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U NE APPROCHE RESTRICTIVE DE LA SANTÉ

LA SANTÉ PUBLIQUE, COMPOSANTE DE L’ORDRE PUBLIC

L ’ ORDRE PUBLIC

A.- U NE APPROCHE RESTRICTIVE DE LA SANTÉ

104 L’ordre public sanitaire donne une définition particulièrement étroite de la santé.

Celle-ci se détermine en effet par son contraire : l’existence d’un risque de maladie ou d’accident sanitaire qui, seul, justifie la restriction de l’exercice des libertés publiques (1). La notion privilégie en outre une perspective médicalisée de la santé, ici distinguée de la vision holistique développée par l’O.M.S. (2).

1Cf.B. DEJOUVENEL,Du pouvoir, Paris, Hachette, 1972, coll. Pluriel, chapitre 18 : « Liberté ou sécu-rité », p. 547-575.

2 Cf.notamment M. HANNOUN,Le sida, questions de société, Rapport d’information n° 1090 fait au nom de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale en-registré le 2 déc. 1987, 104 p. ; E. HIRSCH,Le sida, rumeurs et faits, Paris, éd. du Cerf, 1987, 216 p. ; É. HEILMANN(textes réunis par),Sida et Libertés…,op. cit. 334 p., Avant-propos de D. CHARVET, Pré-face de F. HÉRITIER-AUGÉ; C. BYK, Le sida (Mesures de santé publique et protection des droits indi-viduels),J.C.P.1991, I, 3541, p. 381-386.

1) Une définition négative de la santé

105 La santé, comprise au sens de l’ordre public sanitaire, ne présente pas de contenu

positif. Elle se définit négativement par référence au trouble, la maladie ou l’accident sanitaire, ou au risque de trouble, le risque sanitaire. Quel que soit le degré d’intervention de la puissance publique, la notion de santé est donc toujours envisagée par son contraire. L’intervention de la police administrative, par définition préventive, s’arrête là où commence la thérapeutique.

106 Conformément au principe de l’inviolabilité du corps humain, notamment consacré

par la loi du 29 juillet 19941, l’individu dispose normalement d’une entière liberté pour recourir ou non aux services de soins2. Cette liberté, aujourd’hui reconnue à l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique sous la forme du droit de la personne majeure de donner son consentement aux soins lorsqu’elle est en état de l’exprimer, revêt le caractère d’une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de la justice administrative3. Elle n’est toutefois pas d’application absolue4et doit notamment s’effacer devant les impératifs de santé publique. La liberté ne peut s’exercer que dans les bornes de l’ordre public et dans la mesure où elle n’engage pas autrui. Dès lors, nul n’a le droit d’empêcher d’autres personnes de recevoir des soins,a fortiorisi ces personnes sont placées sous sa protection5. Par ailleurs, la liberté de se soigner ne doit pas, par un exercice exagéré, se transformer en un droit de contaminer6. D’une manière générale, la transmission consciente d’une maladie est constitutive d’un délit d’administration de

1L. n° 94-653 du 29 juill. 1994 relative au respect du corps humain, préc.

2Si, comme le note Mme HENNETTE-VAUCHEZ, le juge peut prononcer le partage des responsabilités entre le responsable initial d’un dommage et la victime qui refuse de se prêter à un traitement qui améliorerait son état, il ne se reconnaît pas la possibilité d’ordonner à la victime de subir les soins considérés (S. HENNETTE-VAUCHEZ,Disposer de soi ?...,op. cit., p. 162-164 et notes 1 et 2, p. 163).Cf.

par exemple Cass. crim, 3 juill. 1969, Pourpour c. Sieur Reynaud, n° 68-93493,Bull.crim. n° 216, p. 521 ;J.C.P.1970, II, 16447, note R. SAVATIERou encore T.G.I. de Paris, 13 mai 1981,Ouamer c. Soc. des Transports Normands et a., J.C.P.1982, II, 19887, note F. CHABAS.

3V. notamment C.E., ord., 16 août 2002,Mme Valérie Feuillatey. c. C.H.U. de Saint-Étienne, préc.

4Sur cette question, dont certains pans sont développésinfra(nos679 s.), v. P. HENNION-JACQUET, Le paradigme de la nécessité médicale,R.D.S.S.2007, n° 6, p. 1038-1049.

5Hormis le fait que le médecin puisse, en cas de besoin, passer outre un refus soins opposés par les parents d’une personne mineure, il existe aujourd’hui un arsenal juridique assez complet visant, le cas échéant, à permettre la protection des personnes vulnérables privées de soins, dont les enfants et les personnes sous protection. Ce dispositif va du signalement des cas de maltraitance aux auto-rités compétentes (art. 226-14 C.P.) aux mesures d’assistance éducative que la justice peut ordonner en application de l’art. 375 du C. civ. lorsque la santé d’un mineur non émancipé est en danger. La privation de soins peut en outre être sanctionnée sur le plan pénal (sur l’infraction commise par le refus de parents de faire vacciner un enfant d’âge scolaire,cf.par exemple Cass. crim., 9 oct. 1958,

Debeurme,Bull. crim.n° 613, p. 1081 ;Gaz. Pal.1958, 2, p. 318).

6L’ord. n° 60-1246 du 25 nov. 1960 prévoyait ainsi à l’art. L. 285 du C.S.P. (non repris par le nou-veau Code) que «tout agent contaminateur qui, se sachant atteint d’une maladie vénérienne, ne peut faire la preuve d’un traitement régulier» est puni d’un an d’emprisonnement et/ou d’une amende de 30 000 F (4573, 47€). C’est ce principe qui a également justifié l’insertion au Code de procédure pénale de l’art. 706-471 donnant aux victimes d’infractions sexuelles le droit d’exiger que leurs au-teurs soient contraints de subir un examen médical et une prise de sang aux fins de dépistage d’un maladie sexuellement transmissible (art. 28 de l’ord. n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure,J.O.du 19 mars, p. 4761).

substances nuisibles à la santé1et pourrait, si elle révélait une intention d’homicide, être

qualifiée de crime d’empoisonnement2. L’ordre public sanitaire peut enfin justifier

l’existence d’un certain nombre d’«obligations à la santé»3 qui s’imposent aux

personnes : dépistages, vaccinations, traitements ou hospitalisations forcés. Ces mesures prophylactiques portent directement atteinte au droit individuel à disposer librement de son corps. Justifiées par une seule et même préoccupation de sécurité, elles ne suffisent pas toutefois à conférer à l’ordre public sanitaire une quelconque vocation thérapeutique4. thérapeutique4. En effet, lorsque le législateur crée de telles sujétions, il n’est jamais animé par la volonté de soigner ; il ne s’agit pour lui que d’empêcher (vaccinations et examens obligatoires) ou de faire cesser (traitements et hospitalisations forcés5) un danger danger pour la santé générale.

2) Une perspective médicalisée de la santé

107 Selon la définition proposée par le Préambule de la Constitution de l’O.M.S.,« la

santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité»6. Cette formule ne peut toutefois convenir pour définir la santé telle qu’elle apparaît dans le cadre de l’ordre public sanitaire. L’ensemble des dispositifs qui y sont relatifs offrent en effet une perspective beaucoup plus étroite et médicalisée de la santé qui correspond principalement à l’absence de menaces pesant surl’intégrité physiquedes hommes.

108 Sans doute doit-on apporter quelques nuances à cette affirmation, notamment

s’agissant des conséquences « physiques » du risque sanitaire considéré. La lutte contre l’alcoolisme ou la toxicomanie, le contrôle des produits pharmaceutiques et des substances dangereuses ou encore la lutte contre le bruit prennent explicitement ou implicitement en compte les maladies mentales. Ceci étant, la prévention de ces maladies

1 Outre les arrêts citéssupra n° 11, à propos des cas de transmission consciente du sida par voie sexuelle,cf. Cass. crim., 14 juin 1995,M. Leveille, n° 94-83.025,Bull. crim. n° 218, p. 597.

2 Art. 221-5 C.P.Cf. T.G.I. de Paris, 23 oct. 1992,D. 1993, 222, note PORTHAIS;Gaz. Pal.1993, I, somm. 118, note DOUCET; C.A. de Paris, 13 juill. 1993, Gaz. Pal.du 25 janv. 1994.1.2, obs. J.-P. DELMAS SAINT HILAIRE; D. 1994, p. 118, note A. PORTHAIS et Cass. crim., 2 juill. 1998,Claude Y., n° 98-80529,Bull. crim.n° 211 ;D.1998, p. 457, note J. PRADELet 2000, somm. 26, obs. MAYAUD;

J.C.P.1998, II, 10132, note RASSATet 1999, I, 112, n° 3, obs. VÉRON;Gaz. Pal.1999, 1, 13 ;Petites affiches1998, n° 126, p. 9, note F. COURTRAY(a contrario).

3J.-M. AUBY, L’obligation à la santé,op. cit., p. 7-19 et Droits de l’Homme et droit de la santé...,op. cit., p. 673-685.

4Le juge administratif rappelle ainsi, à l’occasion, qu’un médecin du travail n’a qu’un rôle préventif. Un décret leur permettant de dispenser des soins aux salariés est donc entaché d’illégalité : C.E., Sect., 23 janv. 1948,Conféd. des Synd. médicaux français, n° 89.088,Rec.p. 36.

5Soulignons que lorsqu’ils s’appliquent à des individus s’étant livrés à des comportements nuisibles à la sécurité ou à la santé publiques réprimés par la loi, comme la prise de substances psychotropes illicites, ces traitements forcés, souvent alternatifs à la peine d’emprisonnement, permettent de com-biner la prévention à la répression.

6 Al. 2 du Préambule de la Constitution de l’O.M.S. du 22 juill. 1946. Dans le même sens,cf.l’art. 12-1 du Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels : «Toute personne a le droit de jouir du meilleur état physique et mental qu’elle est capable d’atteindre».

se présente toujours comme une problématique seconde de l’ordre public et se rattache dans la grande majorité des cas, soit à la protection de la santé physique, soit au maintien de la sécurité publique1. Dès lors, bien que la protection de la santé mentale soit un impératif social indiscutable, on doit à l’heure actuelle la considérer comme un élément secondaire et incident de l’ordre public sanitaire. En ce domaine, la dimension matérielle et négative du trouble à l’ordre public est maintenue : «le danger de désordre matériel est le symptôme qui déclenche l’action préventive de la police»2.

109 En plus d’être physique, la santé qu’il s’agit de protéger se distingue de toute forme

de bien-être et correspond essentiellement à l’absence de maladies physiologiques au sens strict du terme. Cette perspective étroite de la santé est retenue par la quasi-totalité des textes législatifs. Rare entorse à ce principe, la police des aliments prévoit toutefois, outre l’existence d’un danger pour la santé publique, qu’une interdiction de mise sur le marché puisse être justifiée par l’insuffisance des qualités nutritionnelles du produit en cause, ce qui témoignea priori d’une approche plus positive de la protection de la santé. Pourtant, même dans cette hypothèse, l’intervention de police sanitaire se rattache à la protection de l’intégrité physique des hommes qui, s’ils ne s’alimentaient pas suffisamment d’un point de vue qualitatif, se trouverait très vite menacée3.

Sur ce point, la définition prétorienne des hypothèses concrètes où l’intervention de police sanitaire est justifiée est tout à fait riche d’enseignements. Dans la mesure où le juge administratif dispose d’une compétence de principe pour apprécier la régularité des mesures réglementaires et individuelles de police sanitaire, c’est à travers sa jurisprudence – même s’il ne faut pas négliger les solutions de l’ordre judiciaire4 – que l’on peut le plus aisément déterminer les situations ou les comportements susceptibles de provoquer l’intervention de l’administration au titre de l’ordre public sanitaire. À cet égard, le contrôle de la qualification juridique des faits qui constitue aujourd’hui le degré

minimal du contrôle juridictionnel des mesures de police sanitaire5, joue un rôle

déterminant dans la définition des caractéristiques premières du risque.

On constate ainsi que, malgré une jurisprudence nettement favorable à l’intervention de la police sanitaire, le juge administratif cherche à ne pas étendre démesurément la notion de santé telle qu’elle est comprise par l’ordre public sanitaire.

1L’hospitalisation forcée des malades mentaux, par exemple, répond essentiellement à des préoccu-pations de sécurité pour les personnes et les biens (art. L. 3212-1, L. 3213-1 à L. 3213-10 C.S.P. et art. L. 2212-2-6° C.G.C.T.).

2M. HAURIOU,Précis élémentaire de droit administratif, Paris, Sirey, 1943, p. 323.

3 Il faut par ailleurs rapprocher ces dispositions du principe de la loyauté commerciale et de la protection des consommateurs contre les tromperies.

4V. A. VAN-LANG, Juge judiciaire et droit administratif, Paris, L.G.D.J., 1996, 359 p., coll. Bibl. de droit public, Préface de D. TRUCHET, spéc. p. 226 et 227 sur le contrôle des actes de puissance publi-que, et notamment de police, par le juge judiciaire.

Son refus d’une interprétation extensive du risque sanitaire s’observe tout particulièrement en matière d’insalubrité où le Conseil d’État s’emploie à distinguer les

mesures d’assainissement stricto sensu des mesures de confort ou de commodité

impliquant une définition positive de la santé associée au « bien-être ». La Haute juridiction administrative exige ainsi que le trouble allégué soit d’une gravité telle qu’il

présente effectivement un danger ou unemenace pour la santé. Sur cette base, est par

exemple annulé un arrêté du Préfet de police de la Seine ordonnant l’exécution de certains travaux pour faire cesser l’incommodité résultant d’émanations d’un conduit de fumée qui ne trouve pas de base légale dans l’exercice des pouvoirs généraux de police, «le trouble allégué [n’étant] pas d’une gravité suffisante» pour constituer une menace pour la santé publique1. De même, si l’autorité de police est tout à fait fondée à intervenir pour interdire de conserver à l’intérieur des quartiers des animaux domestiques en nombre excessif2ou de se livrer à l’élevage de troupeaux de boucs et de chèvres dans les caves et dépendances d’un immeuble d’habitation3, un règlement sanitaire est illégal s’il interdit de posséder plus de trois chiens4. Dernier exemple, bien que l’absence d’eau courante dans un logement constitue aujourd’hui une cause d’insalubrité présentant un risque pour la santé publique5, l’absence de salle de bains dans un immeuble est quant à elle assimilée à une incommodité et non à une insalubrité, puisqu’elle ne crée aucune source de contamination6.

Le trouble à l’ordre public sanitaire renvoie donc à toute situation ou tout comportement qui présente un danger pour la santé physique des individus. En revanche, n’est pas justifiée par l’ordre public sanitaire, une mesure destinée à faire cesser une situation ou un comportement qui, sans être forcément dépourvu d’inconvénients, ne porte pas d’atteinte ou de risque d’atteinte à l’intégrité physique des hommes7.

1 C.E., 25 juin 1958,Sieur Beurdeley et a., n° 11.958, Rec.p. 382 ;R.P.D.A.1958, p. 311. Dans le même sens, la Cour de cassation rappelle que la procédure définie à l’article L. 26 C.S.P. (art. L. 1331-26 C.S.P.) est subordonnée à la condition que l’immeuble constitue undangerpour la santé des occupants ou des voisins (Cass. crim., 17 avr. 1975, n° 74-90301, Bull. crim. n° 100, p. 279 ;

D. 1975, Somm., p. 61).

2C.E., 15 févr. 1989,Joulain, n° 66192, inédit et ― 22 juin 1990, Raynaud,n° 93813, inédit.

3C.E., 12 juin 1953,Delle Tisserand, n° 6.323,Rec.p. 279.

4C.E., 22 févr. 1995,Cne de Caluire-et-Cuire, n° 127860, inédit.

5 Ni les entreprises concessionnaires, ni les propriétaires de ces logements ne peuvent donc légiti-mement couper l’eau qui les alimente et l’autorité de police est fondée à ordonner le rétablissement de l’eau nonobstant l’existence d’un litige d’ordre privé : C.E., 20 juin 1934,Soc. Lyonnaise des eaux,

préc. ; ― Sect., 28 avr. 1961, Cne de Cormeilles-en-Parisis, préc. ; Sect., 20 déc. 1963, Dame et Delle Morvan-Clavennas, nos57.666 et 58.758,Rec. p. 654 ;A.J.D.A.1965, p. 376 ;23 juin 2000,

Agences foyers et résidences hôtelières privées, n° 167258,Rec. p. 244 ;D. 2000, IR, 240 ;R.F.D.A.

2000, p. 905 ;D.A.2000, n° 217, note D.C. Il appartient en outre au maire, en vertu de ses pouvoirs de police générale de la salubrité publique, d’ordonner le raccordement des immeubles au réseau public de distribution d’eau : C.E., 29 janv. 1988,Assoc. synd. libre des propriétaires du lotissement privé de Piraillan-la-Forêt, n° 58.021,Rec.tables p. 800.

6 C.A.A. de Nancy, 22 avr. 1993, Mlle Lefevre et Mlle Massin, n° 92NC00465 et n° 92NC00466,

A.J.D.A.1993, p. 670, obs. M. LASCOMBE.

7Pour un dernier exemple : C.A.A. de Bordeaux, 17 oct. 2006, n° 03BX01503,M. Philippe X. c. Cne de Toulouse,A.J.D.A. 2006, p. 2413:«La situation sanitaire qui prévalait dans le logement occupé par

Mais il ne suffit pas pour que la mesure d’ordre public sanitaire soit justifiée et légale qu’existe un tel trouble ou risque de trouble sanitaire. Il faut encore que l’impact collectif du danger encouru soit clairement établi.

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