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Une intervention indirecte liée à une conception restrictive de la réserve de santé publique

LA DIVERSITÉ DES MODALITÉS DU MAINTIEN DE L’ORDRE PUBLIC SANITAIRE

L A DIVERSITÉ MATÉRIELLE DES MESURES DE PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE

B.- L’ INFLUENCE ACTUELLE DU DROIT COMMUNAUTAIRE

1) Une intervention indirecte liée à une conception restrictive de la réserve de santé publique

clause de sauvegarde les autorisant à déroger aux principes de libre circulation1. Or c’est paradoxalement grâce à cette sauvegarde étatique (1) que la Communauté a trouvé les premières bases de son intervention dans le domaine sanitaire2(2).

1) Une intervention indirecte liée à une conception restrictive de la réserve de

santé publique

247 La réserve d’ordre public, d’essence souverainiste, heurte de front la dynamique

d’intégration libérale de la Communauté européenne, peu compatible avec la notion

régalienne d’imperium. L’autonomie de l’ordre juridique communautaire a dès lors

justifié que les autorités communautaires, principalement le Conseil et la Cour de Justice des Communautés européennes, s’attachent à en délimiter les contours3.

248 Par une interprétation stricte des conditions posées à sa mise enœuvre, la Cour de

Justice a été conduite à en donner une analyse destinée à s’imposer à tous les États. Selon

la jurisprudence Bouchereau du 27 octobre 1977, le recours à la notion d’ordre public

suppose ainsi «l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre public que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société»4. À l’instar de M. DRUESNE, on peut observer que cette indication, sans être absolument déterminante puisque le sens donné à de tels intérêts fondamentaux peut varier selon les États et les époques5, révèle, dans la mesure où la

1 Cette référence à la santé publique en marge de la réserve d’ordre public a pu conduire certains auteurs à l’exclure de la notion « communautaire » d’ordre public : cf. S. POILLOT-PERUZZETTO, Ordre public et droit communautaire,op. cit., p. 180. Il paraît néanmoins important de souligner que si la santé publique, comme d’ailleurs la sécurité publique, sont formellement extérieures à l’ordre public, le rôle d’exclusion de la norme communautaire joué par ces différentes notions est exactement iden-tique, ce qui empêche de croire en leur autonomie. La spécificité ainsi accordée à la santé publique permet avant tout d’insister sur la volonté des gouvernements de faire prévaloir la protection sani-taire de leur population sur les impératifs de l’intégration économique européenne qui y porteraient atteinte. En ce sens, G. LYON-CAEN, La réserve d’ordre public en matière de liberté d’établissement et de libre circulation,R.T.D.E.1966, n° 4, p. 693 et É. PICARD, L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public,op. cit., p. 55-75.

2 Cf. Ph. BRUNET,Recherches sur le droit communautaire positif de la santé, Th. Droit, Bordeaux I, 1990, dactyl., 308 p. auquel ce paragraphe doit beaucoup. V. également, pour une analyse élargie à l’ensemble de l’ordre public, T. LARZUL,Les mutations des sources du droit administratif, Th. Droit, Paris, L’Hermès, 1944, Préface de D. TRUCHET, p. 186 s. et O. DUBOS, Police administrative et droit communautaire : kaléidoscope,D.A.2007, n° 4, p. 21.

3 Dès l’arrêtRutilidu 28 oct. 1975, la C.J.C.E. a expressément reconnu cette maîtrise communau-taire de l’ordre public national dont la «portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de la communauté» (aff. 36/75,Rec. 1975, p. 1219 ;

Gaz. Pal.1976, 1, p. 134).

4 C.J.C.E., 27 oct. 1977, Bouchereau, préc. ; 29 avril 2004, Orfanopoulos, aff. C-482/01 et C- 493/01,Rec. 2004, p. I-5257 ;Europejuin 2004, n° 200, comm. D. SIMON.

5La C.J.C.E. considère ainsi que les «circonstances d’ordre public peuvent varier d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre» (4 déc. 1974, Van Duyn c. Home Office, préc.), de même que la notion «varie en fonction des conditions sociales» (26 févr. 1975,Carmelo Angelo Bonsignore, préc.).

conception générale du pouvoir politique de ces derniers est la même, une recherche d’uniformisation des conditions de mise en œuvre de l’ordre public, mais aussi de son contenu et des motifs de son invocation1. Dès lors, si l’ordre public conçu comme clause

d’exception au traité est «national d’inspiration, il est communautaire de source et

d’application»2, et peut-être même de définition. De ce fait, les institutions communautaires ont également pu déterminer leur propre perspective de l’ordre public sanitaire.

249 Cette capacité de définition des exigences nationales de la protection de la santé

publique par les organes communautaires a, en matière de libre circulation des personnes, été explicitement prévue par l’alinéa 2 de l’article 48 du traité de Rome qui a confié au

Conseil le soin d’«arrêter des directives pour la coordination des dispositions

législatives, réglementaires et administratives»3. Sur ce fondement, la directive n° 64/221/CEE du 25 février 1964 fixant les conditions et les modalités de mise enœuvre des réserves à la libre circulation des personnes4a défini une liste exhaustive de maladies justifiant la fermeture des frontières d’un État membre à un ressortissant communautaire. Outre cette précision matérielle de la réserve de santé publique, le Conseil a par ailleurs limité son application au seul cas où la maladie apparaît avant l’entrée de la personne atteinte sur le territoire. Il ne saurait donc être question pour l’État d’expulser ou de refuser le renouvellement d’un titre de séjour pour des raisons tenant à la santé publique5.

250 Cette approche restrictive de la réserve de santé publique est également à l’œuvre

dans le domaine de la libre circulation des marchandises par le jeu des articles 30 et 36 du traité. Dans le silence des dispositions conventionnelles, c’est cette fois la Cour de Justice des Communautés européennes qui a progressivement délimité les contours de la notion. Sa jurisprudence, marquée par la volonté de préserver l’effet utile du traité, a donc peu à

1G. DRUESNE, Puissance publique et libertés : les limites à la liberté de circulation des personnes dans la Communauté économique européenne, op. cit., p. 722-723.

2Cf.S. POILLOT-PERUZZETTO,op. cit., p. 25. Pour l’auteur, il serait même plus juste d’évoquer, dans l’ordre communautaire, la notion d’ «ordre public national communautarisé».

3V. aujourd’hui les art. 46 s. CE.

4Dir. n° 64/221/CEE du Conseil du 25 févr. 1964 pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d’ordre public, de sécu-rité publique et de santé publique,J.O.C.E.n° L 56 du 4 avr., p. 850. Cette directive a été abrogée et remplacée par la dir. n° 2004/38 du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres (J.O.U.E. n° L 158 du 30 avr., p. 77), dont le délai de transposition dans l’ordre juridique interne a expiré le 30 avr. 2006. Sur ce texte, v. Y. GAUTIER, La directive n° 2004/38/CE : simplification et élargissement des droits d’entrée et de séjour reconnus aux citoyens de l’Union européenne,Europe

oct. 2004, chron. 5, p. 5.

5Cf.cependant la dir. n° 75/35/CEE du Conseil du 17 déc. 1974 étendant le champ d’application de la directive de la dir. n° 65-221 aux ressortissants des États membres qui exercent le droit de demeurer sur le territoire d’un autre État membre après y avoir exercé une activité non salariée,

peu posé les principes guidant la légitimité de la restriction sanitaire au principe de la libre circulation des marchandises1.

Tout en signalant que «l’article 36 n’a [pas] pour objet de réserver certaines

matières à la compétence exclusive des États membres», la Cour de Justice a toutefois

admis que «les législations nationales fassent exception au principe de la libre

circulation dans la mesure où cela est justifié pour atteindre les objectifs visés à cet article»2. Parmi ceux-ci, figure notamment la protection de la santé et de la vie des personnes tour à tour reconnue comme un «objectif légitime et digne de protection» par la Commission3et une «exigence impérative» par la Cour de Justice4. Les juges ont, par ailleurs, admis que les États membres disposent d’une marge d’appréciation et d’action étendue pour fixer, sous leur propre responsabilité, le niveau de protection de la santé jugé nécessaire5. C’est ainsi que, dans le cadre de la lutte contre la maladie de la « vache folle », la Cour de Justice a accepté qu’un État puisse, à titre conservatoire de protection, interdire l’importation de têtes de bovins« contenant des matériels présentant des risques au regard de l’encéphalopathie spongiforme bovine», alors que l’entrée en vigueur de la décision communautaire interdisant de tels matériels avait été reportée6.

L’exception au principe de libre échange doit néanmoins être justifiée par une nécessité réelle de santé publique qui ne saurait servir d’alibi aux États pour se soustraire

à leurs obligations7 en prenant des mesures d’effet équivalent à des restrictions

1 L’art. 30 du traité de Rome interdisant aux États membres toutes restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes mesures d’effet équivalent qui ne seraient pas justifiées notamment par la protection de la santé et de la vie de la population.

2 C.J.C.E., 15 déc. 1976, Simmenthal SpA c. Ministère des finances italien, aff. 35/76, Rec. 1976, p. 1871.

3Dir. n° 70/50/CEE de la Commission du 22 déc. 1969 fondée sur les dispositions de l’art. 33 § 7, portant suppression des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation non visées par d’autres dispositions prises en vertu du traité CEE, J.O.C.E.n° L. 13 du 19 janv. 1970, p. 29.

4C.J.C.E., 20 févr. 1979,Rewezentral Agdit «Cassis de Dijon», aff. 120/78,Rec. 1979, p. 649.

5C.J.C.E., 14 juill. 1983,Sandoz Bv, aff. 174/82,Rec. 1983, p. 2445 (à propos de la soumission de l’utilisation d’additifs alimentaires à autorisation préalable) ;30 nov. 1983,Leender Van Bennekom, aff. 227/82,Rec. 1983, p. 3883 ;R.D.S.S.1984, p. 195, note J.-M. AUBY(restrictions apportées à la libre circulation des médicaments).

6 C.J.C.E., 5 déc. 2000,Eurostock Meat Marketing ltd, aff. C-477/98,Rec. 2000, p. I-10695. Il faut d’ailleurs s’en féliciter dès lors que c’est l’État, et non les institutions communautaires, qui font aujourd’hui l’objet de recours en responsabilité pour carence à protéger la population contre les dangers liés à l’E.S.B. : C.A.A. de Paris, 24 sept. 2007,Cts Eboli, n° 04PA03858,A.J.D.A.2008, p. 63 (rejet en l’espèce, aucun élément ne permettant de croire que la contamination ait eu lieu à un mo-ment où les risques étaient connus).

7La réserve de santé publique a fréquemment été utilisée pour des motifs plus protectionnistes que sanitaires. De nombreux contentieux sont, par exemple, nés dans le domaine de la sécurité alimen-taire. Dans le cadre d’une politiqué prophylactique, il est en effet possible pour les États membres de refuser la commercialisation sur leur territoire d’un produit contenant certains additifs jugés nuisi-bles pour la santé. Cette possibilité est néanmoins interprétée restrictivement par la C.J.C.E. qui a souvent conclu à des manœuvres protectionnistes : cf.C.J.C.E., 5 févr. 1981, Officier van justitie contre Koninklijke Kaasfabriek Eyssen, aff. 53/80,Rec. 1981, p. 0409 (ajout de nisine dans du fro-mage) ; 14 juill. 1983, Sandoz, préc. (vitamines ajoutées dans des barres de céréales et autres biscuits) ; 10 déc. 1985, Motte, aff. C-344/90, Rec. p. I-04719 (colorants dans des conserves de poisson) ; 6 mai 1986, Müller-Kampfmeyer, aff. 304/84, Rec. 1986, p. 1511 (émulsifiants pour pâtisseries). Sur l’ensemble de la question, se reporter notamment à Ph. BRUNET,op. cit.; pour une synthèse de la jurisprudence,cf.M. A. DAUSES, L’interdiction des mesures d’effet équivalent,R.T.D.E.

quantitatives condamnées par l’article 30 CE1. C’est sur cette base notamment que la Cour de Justice a considéré que la France a manqué à ses obligations communautaire en maintenant l’interdiction des importations de viande bovine à partir du Royaume-Uni au-delà de la date fixée par la Commission européenne, le danger pour la santé publique n’étant, selon elle, plus suffisant pour justifier une telle mesure2.

251 De plus, de telles restrictions à la liberté d’échange ne peuvent être utilement

invoquées qu’à défaut d’une harmonisation communautaire suffisante des législations nationales3. Selon la jurisprudence constante de la Cour de Justice, en effet, «lorsque des directives communautaires prévoient l’harmonisation des mesures nécessaires à assurer la protection de la santé des animaux et des personnes et aménagent des procédures communautaires de contrôle de leur observation, le recours à l’article 30 CE cesse d’être justifié et c’est dans le cadre tracé par la directive d’harmonisation que les contrôles appropriés doivent être effectués et les mesures de protection prises»4.Cette règle revêt une importance majeure en droit communautaire de la santé. C’est en effet par ce biais que les autorités communautaires ont été à même de limiter les hypothèses d’application de la réserve de santé publique en s’engageant, dès le début des années 60, dans des

1992, n° 4 (28), p. 624-626. Pour un rappel de la prohibition de toute entrave à la circulation des produits pharmaceutiques, cf. également C.J.C.E., 11 déc. 2003, DocMorris NV, aff. C-322/01,

J.O.U.E.n° C 47 du 21 févr. 2004, p. 5 ;Europe2004, comm. 37, obs. M. PIETRI.

1Ces mesures ont été définies par la dir. n° 70/50/CEE du 22 déc. 1969 précitée et l’arrêt de la Cour de Justice,Dassonville, du 11 juillet 1974 (aff. 8/74,Rec. 1974, p. 837). Pour les juges com-munautaires, «toute réglementation commerciale d’un État membre susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est à considérer comme une mesure d’effet équivalent à des mesures quantitatives».

2 C.J.C.E., 13 déc. 2001, Commission des communautés européennes c. République française,

aff. C-1/00 ;Rec. 2001, p. I-9989 ; J.O.C.E.n° C 44 du 16 févr. 2002, p. 2 ;D. 2002, IR, 254 ;Dr. rur. 2002, p. 9 ; Gaz. Pal. du 27 juin 2002, p. 13 ; Envir. 2002, p. 23, n° 31 ; Europe févr. 2002, p. 27, n° 67 ;A.J.D.A.2002, p. 164, note T. HAMONIAUX;J.C.P.2002, II, 10127, note Ph. ICARD. Sur ce thème, v. M. Deguergue, Précaution et sécurité sanitaire à la lumière de quelques arrêts récents de la Cour de justice des Communautés européennes,R.D.S.S.2004, n° 1, p. 80-91. Dans le même sens, le Conseil d’État a annulé l’arrêté qui, sans se fonder sur des éléments scientifiques nouveaux, a suspendu la mise sur le marché d’un engrais dont la libre circulation a été autorisée par le droit communautaire : C.E., 25 oct. 2004,Soc.Francefert, n° 251930,Rec. tables p. 611 ;Contrats. Conc. Consom.mars 2005, comm. 57, note G. RAYMOND;D.A.2005, n° 22, p. 675, note E. GLASER. Cela n’empêche donc pas un membre État de prendre des mesures conservatoires lorsque la gravité du risques d’atteintes à la santé humaine ou à l’environnement l’exige, à condition d’en informer immédiatement la Commission : C.E., ord., 19 mars 2008,Assoc. gén. des producteurs de maïs et a., n° 313547, (sera mentionné aux tables duRec.Lebon),J.C.P.A 2007, act. 285, obs. M.-C. ROUAULT;

A.J.D.A.2008, p. 561, obs. M.-C.DEMONTECLER.

3C.J.C.E., 20 mai 1976, De Peijper, aff. 104/75,Rec. 1976, p. 613 ;15 déc. 1976, Simmenthal SpA, préc. ;10 déc. 1985,Motte, préc. ;6 mai 1986,Müller-Kampfmeyer, préc.

4C.J.C.E., 22 oct. 2002, National Farmers’ Union, aff. C-241/01 (point 8),J.O.C.E.n° C 305 du 7 déc. 2002, p. 08 ;D.2002, IR, 3059,Europe2002, inf. 411 ;J.C.P.2003, II, 10185, note Ph. ICARD;

Envir. 2003, inf. 9, note P. TROUILLY;R.D.rur. 2004, obs. VIALE;A.J.D.A.2003, p. 378, chron. J.-M. BELORGEY, S. GARVASONIet C. LAMBERT(partant un État membre ne peut invoquer cet article pour s’opposer à la reprise des importations de viande bovine anglaise dès lors que celles-ci s’exercent conformément aux règles posées par la Commission pour la protection de la santé publique et qui n’ont pas fait l’objet de contestation dans le délai de recours). V. également C.E., 24 nov. 2003,Soc.

National Farmers’ Union, n° 221747,Rec. p. 46 ;R.D.rur. 2004, p. 306, obs. ROCHARD;Envir. 2004, p. 28, note P. TROUILLY;Gaz. Pal.des 11-12 août 2004 ; D.A.2004, n° 53, note E.G (illégalité des décisions implicites de rejet du ministre de l’Agriculture de la demande d’abrogation des mesures françaises d’embargo contre certains produits bovins britanniques alors que la décision contraire de la commission n’a pas été contestée par l’État français dans le délai de recours et que les règles com-munautaires ont été prises pour protéger la santé publique, écartant ainsi toute possibilité pour la France d’invoquer la santé publique et le principe de précaution pour la reprise des exportations).

actions positives de santé couvrant des domaines bien plus importants que ceux initialement prévus par les traités1.

2) Le développement de législations communautaires positives de santé

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