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La diversité des régimes de limitation des libertés

b) Des pouvoirs d’intervention renforcés par une définition prétorienne extensive de la mesure individuelle de police sanitaire

A.- L A LIMITATION DES LIBERTÉS PAR L ’ ORDRE PUBLIC SANITAIRE

2) La diversité des régimes de limitation des libertés

151 Si la constitution d’une situation dangereuse pour la santé publique justifie

l’intervention de l’autorité publique, celle-ci peut prendre des formes différentes et imposer des degrés divers de contrainte. Les pouvoirs publics peuvent, tout d’abord, recourir à un régime répressif d’encadrement des libertés. Cet encadrement sera plus ou moins poussé selon les nécessités de l’ordre public et peut, dans certains cas, aller jusqu’à une interdiction pure et simple faite aux administrés de se livrer à tel ou tel comportement

ou activité jugés dangereux pour la santé publique3. Les pouvoirs publics peuvent

également faire appel à des procédés permissifs de déclaration ou d’autorisation préalables. Le droit de la santé publique accorde une place privilégiée à de tels régimes que l’on rencontre fréquemment4.

152 Le choix opéré entre ces différents systèmes d’encadrement des libertés s’avère

particulièrement important. D’une part, la nature des pouvoirs exercés par

1 C.E., Ass., 12 déc. 1953, Union nat. des assoc. familiales, n° 16.479 (et décisions du même jour

Arsac, Bellanger, Robin, Perraud, Conf. nat. des assoc. catholiques des chefs de famille),Rec. p. 545 ;

Dr. soc. 1954, p. 241, concl. C. MOSSET; S. 1954, p. 44, note G. TIXIER; D. 1954, I, p. 511, note ROSSILLION;Le concours médical1954, p. 801 et p. 3829, comm. ROLIN.Cf. également, C.E., 16 juin 1967,Ligue nat. pour la liberté des vaccinations, n° 66.840,Rec. p. 259 ;A.J.D.A. 1968, p. 166, obs. G. PEISER;J.C.P.1967, II, 15303, concl. Y. GALMOT(légalité de la disposition réglementaire subor-donnant l’entrée des enfants dans les écoles ou les crèches à leur vaccination antipoliomyélitique en dépit des atteintes portées par cette disposition à la liberté individuelle, à l’intégrité de la personne et à la liberté de l’enseignement. Si cette mesure n’a pas été prévue par la loi, il résulte des dispositions de celle-ci «que le législateur a entendu donner au gouvernement les pouvoirs les plus larges pour prendre les mesures propres tant à assurer, dans les conditions techniques les meilleures, la vaccina-tion antipoliomyélitique, qu’à faire respecter par les particuliers, dans l’intérêt de la santé publique, l’obligation de cette vaccination ») ; ― 6 oct. 2000, A.L.I.S., n° 210124, inédit.

2C’est notamment ce qu’a rappelé le juge des référés-libertés du Conseil d’État dans son ordonnance du 8 sept. 2005,Garde des Sceaux – Min. de la Justice c. M. X., préc.

3 Cf.par exemple les art. L. 226-3 et L. 234-2 C. rur., L. 2212-2 C.G.C.T., L. 1324-3 et L. 1324-4 C.S.P., etc.

l’administration varie radicalement selon le régime adopté1. D’autre part, ces régimes se situent à des niveaux différents et, notamment, ne portent pas le même degré d’atteinte à l’exercice des libertés. L’institution d’un régime répressif correspond au principe libéral selon lequel «la liberté est la règle et la restriction de police l’exception»2. La création d’un régime d’autorisation renverse cette logique en faisant de l’interdiction le principe et de la liberté l’exception : la liberté ne peut s’exercer sans qu’une intervention administrative ne l’autorise explicitement ou implicitement. Entre ces deux extrêmes, se situe le régime de la déclaration préalable qui, sans aller jusqu’à un système « d’interdiction sous réserve » comparable au procédé de l’autorisation, est susceptible de porter des atteintes graves à la liberté.

153 Le degré d’atteinte à la liberté diffère donc selon le régime choisi. Par conséquent,

ce choix échappe normalement à la libre appréciation de l’administration qui ne peut de

son propre chef supprimer a priori l’exercice d’une liberté. Les autorités de police

générale ne peuvent donc pas recourir aux techniques de déclaration3ou d’autorisation4, ni édicter d’interdiction générale et absolue5. La police sanitaire ne déroge pas à cette interdiction qui a donné lieu à une jurisprudence fournie6. Le principe rappelé à l’article 1 Cf. C.E., 15 juill. 1959, Ville de Lille, n° 42.597, Rec. p. 446 (un texte accordant un pouvoir d’autorisation à un maire ne l’habilite pas d’un pouvoir de réglementation). Cf. également sur la distinction entre récépissé de déclaration et autorisation et ses conséquences : T.A. de Marseille, 10 juill. 1959,Sieur Bourquin, préc.

2L. CORNEILLE, concl. sur C.E., 10 août 1917,Baldy,Rec.p. 640.

3C.E., 13 mai 1927,Carrier et a.,D.1928, 3, p. 9, note J.-J. CHEVALLIER.

4 C.E., Ass., 22 juin 1951, Sieur Daudignac, préc. Pour une application plus récente,cf. C.E., 14 mars 2001,Soc. Rouge Petrus le Media Taxi, n° 196199 et n° 196203, inédit.

5 À titre d’exemple : C.E., 6 août 1910, Perchat-Hadot et a., nos 30.007 et 31.681, Rec. p. 709 ;

― Sect., 27 mars 1936, Assoc. cultuelle israélite de Valenciennes, préc. ;10 févr. 1937,Soc. Valrose, Lecoublet, Delmas, n° 43.371,Rec. p. 174 ; ― 1erdéc. 1937, Sieur Benoit,n° 58.312, Rec.p. 982 ;

― 23 mars 1938, Grands magasins économiques c. maire de Mur, n° 52.753,Rec. p. 296 ; ― 17 oct.

1952,Synd. climatique de Briançon, sieur Dominique et a., préc. ; ― 20 janv. 1965, Min. de l’Intérieur c. dame Vve Vicini, n° 62.214, Rec. p. 41 ; ― 14 mars 1979, Auclair, n° 04.631,Rec. p. 112 ;J.C.P.

1980, II, 19452, note KERNINON ; ― 2 déc. 1983, Ville de Lille c. Ackermann et a., préc. V. également : Cass. crim., 2 févr. 1955,Bouget,D.1955, p. 275 ou encore T.A. de Strasbourg, 21 avr. 1984,Comm. de la République de la Moselle,Rec. tables p. 690.

6Est donc entachée d’excès de pouvoir, toute mesure qui, bien que motivée par des considérations de santé publique, a pour objet ou pour effet d’assujettir l’exercice d’une liberté à une autorisation préalablement délivrée par l’administration. Cette illégalité de principe touche bien sûr les mesures réglementaires, d’autant plus que, dans ce cas, ce procédé est «de nature à créer des risques de trai-tement inégal des intéressés» (R. CHAPUS,Droit administratif général,op. cit., t. 1, n° 930, p. 712).Cf., entre autres, Cass. crim, 19 févr. 1876,D. 1877, I, p. 45 ; ― 24 juin 1887, Guillaume-Marie Bostcazo,

Bull. crim. .n° 240, p. 377 ; C.E., 13 mai 1898,Sieur Gay, préc. ; ― 20 mai 1904, Sieur Lamarthonie, n° 8.441,Rec. p. 408 ; ― 10 mars 1905, Sieur Chavrier, n° 12.390,Rec. p. 240 ; ― 8 déc. 1905, Sieur Raveau c. Maire du Havre, n° 18.534, Rec. p. 912 ; ― 11 mai 1928, Maire de Saint-Nicolas du Port,

préc. ; ― 10 mars 1937, Dame Vve Piron, préc. ; ― 17 juin 1953, Ville de Briançon, préc. ; ― Sect., 14

févr. 1958,Sieur Abisset, préc. ; T.A. de Clermont-Ferrand, 1erjuill. 1960,Dame Geneix,Rec. p. 800 ; C.E., 26 juill. 1985,Soc. Glace service, n° 51.083,Rec. p. 236 ; D.A. 1985, n° 495. Elle concerne également les mesures individuelles bien que le cas soit plus rare : C.E., 2 avr. 1898, Sieur de Chauvelin, préc. (Les pouvoirs de police générale du maire «ne lui permettent pas, pour prévenir les dangers d’une épidémie, d’interdire à un propriétaire de faire sortir de ses étables aucun animal de l’espèce bovine et d’expédier aucune bête sans une autorisation spéciale de la municipalité accordée à la suite d’un rapport du vétérinaire»). Au demeurant, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que si un tel régime a été institué et qu’une activité soumise à autorisation s’est exercée sans l’avoir reçue, les tribunaux répressifs doivent refuser de prononcer la sanction pénale de cette infraction qui n’est pas juridiquement constituée (21 déc. 1961, Dame Le Roux, J.C.P. 1962, II, 12680, obs. J. LARMAQUE). Le juge nie par ailleurs tout caractère décisoire aux agréments sanitaires délivrés par l’administration sans habilitation préalable :cf. C.E., 26 oct. 1994,Bruguier, n° 127944,

34 de notre Constitution veut que seul le législateur soit habilité à définir un régime de déclaration ou d’autorisation préalables ou à édicter une interdiction générale supprimant l’exercice de la liberté.

154 Or il semble bien que le choix opéré par le législateur entre tel ou tel régime

d’encadrement des libertés ne dépende pas directement de ses conséquences sur la ou les libertés concernées, mais de la gravité du trouble ou de la menace de trouble qu’il s’agit de prévenir, celle-ci étant elle-même appréciée au regard de la gravité des conséquences de sa réalisation. La question n’est donc pas tant de savoir quel est le degré d’atteinte que peut supporter une liberté, que de connaître le degré de surveillance et d’encadrement nécessaire pour que la santé publique soit efficacement protégée. L’édiction d’une interdiction générale et absolue touche ainsi toutes les activités jugées absolument néfastes pour la société. Les procédés de la déclaration ou de l’autorisation sont quant à eux employés pour les activités qui, bien que socialement utiles, exigent un contrôle étroit des autorités publiques. La déclaration simple est utilisée pour l’exercice d’activités que l’administration veut surveiller d’assez loin ; la déclaration suivie d’interdiction intéresse celles pour lesquelles s’impose une surveillance renforcée ; l’autorisation, enfin, est employée lorsqu’un contrôle strict de l’activité est nécessaire à la sécurité collective. C’est donc la gravité du risque présenté par une activité qui décide du régime d’encadrement des libertés : plus l’activité est dangereuse, plus elle est surveillée et plus grande est l’atteinte portée à la liberté.

Cette idée est parfois explicitement mise en avant par la loi. C’est le cas, par exemple, de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement dont l’article 2, qui concerne la nomenclature fixée par décret en

Conseil d’État, indique que le «décret soumet les installations à autorisation ou à

déclaration suivant la gravité des dangers ou des inconvénients que peut présenter leur exploitation»1. Elle est en outre confirmée par les inflexions apportées par le juge au principe de l’habilitation législative. Il existe en effet deux hypothèses dans lesquelles la police générale peut légalement instituer un régime d’autorisation ou édicter une interdiction générale et absolue. La première, qui nous intéresse peu ici, concerne les cas où l’exercice de l’activité en cause suppose une occupation privative du domaine public. La seconde est, en revanche, beaucoup plus significative. Elle englobe tous les cas où l’ordre public risque d’être gravement compromis et pour lesquels le maintien des règles

guidant normalement l’exercice de la police générale conduirait à paralyser

Rec. tables p. 1160 (un agrément sanitaire délivré sans base légale n’est pas une décision susceptible de recours puisqu’elle se borne à constater une situation de fait).

1L. n° 76-663 du 19 juill. 1976, préc. L’art. 3 poursuit en précisant que «sont soumises à autorisa-tion préfectorale les installaautorisa-tions qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l’art. 1er», la déclaration suffisant pour celles «qui, ne présentant pas de tels dangers ou in-convénients, doivent néanmoins respecter les prescriptions générales édictées par le préfet en vue d’assurer dans le département la protection des intérêts visés à l’art. 1er». Cf.aujourd’hui les art. L. 512-1 et L. 512-8 C. envir.

l’administration face à une situation particulièrement dangereuse. La suppression d’une liberté est donc légale dès lors qu’elle est «essentielle au maintien de la santé publique»1 ou lorsque «les nécessités de l’ordre public» l’exigent2. Une telle mesure est justifiée en cas de circonstances exceptionnelles3, par exemple un cas d’épidémie grave exigeant une

mesure d’urgence4. Certaines « circonstances particulières », qui correspondent

généralement aux cas où la réalisation du trouble est quasi certaine si ne sont pas prises des mesures radicales, peuvent également conduire à la suppression d’une liberté soit par l’édiction d’une interdiction5, soit par la définition d’un régime d’autorisation6.

Par-delà la diversité des régimes de limitation des libertés, il faut donc rechercher l’unité du droit de l’ordre public sanitaire dans le principe de nécessité qui décide du régime adéquat d’encadrement des libertés. En ce sens, l’ordre public sanitaire est également protecteur des libertés.

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