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La salubrité publique, élément traditionnel de l’ordre public

LA SANTÉ PUBLIQUE, COMPOSANTE DE L’ORDRE PUBLIC

L A PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE , CONDITION DU MAINTIEN DE L ’ORDRE PUBLIC

A.- U NE PERSPECTIVE ÉLARGIE DES EXIGENCES SANITAIRES DE L ’ ORDRE PUBLIC

1) La salubrité publique, élément traditionnel de l’ordre public

71 La salubrité publique appartient au triptyque fondateur de l’ordre public défini par

l’article 97 de la loi du 5 avril 1884. Elle correspond à une exigence ancienne imposée par les textes aux autorités locales. Déjà, reprenant les schémas du droit de l’Ancien Régime, l’article 50 du décret du 14 décembre 1789 conférait aux corps municipaux la tâche «de faire jouir les habitants des avantages d’une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité des rues, lieux et édifices publics». L’article 3, titre XI, de la loi des 16-24 août 1790 inclût également la salubrité des lieux publics parmi les objets de police confiés «à la vigilance des corps municipaux» en l’associant à la «sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places, voies publiques, ce qui comprend notamment l’interdiction de rien jeter qui puisse causer des exhalaisons

1Il s’agissait d’une part, des «précautions à prendre en exécution de l’art. 97 de la loi du 5 avril 1884, pour prévenir ou faire cesser les maladies transmissibles, spécialement les mesures de désinfection ou même de destruction des objets à l’usage des malades ou qui ont été souillés par eux et généralement des objets quelconques pouvant servir de véhicule à la contagion», et d’autre part, des «prescriptions destinées à assurer la salubrité des maisons et de leurs dépendances, des voies privées, closes ou non à leur extrémité, des logements loués en garni et des autres agglomérations, quelle qu’en soit la nature, notamment les prescriptions relatives en alimentation en eau potable, ou à l’évacuation des matières usées».

nuisibles». Les municipalités étaient encore chargées de «l’inspection sur la salubrité des comestibles vendus sur la voie publique» et du «soin de prévenir par des précautions convenables et celui de faire cesser par la distribution des secours nécessaires, les accidents et fléaux calamiteux, tels que […] les épidémies».

72 La police de la salubrité publique fut ensuite élargie par la loi du 5 avril 1884 qui,

en maintenant les éléments déterminés par les textes révolutionnaires, supprima toute référence aux lieux publics. Aujourd’hui codifié à l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales1, le contenu de la salubrité a connu, comme les autres éléments de l’ordre public, une remarquable stabilité et n’a guère fait l’objet de modifications substantielles depuis le début du XIXesiècle, si ce n’est par le développement des intérêts relatifs à la lutte «contre les pollutions de toutes natures»2 et la réinsertion par la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 d’une mention relative à la propretés des rues3. Cette permanence est toutefois superficielle et n’a pas empêché un approfondissement progressif des impératifs de la salubrité publique.

En effet, au-delà de l’énumération légale de ses objets, la notion de salubrité publique, dérivée du standard d’ordre public, traduit avant tout la nécessité de prévenir ou de faire cesser les risques sanitaires préjudiciables au bon ordre. La salubrité est donc un domaine d’intervention de la police générale, mais aussi une norme sociale dont la formulation est suffisamment large et imprécise pour que l’administration puisse adapter son action aux circonstances de fait, de temps et de lieu4. Dès lors, si sa définition matérielle a en apparence peu varié, ses exigences se sont malgré tout enrichies en même temps que progressaient les besoins de santé et qu’évoluait le contexte économique, social et politique5.

73 La salubrité, «caractère de ce qui est favorable à la santé des hommes»6, est

entendue, depuis le XIXesiècle, comme «l’état d’un milieu favorable à la santé»7et, par

analogie, comme «l’ensemble des mesures nécessaires pour obtenir et préserver cet

1Art. L. 2212-2 C.G.C.T. : «La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécu-rité et la salubsécu-rité publiques». Sur le contenu donné par ce texte à la salubrité publique,supran° 1.

2 L. n° 83-8 du 7 janv. 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État,J.O.du 9 janv., p. 215. Le Conseil d’État tend toutefois à ratta-cher cette catégorie nouvelle à la sécurité publique et non à la salubrité publique, ce qui prouve encore une fois la fragilité de la frontière qui sépare ces deux impératifs. Cf. C.E., 30 juill. 1997,

Assoc. « Nos enfants et leur sécurité », n° 150740, inédit.

3Art. 49 de la L. n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, préc.

4Cf.en ce sens, D. BOURCIER,Analyse des standards de la police municipale. Approche décisionnelle, Th., Dr., Paris I, sous la dir. de G. DUPUIS, 1988, dactyl., p. 108.

5 Cf.D. MAILLARDDEGRÉES DULOÛ,Police générale, polices spéciales,op. cit., t. 1, p. 192. V. égale-ment du même auteur : « L’interdiction de fumer dans les lieux publics entre-t-elle dans le pouvoir de police générale du Premier ministre ? », comm. sous C.E., 19 mars 2007, Mme Le Gac et a., n° 300467,J.C.P. A 2007, n° 2225, p. 36.

6 A. REY (dir.),Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1992, vol. 2, p. 1444, verbo : « Salubrité ».

7Ibid.Ce sens nouveau apparaît en 1835 et correspond à l’enracinement du courant hygiéniste qui se développe à compter de la seconde moitié du XIXesiècle.

état». L’adjectif « publique » qui lui est accolé permet de désigner «les soins que l’administration prend de la santé publique»1, ce qui suggère, notamment, la traduction sur le terrain du droit d’impératifs dégagés sur le plan de l’hygiène. La notion juridique de salubrité publique embrasse ainsi, comme le soulignait M. MORGAND, «tout ce qui a trait à l’hygiène et à la santé publiques»2. Les notions de « salubrité publique » et de « santé publique » sont donc très largement complémentaires. Le législateur et le juge administratif utilisent d’ailleurs ces expressions, auxquelles est parfois adjointe ou

substituée celle d’« hygiène publique »3, sinon comme des synonymes, au moins comme

des formules équivalentes et interchangeables4.

74 Malgré cette proximité sémantique, les deux locutions renvoient toutefois à des

notions fondamentalement différentes qu’il est utile de distinguer5. Dans cette

perspective, il faut entendre la santé publique comme un objectif d’intérêt général désignant un état, une situation sociale à atteindre ou à approcher. La salubrité publique caractérise, quant à elle, les conditions favorables à la sauvegarde ou à la production de cet état par l’application des règles d’hygiène publique. La salubrité publique n’est donc pas une fin en soi, mais un moyen d’atteindre l’élément d’ordre public visé : la protection de la santé publique6. Elle désigne l’ensemble des mesures édictées pour lutter contre les

1Ibid.L’expression « salubrité publique » apparaît dans leLittréen 1870.

2L. MORGAND,La loi municipale. Commentaire de la loi du 5 avril 1884 sur l’organisation et les attri-butions des conseils municipaux, Paris, Librairie administrative Berger-Levrault, 1923, t. 2, n° 1010, p. 869. Pour M. BERNARD, la police de la salubrité publique a «pour objet l’hygiène publique ou la sauvegarde de la santé publique au sens le plus large du terme» (La notion d’ordre public en droit ad-ministratif,op. cit., p. 21).

3C.E., 16 févr. 1912,De Montlivault, n° 40.200,Rec. p. 220 ; – 7 juin 1939,Min. du Commerce c. Soc. Wabrand, n° 58.614,Rec. p. 378.

4Cf.notamment la loi du 15 févr. 1902 relative à la protection de la santé publique, préc. De même, l’art. 1erde la L. n° 76-663 du 19 juill. 1976 (J.O.du 20 juill. 1976, p. 4320), reprenant le texte issu de la L. du 19 déc. 1917 relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes (J.O.du 21 déc., p. 10443), allie étroitement les impératifs de la santé publique à ceux de la salubrité publi-que (art. L. 511-1 C. envir). Pour l’utilisation de l’expression « santé publipubli-que » dans le cadre de la police municipale :cf.par exemple, C.E., 7 déc. 1900,Sieurs Dubois et Gros, n° 94.095,Rec.p. 733 ; – 7 juin 1912,Cne de Levroux, n° 39.154, Rec. p. 640 ; 18 févr. 1931, Sieur Périgaud, n° 95.384,

Rec.p. 183 ;2 nov. 1939,Sieur Grosdenier, n° 64.067,Rec. p. 549 ; 23 janv. 1946,Dame veuve Bugeat, n° 75.213,Rec.p. 23 ;26 juill. 1947,Dame veuve Jouvion, n° 74.060,Rec.tables p. 707 ;

17 juin 1953,Ville de Briançon, n° 99.752,Rec.p. 291 ;Sect., 2 nov. 1956,Soc. coopérative lai-tière de Hermes, nos 19.455 et 19.890, Rec. p. 402 ;A.J.D.A. 1956, p. 491, chron. J. FOURNIERet G. BRAIBANT.Cf.également, C.E., avis, 8 nov. 1988,E.D.C.E.1989, n° 40, p. 294 (également publié en annexe II à la circ. du 14 juin 1989 relative aux règles d’hygiène,J.O.du 26 juill., p. 9334). Même confusion s’agissant de la police générale nationale : C.E., 10 déc. 1962,Synd. nat. des vétérinaires et Sieur Quentin, nos53.188 et 53.261,Rec.p. 672 ;19 mars 2007,Mme Le Gac et a., n° 300467,

Rec. p. 124 ;J.C.P. A 2007, n° 2225, comm. D. MAILLARDDEGRÉES DULOÛ;R.F.D.A.2007, p. 770, concl. L. DEREPAS.

5 Cf.en ce sens, J. MOREAU, La police de la salubrité publique, Encyclopédie Dalloz, Collectivités locales, t. 3, fasc. 2700, p. 1-2.

6M. LIVETdéfinit ainsi la salubrité publique comme «le maintien de l’hygiène, base de la santé publi-que» (L’autorisation administrative préalable et les libertés publiques, Th. Dr., Paris, L.G.D.J., 1974, coll. Bibl. de Dr. Pub., t. CXVII, Préface de J. RIVERO, p. 40). Cette distinction entre le moyen (mesure de salubrité publique) et la fin (intérêt de la santé publique) apparaît parfois explicitement dans les arrêts du Conseil d’État.Cf., par exemple, C.E., 7 déc. 1900, Sieurs Dubois et Gros, préc. (Le maire peut prescrire, «dans l’intérêt de la santé publique», des mesures générales de salubrité publique) ;

troubles sanitaires matériels et extérieurs, c’est-à-dire les nuisances qui menacent la santé physique de la population.

75 Cette distinction est importante puisqu’elle permet de préciser l’objet de

l’intervention de la puissance publique. La salubrité publique ne couvre pas la totalité des actions destinées à la lutte contre les risques sanitaires. Elle n’a pour objet que de combattre les sources d’infection et les facteurs de contamination extérieurs à l’homme et ne vise que le cadre et les conditions sanitaires de vie de la population. La police de la salubrité publique intéresse d’abord le milieu environnant, c’est-à-dire le milieu naturel et le milieu sociétal, ce qui comprend en particulier la salubrité des villes et agglomérations, l’hygiène et la salubrité des logements, des lieux de travail, des lieux de soins, etc. Elle concerne ensuite toutes les activités et produits destinés à l’homme dont les déficiences en matière d’hygiène peuvent engendrer des risques pour la santé publique. Il s’agit donc de désinfecter ou au besoin de détruire les objets et les lieux contaminés et/ou de prévenir leur contamination par l’édiction d’un certain nombre de normes d’hygiène et de salubrité concernant les aliments, l’eau potable, les produits d’usage courant, mais aussi les produits pharmaceutiques, les dispositifs médicaux et, d’une manière générale, tous les actes de soins dont l’innocuité doit être garantie. La police de la salubrité publique n’a, en revanche, pas vocation à veiller sur la santé mentale ou morale des personnes, à leur imposer un comportement sanitaire déterminé, ni à pénétrer le domicile privé en dehors des cas où le comportement des particuliers crée un risque pour autrui. La salubrité publique est donca prioridégagée de toute prétention interventionniste : si elle recouvre une idée constante de santé, cette dernière n’est pas à produire ou à organiser, mais à défendre et à conserver dans les limites imposées par le respect des libertés publiques1.

La police de la salubrité ne constitue donc qu’une modalité particulière de la protection de la santé. Elle ne suffit pas, en dépit de sa généralité, à rendre compte de l’ensemble des dispositifs de prévention sanitaire.

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