre précis des politiques confiées à la Communauté. La politique agricole commune a ainsi permis à la Communauté européenne de développer une action très forte en faveur de la qualité sanitaire des produits par la multiplication des directives intéressant les

normes d’hygiène2 et les modalités d’inspection et de contrôle sanitaires3. Cet

engagement européen a également été autorisé par l’existence de « zones grises » dans les traités, tel l’article 100 du traité de Rome, aujourd’hui article 95 CE, relatif au

rapprochement des législations ayant une incidence sur le marché commun4. Par une

interprétation large de cette disposition, la Cour de Justice, tout en se fondant sur des considérations économiques, a en effet pu introduire les problèmes de santé parmi les

objets soumis à l’harmonisation communautaire en considérant, par exemple, que «les

dispositions que nécessitent les conditions de santé et d’environnement peuvent être de

1 Cf.par exemple, la dir. n° 64/432/CEE du Conseil du 24 juin 1964 relative à des problèmes de police sanitaire en matière d’échanges intracommunautaires d’animaux des espèces bovine et por-cine,J.O.C.E. n° P 121 du 29 juill., p. 1977. Pour la C.J.C.E., les contrôles ainsi institués doivent être considérés «comme des opérations destinées à favoriser la libre circulation des marchandises, notamment en neutralisant des obstacles pouvant résulter, pour cette libre circulation, des mesures de contrôles sanitaires prises en conformité avec l’article 36 […]. Sauf exceptions prévues [dans les textes communautaires], tout contrôle supplémentaire imposé unilatéralement par un État membre […] consti-tuerait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative» (25 janv. 1977,Bauhuis c. Pays-Bas, aff. 46/76,Rec. 1977, p. 5). V. également C.J.C.E., 10 déc. 2002,British American Tabacco et. a.(aff. C-491/01,Rec. 2002, p. I-11453) portant sur la dir. 2001/37/CE relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac (J.O.C.E.n° L 194, p. 26) et les remar-ques sous cet arrêt de M. BELORGEY, M. GERVASONIet M. LAMBERT, Actualité du droit communau-taire,A.J.D.A.2003, n° 8, p. 380-382.

2Sur l’origine de cette action positive,cf.la dir. CEE relative au rapprochement des réglementations des États membres concernant les matières colorantes pouvant être employées dans les denrées destinées à l’alimentation humaine (J.O.C.E. n° P. 115 du 11 nov. 1962, p. 2645), la dir. n° 67/427/CEE du Conseil du 27 juin 1967 relative à l’emploi de certains agents conservateurs pour le traitement en surface des agrumes ainsi qu’aux mesures de contrôle pour la recherche et le dosage des agents conservateurs dans et sur les agrumes (J.O.C.E. n° B. 148 du 11 juill., p. 1), la dir. n° 70/524/CEE du Conseil du 23 nov. 1970 concernant les additifs dans l’alimentation des animaux (J.O.C.E.n° L. 270 du 14 déc., p. 1), maintes fois modifiée et complétée depuis lors, ou, s’agissant des résidus de pesticides, les dir., également modifiées, n° 79/700/CEE de la Commission du 24 juill. 1979 pour les fruits et légumes (J.O.C.E. n° L. 207 du 15 août, p. 26), n° 86/362/CEE du Conseil du 24 juill. 1986 pour les céréales (J.O.C.E.n° L. 221 du 7 août, p. 37) et n° 86/363/CEE du Conseil du 24 juill. 1986 pour les denrées alimentaires d’origine animale (ibid., p. 43).

3 Cf., par exemple, les dir. n° 64/433/CEE du Conseil du 26 juin 1964 relative à des problèmes sanitaires en matière d’échanges intracommunautaires de viandes fraîches (J.O.C.E.n° P. 121 du 29 juill., p. 2012) et n° 77/99/CEE du Conseil du 21 déc. 1976 relative à des problèmes sanitaires en matière d’échanges intracommunautaires des produits à base de viande (J.O.C.E.n° L. 26 du 3 janv. 1977, p. 85), notamment complétées par la dir. n° 89/662/CEE du Conseil du 11 déc. 1989 relative aux contrôles vétérinaires applicables dans les échanges intracommunautaires dans la perspective de la réalisation du marché intérieur (J.O.C.E.n° L. 395 du 30 déc., p. 13).

4Cf., par exemple, la dir. n° 65/65/CEE du Conseil du 26 janv. 1965 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceuti-ques (J.O.C.E.n° P. 22 du 9 févr., p. 369) qui constitue le texte fondateur de la politique commu-nautaire du médicament.

nature à grever les entreprises auxquelles elles s’appliquent, et [que] faute de rapprochement des dispositions nationales en la matière, la concurrence pourrait être sensiblement faussée»1. Le processus d’harmonisation des législations nationales a donc été essentiellement initié pour lutter contre les atteintes étatiques aux principes de libre circulation justifiées par la protection de la santé publique2. Initialement rattachée à la réalisation du marché commun, cetteœuvre normative d’abord hésitante, puis de plus en plus soutenue de la Communauté s’est développée indirectement par le truchement de l’harmonisation des législations nationales3.

253 Au gré des révisions institutionnelles, l’action communautaire de santé publique

s’est peu à peu émancipée de ces bases premières pour trouver de nouveaux fondements, plus positifs. L’Acte Unique de 1986, insérant la protection des consommateurs et la protection de l’environnement parmi les domaines soumis à la politique commune, a ainsi

permis d’affirmer la santé publique comme un objectif général de l’action

communautaire. Celle-ci a d’ailleurs été très nettement favorisée par la Cour de Justice qui a érigé la protection de la santé publique au rang d’une exigence d’intérêt général pouvant fonder l’intervention des institutions communautaires4. C’est ainsi qu’elle a décidé, en mai 1998, que, pour limiter le risque de transmission de la maladie de la « vache folle », la commission européenne pouvait prendre des mesures de protection d’urgence contre l’E.S.B., sans même avoir à attendre que la réalité et la gravité des

risques pour la santé des personnes soient pleinement démontrées5. En faisant de la

protection de la santé un objet explicite de l’action communautaire, le traité sur l’Union européenne a permis de consolider l’assise juridique de l’intervention sanitaire de la Communauté. Cette évolution a trouvé son aboutissement lors de la conclusion du traité d’Amsterdam de 1997 qui a donné au Conseil une compétence directe pour adopter des «mesures fixant des normes élevées de qualité et de sécurité des organes et substances 1 C.J.C.E., 18 mars 1980, Commission c. République Italienne (aff. 92/79, Rec. 1980, p. 1099 et p. 1115) à propos de deux directives du Conseil fondées sur l’art. 100 du traité de Rome (dir. n° 73/404/CEE du 24 nov. 1973 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux détergents,J.O.C.E.n° L. 347 du 17 déc., p. 51 et n° 75/716/CEE du 24 nov. 1975 pour le rapprochement des législations concernant la teneur en soufre de certains combustibles liquides,J.O.C.E.n° L. 307 du 27 nov., p. 22).

2Sur ce fondement, la C.J.C.E. s’est ainsi engagée dans une jurisprudence visant à étendre le droit des ressortissants de l’Union européenne à bénéficier de soins dispensés dans les État dans lesquels ils ne résident pas sans que leur soient opposés des obstacles non justifiés par les principes du droit communautaire. Sur ce point,cf. notamment A. LAUDE, B. MATHIEUet D. TABUTEAU,Droit de lasanté,

op. cit., p. 148, n° 143.

3Sur ce point, v. notamment J.-M. BELORGEY, S. GARVASONIet C. LAMBERT, chron. sous C.J.C.E., 10 déc. 2002, British American Tobacco,A.J.D.A. 2003, n° 8, p. 380-382, spéc. p. 381. Cf. également E. BROSSET, Différenciations nationales et harmonisation communautaire. L’exemple des organismes génétiquement modifiés,R.D.S.S.2006, n° 2, p. 215-228.

4 La santé publique a, par exemple, été rattachée aux objectifs de la politique agricole commune dans deux arrêtsRoyaume-Uni c. Conseildu 23 févr. 1988 (aff. 68 et 131/86,Rec. p. 855 et p. 905).

5C.J.C.E., 5 mai 1998,National Farmer’s UnionetRoyaume-Uni c. Commission(2 esp.) aff. C-157/96 et C-180/96,Rec. 1988, p. I-2211 et p. I-2265 ; C.J.E.G. 1998, p. 419, note J.-D. COMBREXELLE;

Europe1998, n° 262, comm. D. RITLENG (validité de la décision 96/239/CE de la Commission du 27 mars 1996 relative à certaines mesures d’urgence en matière de protection contre l’encéphalopathie spongiforme bovine parue auJ.O.C.E.n° L 78, p. 47).

d’origine humaine, du sang et des dérivés du sang», pour engager «des actions d’encouragement visant à protéger et à améliorer la santé humaine», et pour prendre, dans certains cas, des mesures «dans les domaines vétérinaires et phytosanitaire ayant directement pour objectif la protection de la santé publique»1. Sans rompre avec les logiques précédemment définies, l’Union européenne a donc pu prolonger son action en s’engageant dans une politique active de santé publique qui se déploie désormais dans toutes les branches de la police sanitaire2.

254 Outre le développement de programmes d’action communautaire, on peut, à

l’heure actuelle, distinguer trois principaux degrés d’intervention de l’Union européenne. L’harmonisation communautaire du droit des États membres amène, en premier lieu, à des modifications substantielles des dispositifs nationaux de police sanitaire, qui touchent aussi bien les procédures et les modalités de l’intervention publique que le fond des normes. L’apport de la législation communautaire se traduit, en deuxième lieu, par la définition de nouveaux axes d’intervention de la puissance publique. Ce fut le cas notamment de la lutte contre le saturnisme insérée dans la loi d’orientation relative à la lutte contre l’exclusion du 29 juillet 19983. L’action de la Communauté européenne peut enfin, au plus haut niveau, conduire à une prise en charge directe de certains secteurs. L’exemple le plus remarquable de cette « communautarisation » de la santé publique est sans doute celui de l’harmonisation des législations relatives aux médicaments, qui a non

seulement justifié de nombreux amendements de la législation nationale4, mais aussi

conduit à la mise en place d’un dispositif communautaire d’autorisation de mise sur le marché des médicaments à usage humain et vétérinaire5. Il n’existe certes pas encore de procédure uniforme d’évaluation et d’autorisation des médicaments valant pour l’ensemble des États membres. Mais la politique d’harmonisation entamée en 1993 a

1Art. 152 CE. On notera que de nombreuses dispositions du traité de Lisbonne confirment et accen-tuent ces compétences. V. notamment l’art. 2 C (2 k) qui prévoit un partage de compétence entre les États membres et l’Union pour la définition des enjeux communautaires et sécurité en matière de santé publique, l’art. 2 E (a) qui renforce la compétence de l’Union pour mener des actions destinées à appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres dans le domaine de la protection et de l’amélioration de la santé humaine et l’art. 152 complété, qui organise les relations entre les États et l’Union en ce domaine (L. n° 2008-125 du 13 févr. autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et cer-tains actes connexes,J.O.du 14 févr. , p. 2712 ;A.J.D.A.2008, p. 12).

2A. LAUDE, B. MATHIEUet D. TABUTEAU,Droit de lasanté,op. cit., p. 145 s. À partir des années 1990, elle s’est d’ailleurs progressivement dotée de plusieurs structures et organismes d’expertise, d’observatoires et d’agences.

3L. d’orientation n° 98-657 du 29 juill. 1998 relative à la lutte contre l’exclusion, préc.

4 La dernière réforme en date étant celle de la L. n° 2007-248 du 26 févr. 2007 (J.O.du 27 févr., p. 3503 ;B.J.S.P.2007, n° 102, Pan. p. 5 ;B.J.S.P.2008, n° 109, p. 10, comm. P. CHICHÉ), complétée par l’ord. n° 2007-613 du 26 avr. 2007 portant diverses adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament (J.O.du 27 avr., p. 7515 ;B.J.S.P.2007, n° 104, Pan., p. 5). Le projet de loi ratifiant cette ord. est, à l’heure où nous écrivons ces lignes, toujours en discussion au Parlement.

5 Cf. B. HAURAY, L’Europe du médicament, Paris, Les Presses de Sciences-Po, 2006, 378 p. Sur le dispositif relatif aux médicaments vétérinaires, v. les art. L. 5141-5 et L. 5141-16 C.S.P. et les décr. n° 2008-117 et n° 2008-118 du 7 févr. 2008 relatifs à la procédure de reconnaissance mutuelle et à la procédure décentralisée d’autorisation de mise sur le marché de médicaments vétérinaires et à la pharmacovigilance vétérinaire,J.O.du 9 févr., p. 2467 et p. 2469.

progressivement conduit à l’élaboration d’une procédure originale qui a sensiblement réduit la compétence des autorités nationales1. Ce dispositif communautaire se subdivise en deux procédures connexes. La première, dite « centralisée », est réservée aux médicaments innovants, notamment les médicaments issus des biotechnologies, dont l’évaluation est confiée à une Agence européenne du médicament2. Cette évaluation, et l’éventuelle autorisation de mise sur le marché qui, sur cette base, est délivrée par la Commission ou le Conseil, est valable pour l’ensemble des États membres, sans qu’aucune restriction ne puisse normalement être opposée à l’introduction du médicament sur le territoire national. La seconde procédure, « décentralisée », instaure une concurrence directe entre les différentes autorités nationales pour l’évaluation des spécialités. Elle repose sur un mécanisme de reconnaissance mutuelle d’une première autorisation de mise sur le marché octroyée par un État membre par les autres États de l’Union. Cette procédure laisse toutefois subsister l’exception de santé publique qui peut justifier, sous le contrôle de la Commission européenne, le refus d’un État de reconnaître l’autorisation délivrée par l’un des autres États membres. Il n’empêche que la maîtrise des autorités nationales sur l’évaluation des médicaments et la délivrance des autorisations de mise sur le marché se trouve extrêmement réduite3.

255 Le droit communautaire s’impose de la sorte comme une source du droit de la santé

publique qui, en constante progression, accentue l’instabilité de ses règles. Son intégration en droit national pose par ailleurs un certain nombre de difficultés qui ajoutent encore à la complexité de ce droit. La première d’entre elles tient à la perte progressive de maîtrise des États sur les questions de santé publique et de sécurité sanitaire4. La seconde concerne, sans grande originalité, la transposition des directives communautaires en droit interne. On sait que cette transposition, obligatoire, doit être effectuée de manière « correcte » par les autorités nationales, qui ne peuvent, sans manquer à leurs obligations, méconnaître le sens et la portée des directives. Certaines autorités de police municipale ont cru pouvoir tirer de ce principe une règle leur permettant d’intervenir dans des domaines qui, à l’exemple de la police des organismes génétiquement modifiés (O.G.M.), relèvent de l’exercice d’une police spéciale exercée au niveau national. C’est ce

1 V. notamment la dir. n° 93/41/CEE du Conseil du 14 juin 1993 abrogeant la dir. 87/22/CEE portant rapprochement des mesures nationales relatives à la mise sur le marché des médicaments de haute technologie, notamment ceux issus de la biotechnologie,J.O.C.E. n° L 214 du 24 août, p. 40 ; le règl. (CEE) n° 2309/93 du Conseil du 22 juill. 1993 établissant des procédures communau-taires pour l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une Agence européenne pour l’évaluation du médicament, J.O.C.E. n° L. 214 du 24 août, p. 1 et la dir. n° 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 nov. 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, J.O.U.E.n° L. 311 du 28 nov., p. 67.

2Art. R. 5136-1 et R. 5136-2 C.S.P.

3Cf. l’art. L. 5121-8 C.S.P. dans sa rédaction issue de la L. n° 96-452 du 28 mai 1996 portant diver-ses mesures d’ordre social,J.O.du 29 mai, p. 7912.

4Sur ce point,cf. notamment M. DEGUERGUE, La responsabilité en matière de police sanitaire, note sous C.E., 12 mai 2004,Soc. Gillot,A.J.D.A.2004, n° 27, p. 1487-1492.

qu’illustre un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux en date du 26 juin 20071. Était ici en cause un arrêté de police municipale interdisant l’usage d’O.G.M. sur le territoire de la commune. Pour fonder sa compétence, la commune avait notamment fait valoir que le ministre de l’Agriculture, désigné par la loi du 13 juillet 1992 comme l’autorité de police compétente en la matière, exerçait ses pouvoirs illégalement dès lors que les dispositions de la loi étaient incompatibles avec les objectifs de la directive

communautaire 2001/18/CE du 12 mars 2001, non transposée en droit interne2. Le juge

de l’excès de pouvoir a heureusement refusé de recevoir cette argumentation en considérant que, même à la supposer établie, la transposition défectueuse d’une directive communautaire ne saurait être invoquée par un maire pour fonder sa compétence à définir une réglementation particulière pour sa circonscription. Cet arrêt est toutefois symptomatique des difficultés pratiques que la diversité et la complexité matérielle des règles de protection de la santé publique posent aux autorités responsables de la prévention des risques sanitaires.

Il reste que le droit de l’ordre public sanitaire n’est pas seulement divers et complexe du point de vue de son contenu ; il l’est aussi du point de vue de ses instruments juridiques dont il faut, là encore, signaler la diversité.

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