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L’ordre public, source de légalité

L’ORDRE PUBLIC SANITAIRE, SOURCE D’UN « DROIT DE LA NÉCESSITÉ SANITAIRE »

L’ APPLICATION D ’ UN RÉGIME DÉROGATOIRE DE PUISSANCE PUBLIQUE

A.- U N MÉCANISME D ’ ÉVICTION DE LA RÈGLE NORMALE DE DROIT

2) L’ordre public, source de légalité

129 La notion d’ordre public sanitaire, comme celle d’ordre public, est une notion

éminemment et strictement juridique. Comme telle, elle est nécessairement soumise à la légalité à laquelle elle ne peut échapper4. De la sorte, si des exceptions aux règles normales de droit peuvent être justifiées par l’ordre public, ces dérogations ne sont pas assimilables à des exceptions à l’application du droit. En effet, ces dérogations ne peuvent et ne doivent jamais intervenir que dans les hypothèses, et dans la mesure où, elles s’imposent nécessairement pour le maintien du bon ordre5. Elles trouvent leur fondement

p. 1048, concl. D. CASAS;C.J.E.G. 2006, p. 430, concl. ;B.J.C.P. 2006, n° 47, p. 295, concl. et obs. R.S. ; A.J.D.A. 2006, p. 1592, chron. C. LANDAIS et F. LENICA; D.A. août-sept. 2006, p. 21, note M. BAZEX; Gaz. Pal. nov.-déc. 2006, J., p. 3962, note V. RENAUDIE; J.C.P. 2006, I, 170, chron. B. PLESSIX.

1Cf.infran° 284.

2J.-L. PISSALOUX, Réflexions sur les moyens d’ordre public dans la procédure administrative conten-tieuse,R.D.P.1999, n° 3, p. 786.

3 Nous reprenons ici, en l’adaptant à notre propos, la formule de M. PICARDqui distingue l’ordre public de l’intérêt général à travers cette approche fonctionnelle : «Dès qu’un impératif éminent est valablement invoqué pour justifier une restriction à un droit ou à une liberté, il faut considérer qu’il relève, par cette fonction même, de l’ordre public, que cette notion soit ou non expressément utilisée en tant que telle» (L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public,op. cit., p. 65).

4Sur ce point,cf. P. BERNARD,La notion d’ordre public en droit administratif,op. cit., p. 138 s. ; J.-L. COSTA,Liberté, ordre public et justice en France,op. cit., p. 168 et É. PICARD,La notion de police admi-nistrative,op. cit., t. 2, p. 558 s.

5 Comme l’a souligné M. BERNARD, «les pouvoirs exorbitants conférés au nom de l’ordre public s’inscrivent dans la‟catégorie du nécessaire”, qui constitue un des principes généraux du droit,

corres-dans une norme juridique, l’ordre public, qui en déterminant leur nécessité décide également de leur légalité. L’ordre public revêt donc un aspect normatif : la notion est elle-même une source particulière de légalité dont les exigences se substituent aux règles juridiques de droit commun, même si elles ne s’en distinguent pas toujours d’un point de vue formel1.

130 Cette affirmation peut rapidement être illustrée par les règles qui gouvernent

l’abrogation des mesures de police administrative. Une mesure de police administrative ne pouvant être considérée comme légale que si elle est justifiée par une nécessité établie d’ordre public, la jurisprudence a en effet soumis l’administration à l’obligation d’abroger celles de ses mesures qui ne répondraient pas ou ne répondraient plus aux impératifs de l’ordre public. Conformément au régime général de l’abrogation2, l’administration est tenue de faire droit à la demande de tout intéressé tendant à l’abrogation d’un règlement de police illégal, que ce règlement soit illégalab initio3 ou qu’il le soit devenu à la suite d’un changement dans les circonstances de droit4 ou de fait5. Ainsi, la disparition d’une menace pesant sur l’ordre public oblige l’administration à abroger la réglementation

pondant aux exigences de la vie en société» (La notion d’ordre public en droit administratif,op. cit., p. 210).

1Cf. en ce sens, P. BERNARD,ibid., p. 237 et J.-L. COSTA,Liberté, ordre public et justice en France,op.

cit., p. 168-169.

2Tel qu’il résulte de l’art. 16-1 de la L. n° 2000-321 du 12 avr. 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration (J.O. du 13 avr., p. 5646) modifiée par l’art. 1 de la L. n° 2007-1787 du 20 déc. 2007 relative à la simplification du droit (J.O.du 21 déc., p. 20639) selon lequel «l’autorité administrative est tenue, d’office ou à la demande d’une personne intéressée, d’abroger expressément tout règlement illégal ou sans objet, que cette situation existe depuis la publi-cation du règlement ou qu’elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date». Ce texte, assez controversé (v. É. BLANCet B. SEILLER,A.J.D.A.2008, n° 8, p. 399 et p. 402) reprend le principe dégagé par le Conseil d’État dans son arrêt d’Assemblée du 3 févr. 1989, Cie Alitalia

(n° 74052,Rec. p. 44 ;G.A.J.A.n° 94 ;R.F.D.A.1989, p. 391, note CHADID-NOURAI, notes O. BEAUDet L. DUBOUIS;A.J.D.A.1989, p. 387, note FOUQUET;R.T.D.E.1989, p. 509, note VERGÈS) qui a érigé en principe général du droit l’obligation faite à l’administration par l’art. 3 du décret du 28 novembre 1983 de répondre favorablement aux demandes d’abrogation des règlements illégaux. Il ne paraît pas utile ici de s’appesantir sur la jurisprudence très nuancée antérieure à l’arrêtAlitalia.Remarquons toutefois que le régime de l’abrogation des règlements de police a suivi ces diverses évolutions juris-prudentielles. V. par exemple, C.E., 25 janv. 1933,Abbé Coiffier(n° 27.065, Rec. p. 100) qui, en fai-sant application de l’arrêt de Section, Despujol, du 10 janv. 1930 (nos 97.263 et 05.822, Rec. p. 29 (note) ;G.A.J.A.n° 43 ;D.1930, p. 16, note P.-L. J. ;S.1930, p. 41, note R. ALIBERT), revient sur une solution précédente laissant à l’administration la faculté d’abroger ou non le règlement devenu illégal à la suite d’un changement intervenu dans les circonstances de fait ou de droit (cf. C.E., 13 mars 1914, Tenand, Le Courtois et Auvray (3 esp.), nos 39.853 et 45.645, n° 46.562 et n° 47.422, Rec. p. 339, p. 340 et p. 342).Cf.également C.E., 25 oct. 1985,M. Didier Tabel, n° 57.187, Rec. tables p. 466 ;R.F.D.A. 1986, p. 601 sur l’obligation de retrait incombant à l’auteur d’un règlement non définitif, illégalab initio.

3Cf. par exemple, C.E., 15 mars 1996,Cne de Busy, n° 113884,Rec. p. 81 ; C.A.A. de Bordeaux, 16 nov. 1998,Cne de Marmande, n° 96BX01439, inédit ; ― de Marseille, 5 mai 1998, Cne de Vauvenar-gues, nos96MA02069 et 96MA02068, inédit. V. également C.E., 3 sept. 2007,Déchelotte, n° 293283,

J.C.P.2007, act. 410 ;J.C.P.A 2007, act. 840, obs. M.-C. ROUAULTet n° 2302, concl. R. KELLER.

4Cf. par exemple, C.E., Ass., 20 déc. 1995, Mme Vedel et M. Jannot, nos 132183 et 142913,Rec. p. 440 ;A.J.D.A. 1996, p. 124, chron. J.-H. STAHL et D. CHAUVAUX;C.J.E.G. 1996, p. 215, concl. J.-M. DELARUE; Petites affiches 1996, n° 90, p. 25, note F. ROUVILLOIS; R.F.D.A. 1996, p. 313, concl. ;E.D.C.E. 1996, n° 47, p. 360. Étant entendu que la modification de la législation ou de la réglementation en vigueur n’emporte pas nécessairement l’illégalité de la mesure antérieure dès lors qu’elle ne crée pas d’incompatibilité : C.E., 29 juill. 1998,Cté des interprofessions des vins et eaux de vie à A.O.C., préc.

5 Cf. par exemple, C.E., 25 janv. 1933, Abbé Coiffier, préc. et 5 nov. 1943, Sieur Leneveu, n° 66.516,Rec. p. 243.

qu’elle avait édictée pour prévenir ou faire cesser cette menace. Cette obligation s’étend par ailleurs à la plupart des décisions non réglementaires de police1. En particulier, l’autorité de police administrative est tenue d’abroger ses autorisations dans tous les cas où un changement intervenu dans les circonstances de droit ou de fait les rend illégales2, notamment lorsque les conditions auxquelles elles ont été accordées ne sont plus remplies3.

L’absence d’une nécessité d’ordre public oblige donc l’administration saisie d’une demande en ce sens à abroger les mesures illégales édictées sur son fondement. Cette obligation est encore renforcée lorsque la mesure est intervenue en méconnaissance des exigences de l’ordre public. L’auteur d’une décision non réglementaire de police illégalement édictée se trouve en effet dans l’obligation de la rapporter4, y compris s’il n’est pas saisi d’une demande en ce sens5. Sur ce point, le régime appliqué se distingue des règles du droit commun qui ne reconnaît la compétence liée de l’administration pour l’abrogation des décisions non réglementaires non créatrices de droits édictées illégalement que dans l’hypothèse où elle est saisie d’une demande en ce sens dans le délai du recours contentieux6. Il s’agit donc là d’un cas rare d’obligation d’abrogation spontanée qui s’explique par le particularisme d’une telle situation, la mesure étant non seulement illégale, mais aussi constitutive d’une situation irrégulière susceptible de faire naître un trouble à l’ordre public.

1Sur l’extension du principe de l’arrêtDespujolaux décisions non réglementaires non créatrices de droits devenues illégales : C.E., Sect., 30 nov. 1990, Assoc. « Les Verts », n° 103889, Rec. p. 339 ;

R.F.D.A.1991, p. 571, concl. M. POCHARD;A.J.D.A.1991, p. 114, obs. E. HONORATet R. SCHWARTZ.

2C.E., Sect., 18 nov. 1938,Soc. languedocienne de T.S.F., n° 59.492,Rec. p. 864.

3Le retard pris par l’administration à prononcer cette mesure peut, par ailleurs, engager sa respon-sabilité : C.E., 16 juin 1976,Méric, n° 97457 ;R.D.P.1977, p. 233.

4C.E., Sect., 17 juill. 1953,Sieur Constantin, n° 18.244,Rec. p. 381 ;A.J.D.A.1956, II, p. 134, obs.

H.G. ; ― Sect., 15 févr. 1963, Min. de l’Éducation nat. c. Assoc. « Les amis de Chiberta, Chambre d’Amour, Cinq cantons et Fontaine Laborde », n° 49.806, Rec. p. 92 (illégalité du refus implicite du préfet opposé à une demande tendant au retrait d’autorisations de camping intervenues en violation

de la réglementation en vigueur) ; ― 17 avr. 1963, Sieur Blois, n° 56.746,Rec. p. 223 ;J.C.P.1963, II, 13227, obs. E.-P. LUCE; A.J.D.A. 1963, p. 486, obs. J. DUFAU (légalité de la décision d’un maire mettant fin à l’autorisation qu’il avait préalablement accordée au Sieur Blois d’inhumer son chien dans le cimetière communal, «ledit maire ét[ant] légalement tenu de faire cesser la situation irrégulière créée par l’autorisation ainsi illégalement accordée, sans que, s’agissant d’une mesure de police, le requérant puisse exciper d’aucun droit au maintien de l’autorisation»).

5C.E, 2 févr. 1957,Sieur Dupé, n° 34.451,Rec. p. 77 ; ― Sect., 17 mai 1957, Sieur Boyer, n° 19.116,

Rec. p. 320 ; Sect., 17 juill. 1953,Sieur Constantin, préc. ; ― 29 nov. 1961, Ville d’Agen, n° 51.803,

Rec. p. 668 ; ― 17 avr. 1963, Sieur Blois, préc.; ― 29 avr. 1963, Dame Rapin, n° 55.753,Rec. tables p. 833 ;Bull. dr. adm. mai 1963, n° 161 ;A.J.D.A. 1963, p. 343, chron. Y. GENTOTet J. FOURRÉ;

― 11 juin 1982, M. Plottet, n° 25.839,Rec. p. 217 (à propos du retrait d’un certificat de conformité de travaux non définitif en raison de la surélévation d’un mètre des rives de la toiture par rapport au plan annexé au permis de construire. «Cette différence, dont la portée n’était pas négligeable, faisait obligation à l’administration saisie d’un recours gracieux, de rapporter le certificat de conformité»).

6 Quoique l’on peut s’attendre à ce que le Conseil d’État reprenne le principe défini par l’arrêt

M. Ternon du 26 oct. 2001 pour étendre ce délai à quatre mois (n° 197018, Rec. p. 497, concl. F. SÉNERS; R.F.D.A. 2002, p. 77, concl. et p. 88, P. DELVOLVÉ; A.J.D.A. 2001, p. 1034, chron. M. GUYOMARet P. COLLIN;Petites affiches2002, n° 31, p. 7, note F. CHALTIEL;B.J.D.U.2001, p. 353, obs. J.-C. BONICHOT;Rev. gén. coll. territ.2001, p. 1183, note A. LAQUIÈZE;A.J.D.A.2002, p. 738, étude Y. GAUDEMET).

En revanche, la nécessité du maintien de l’ordre public empêche l’administration de rapporter les mesures qui sont destinées à le protéger1. Au même titre que la loi2, l’ordre public conduit ainsi à supprimer la faculté offerte à l’administration de modifier ou d’abroger ses règlements à toute époque ou de les retirer s’ils n’ont pas reçu

d’application effective3. Par exemple, un maire ne peut, sans «[méconnaître] les

nécessités de l’ordre public et [prendre], en conséquence, une décision entachée d’excès de pouvoir», mettre fin à une réglementation de police alors que la situation rend nécessaire son maintien4.

131 L’ordre public joue donc un rôle modificateur au sein de l’ordonnancement

juridique, mais les exceptions au droit normalement applicable qu’il autorise ne doivent jamais intervenir que dans les hypothèses où elles sont nécessaires à son maintien. S’il emporte des effets perturbateurs et se place dans le cadre d’une «légalité élargie»5, l’ordre public doit, dans cette perspective, être également considéré comme une notion protectrice du droit puisqu’il donne à ses règles et à ses principes la souplesse nécessaire à leur adaptation aux circonstances concrètes de la vie en société, adaptation sans laquelle aucune fonction sociale ne pourrait être exercée durablement6.

B.- L’

APPLICATION D

UN RÉGIME PARTICULIÈREMENT DENSE DE PUISSANCE

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