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Une fonction primaire de défense sanitaire de la collectivité

LA SANTÉ PUBLIQUE, COMPOSANTE DE L’ORDRE PUBLIC

L A PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE , CONDITION DU MAINTIEN DE L ’ORDRE PUBLIC

B.- L E DYNAMISME DE L ’ ORDRE PUBLIC SANITAIRE

1) Une fonction primaire de défense sanitaire de la collectivité

80 «La notion d’ordre public traduit d’abord une réaction de défense de la collectivité». Elle est, écrit M. BERNARD, «la manifestation d’une sorte d’instinct de conservation de l’être social»3 qui correspond à la vocation première de l’État-veilleur de nuit4. L’ordre public est ici réduit au minimum puisqu’il n’a pour fonction que de préserver les acquis et d’assurer la défense de la société contre les dangers les plus destructeurs, sans exprimer de progression ou d’amélioration. Il repose donc pour l’essentiel sur des mécanismes répressifs d’encadrement des libertés destinés, en matière de santé publique, à prévenir les dangers que des négligences ou des imprudences particulières font courir à la santé d’autrui. Il s’agit d’une part, pour le législateur, de définir un certain nombre d’obligations de prudence – qui sont en fait le plus souvent des interdictions de se livrer à tel ou tel comportement – dont la méconnaissance est civilement5 et/ou pénalement6 sanctionnée. Il s’agit d’autre part, pour l’administration, 1J.-F. ROMAIN, L’ordre public (notion générale) et les droits de l’homme, inL’Ordre public. Concept et application, Conférences du Centre de Droit privé et de droit économique de l’Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Bruylant, 1995, coll. de la Faculté de Droit, vol. III. n° 14, p. 33.

2 En ce sens, v. notamment É. PICARD, L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public,op. cit., p. 57.

3P. BERNARD,La notion d’ordre public en droit administratif,op. cit., p. 278.

4Cf. R.-E. CHARLIER, Les fins du Droit public moderne,R.D.P.1947, p. 127-162.

5De nombreuses sanctions administratives répriment les infractions commises aux textes sanitai-res. La troisième chambre civile de la Cour de cassation considère pour sa part que l’inobservation des règles générales de salubrité publique peut constituer un motif de résiliation d’un bail au même titre que la violation d’une clause de ce dernier ou que l’inobservation des règles du code civil : Cass. civ. 3e, 19 janv. 2005, n° 03-15631, préc.

6Il faut ici préciser que les sanctions pénales spécialement prévues par les textes législatifs ne sont pas toutes intégrées au Code pénal, mais dans les Codes élaborés à droit constant. V. par exemple les art. L. 1324-1 à L. 1324-5 C.S.P. pour la répression pénale des atteintes portées à l’hygiène et à la salubrité publiques. C’est parfois même dans ces dispositions que se trouve la règle d’interdiction.

Cf. en ce sens l’art. L. 1324-4 C.S.P. précisant que «le fait de dégrader des ouvrages publics destinés à recevoir ou à conduire des eaux d’alimentation ou de laisser introduire des matières susceptibles de nuire à la salubrité, dans l’eau de source, des fontaines, des puits, des citernes, conduites, aqueducs, réservoirs d’eau servant à l’alimentation publique, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 d’amende. Le fait d’abandonner, par négligence ou incurie, des cadavres d’animaux, des débris de boucherie, fumier, matières fécales et, en général, des résidus d’animaux putrescibles dans les failles, gouffres, bétoires ou excavations de toute nature, autres que les fosses nécessaires au

fonc-d’user de ses prérogatives de puissance publique, et notamment de ses pouvoirs de police, pour prévenir ou faire cesser des comportements générateurs de risques pour la santé des tiers. Cette défense minimale de la collectivité est aussi, et bien évidemment, essentielle et fondamentale puisque destinée à protéger l’intérêt vital de la société1. Elle explique et justifie les caractères permanent et inaliénable de la police générale dont elle structure les principes directeurs.

81 «Fruit du couple ordre – liberté nécessaire au bon fonctionnement de la société libérale»2, la police générale, police demaintiende l’ordre au sens strict du terme, est en effet exclusive de toute action administrative interventionniste exercée dans un but de transformation de la société. L’ordre public considéré au sens de la police générale apparaît comme «une préoccupation statique»3, un ordre de pure conservation. Selon la formule de M. MAILLARDDEGRÉES DUL, il est un ordre «à maintenir ou à rétablir, il n’est pas à établir»4. La police générale ne vise donc qu’à préserver l’ordre existant au moment où un trouble apparaît sans se préoccuper d’aucune finalité constructive. Ce rôle de conservation implique qu’aucune mesure destinée, non à préserver la santé publique, mais à la promouvoir, ne puisse être adoptée par les autorités de police générale qui doivent limiter leur intervention au minimum requis pour la sauvegarde de l’ordre public.

En premier lieu, l’action de police générale doit être motivée par l’existence d’une menace précise et objectivement établie pesant sur l’ordre public. Les impératifs de la prévention se distinguant de ceux de la prévision, l’autorité de police générale ne peut normalement intervenir sur la base de présomptions ou de probabilités pour organiser les conditions propres à empêcher l’éventuelle survenance d’un trouble5. Elle n’est pas non plus habilitée à organiser un régime permanent de surveillance ou de contrôle destiné à

tionnement d’établissements classés est puni des mêmes peines». Cet état de fait n’est pas sans poser quelques problèmes quant à la clareté et à la lisibilité du droit, alors que d’autres interdictions por-tant sur les mêmes thèmes sont contenues dans d’autres Codes.Cf. par exemple l’art. R. 632-1 C.P. relatif à l’interdiction «de déposer, d’abandonner, de jeter ou de déverser, en lieu public ou privé, à l’exception des emplacements désignés à cet effet par l’autorité administrative compétente, des ordu-res, déchets, déjections, matériaux, liquides insalubres ou tout autre objet de quelque nature qu’il soit, y compris en urinant sur la voie publique, si ces faits ne sont pas accomplis par la personne ayant la jouissance du lieu ou avec son autorisation». Sur ce problème constant de l’éparpillement des textes de santé publique,cf.infran° 211.

1Cf. P. BERNARD,La notion d’ordre public en droit administratif,op. cit., p. 278.

2D. MAILLARDDEGRÉES DULOÛ,Police générale, polices spéciales,op. cit., t. 1, p. 134.

3P. BERNARD,La notion d’ordre public en droit administratif,op. cit., p. 94.

4D. MAILLARDDEGRÉES DULOÛ,Police générale, polices spéciales,op. cit., t. 1, p. 134.

5Sur cette base, le Conseil d’État a par exemple rejeté la possibilité pour un maire de porter atteinte à l’inviolabilité du domicile en ordonnant la visite de voitures de nomades en dehors des cas d’épidémie grave exigeant des mesures d’urgence : C.E., 2 déc. 1983,Ville de Lille c. Ackermann et a., n° 13.205,Rec. p. 470 ;D.1985, p. 388, note R. ROMI;Quot. Jur.du 28 janv. 1984, p. 13, note M. D. De même, les menaces que constitueraient selon la commune les coupures d’électricité et de gaz pour les familles qui en sont l’objet ne sont pas, de par leur imprécision et leur éventualité, de nature à justifier leur interdiction générale et absolue par le maire : C.A.A. de Douai, 29 déc. 2005,Cne de Waziers, n° 05DA00726 ;B.J.C.L.2006, p. 261, concl. J. LEPERSet obs. B. P. ;de Paris, 11 juill. 2007,Cne de Mitry-Mory, n° 05PA01942,J.C.P.A 2007, n° 2327 (14), obs. N. FOULQUIER.Cf. encore sur les arrêtés interdisant a priori les coupures d’eau : S. BRACONNIER, Les arrêtés anti-coupures d’eau : une réponse juridique inadaptée à un problème social réel,A.J.D.A.2005, n° 12, p. 644-651.

détecter des risques éventuels1. Est donc entaché d’illégalité, l’arrêté d’un maire soumettant à autorisation médicale toute personne désireuse de séjourner plus de quinze

jours dans un hôtel de la ville2 ou celui qui soumet une voie privée au contrôle des

ingénieurs de la voie publique3. Dans le même ordre d’idée, l’institution d’un régime d’autorisation préalable, qui fait de l’interdiction une mesure de principe antérieure à l’expérience du trouble, est, sauf urgente nécessité, hors de la portée de la police générale4.

En second lieu, la mesure de police générale doit être proportionnée à ce qui est effectivement nécessaire pour prévenir ou faire cesser le trouble constaté. Dès lors, si une réglementation de police peut comporter des interdictions détaillées5, elle ne saurait, en

revanche, imposer des mesures générales et/ou absolues6 en dehors de circonstances

exceptionnelles7. L’autorité de police administrative ne peut donc, au titre de la salubrité publique, édicter des règlements sanitaires généraux et permanents8. C’est également en 1 C.E., 26 mars 1920, Barré et a., n° 56.883, Rec. p. 329 ; 23 juin 1926, Cté de défense de l’enseignement libre de Grenoble,Rec. tables p. 1294.

2C.E., 17 oct. 1952,Synd. climatique de Briançon, sieur Dominique et a., nos3.868, 4.023 et 4.050 à 4.052,Rec. p. 445, concl. J. CHARDEAU,Rev. adm.1952, p. 591, note G. LIET-VEAUX.

3C.E., 9 nov. 1956,Porry,Rec. tables, p. 635.

4 Cf. infra n° 153. Les juridictions administratives ont longtemps adopté une attitude variable et nuancée sur ce point. Le principe de l’illégalité des régimes d’autorisation préalable n’a en effet été définitivement consacré par le Conseil d’État qu’en 1951 (Ass., 22 juin 1951, Sieur Daudignac, nos 00.590 et 02.551, Rec. p. 362 ; G.A.J.A. n° 68 ; D. 1951, p. 589, concl. F. GAZIER, note J.-C., confirmé par Sect., 14 févr. 1958, Sieur Abisset, n° 7.715, Rec. p. 98, concl. M. LONG;A.J.D.A.

1958, p. 221, note J. FOURNIERet M. COMBARNOUS). Dans le domaine de l’hygiène publique, toutefois, la jurisprudence a toujours montré beaucoup de constance dans l’interdiction de l’institution de tels régimes appliquée depuis le XIXe siècle (C.E., 2 avr. 1898, Sieur de Chauvelin, n° 90.873, Rec. p. 297 ; 13 mai 1898, Sieur Gay, nos90.051 et 90.052, Rec. p. 375 ; 24 janv. 1902, Delle Noualhier, n° 3015,Rec. p. 41 ;6 juill. 1906,Sieur Bargeaud et a., nos18.153, 18.230 et 18.231,

Rec. p. 600 ;5 juin 1908,Sieurs Riverain, Henry et Garnier c. Maire de Granville, n° 23.860,Rec. p. 609 ; 11 mai 1928, Maire de Saint-Nicolas-de-Port, n° 86.988, Rec. p. 601 ; 10 mars 1937,

Dame Vve Piron, n° 46.395,Rec. p. 291). L’autorité de police générale ne peut donc, pour des motifs sanitaires, soumettre l’exercice d’une activité privée, industrielle ou commerciale, à son accord pré-alable. Par exemple, si la protection de la santé publique contre les risques d’une distribution de produits laitiers défectueux autorise le préfet de police à interdire la mise en vente dans le départe-ment de la Seine d’un lait présentant un danger pour la santé publique (C.E., Sect., 2 nov. 1956,

Soc. coopérative laitière de Hermes, préc.), l’autorité de police générale ne peut prévenir une telle si-tuation en subordonnant l’ouverture d’un dépôt de lait à la délivrance préalable d’une autorisation (T.A. de Marseille, 10 juill. 1959,Sieur Bourquin,Rec. p. 833).

5 C.E., 11 déc. 1985,Ville d’Annecy, n° 67.115, Rec. p. 369. La précision est même exigée par le Conseil d’État : cf. C.E., Sect., 12 mai 1939,Sieur Gély, n° 59.164,Rec. p. 312 ; 17 juin 1992,

Alain Mido, n° 123305, inédit auRec.

6C.E., 22 déc. 1936, Sieurs Turpin et a., n° 41.856,Rec. p. 1138 (illégalité d’un arrêté municipal réservant la vente de poissons dans la halle et interdisant de ce fait toute vente de poissons dans les locaux privés ou à bord des bateaux) ;17 févr. 1937,Sieur Combeau, n° 51.244,Rec. p. 206 ;10 mars 1937,Dame Vve Piron, préc. (illégalité de l’arrêté d’un maire ayant décidé de façon générale et absolue que les dépôts nuisibles à la salubrité publique sont interdits dans la localité à proximité de la voie publique) ; T.A. de Rouen, 4 juin 1969,Sieur Cottenet,Rec. p. 638 ;de Nice, 2 avr. 1969,

Soc. Virginie,Rec. p. 627. C’est sur ce principe qu’est fondé la présomption d’illégalité des interdic-tions générales et absolues :cf. notamment O. DUTHEILLET DELAMOTHE, concl. sur C.E., Sect., 4 mai 1984,Préfet de police c. Guez,A.J.D.A.1984, p. 393.

7 Ces circonstances peuvent naître de l’urgence ou simplement résulter d’une situation locale particulière :cf.C.E., 17 févr. 1937, Sieur Combeau, préc. (légalité d’un arrêté municipal obligeant les propriétaires de pigeons à les tenir enfermés. Cette mesure, «eu égard aux conditions particulières d’alimentation en eau potable du village», est «indispensable pour éviter la contamination des eaux des citernes»).

8C.E., Sect., 7 déc. 1934,Sieurs Gasquet et Barbaud, préc. ;Sect., 27 mars 1936,Assoc. cultuelle israélite de Valenciennes, n° 32.147,Rec. p. 383.

ce sens que peut être apprécié le principe du libre choix des moyens qui, par exemple, interdit à l’autorité de police municipale d’ordonner à un propriétaire les travaux et aménagements nécessaires pour la salubrité de son immeuble1. Cette règle constante de la police générale2ne cède que dans le cas où l’administration agit pour l’application d’une réglementation spéciale ou lorsque le moyen prescrit est le seul susceptible de parvenir au but recherché, l’objectif et le moyen se confondant alors3.

82 Cette fonction primaire de défense sanitaire fait la spécificité de la police générale

de la salubrité publique. Il convient toutefois de préciser qu’elle ne lui est pas spécifique. Quoique la plupart des polices spéciales dépassent de beaucoup cet objectif minimal de conservation, toutes les polices sanitaires procèdent de cette exigence fondamentale. Ainsi, l’institution des règlements sanitaires, qui a nettement étendu les possibilités d’action de l’administration, est d’abord issue de la nécessité de créer les instruments juridiques adéquats pour la défense sanitaire de la collectivité. Par négligence ou

ignorance, trop souvent soumis aux pressions électorales, les maires du XIXe siècle

regimbaient en effet à prendre les mesures de salubrité publique nécessaires à la protection de la santé générale4. Ce sont ces difficultés que le législateur du 15 février 1902 a cherché à surmonter en formalisant la réglementation sanitaire et en précisant l’étendue des compétences dévolues aux maires en la matière. Dans le domaine de la lutte contre les maladies contagieuses, les vaccinations obligatoires, pour ne citer qu’elles, associent pareillement cette double tendance défensive et constructive. L’obligation vaccinale participe sans doute d’un objectif ambitieux d’éradication des maladies, mais elle s’impose d’abord comme une mesure de prophylaxie qui, substituée aux logiques anciennes des quarantaines en lazarets, vise en tout premier lieu à défendre la santé de la population5.

83 Ces exemples montrent malgré tout que l’ordre public sanitaire, d’abord

conservateur, ne saurait être définitivement considéré comme un ordre statique, rebelle à toute dimension constructive6. Il peut en effet aborder, quoiqu’à titre secondaire, les 1Cf. C.E., Sect., 21 févr. 1947,Sieur Barsi, nos74.059 et 76.589,Rec. p. 75 ;Ass., 16 mai 1947,

Sieur Gourlet, n° 73.090,Rec. p. 207 ;D.1948, p. 256, note G. MORANGE.

2 C.E., Sect., 27 mars 1936,Assoc. cultuelle des israélites de Valenciennes, préc. ;17 févr. 1937,

Sieur Combeau, préc. ; 29 nov. 1999, Féd. Française des pompes funèbres, n° 200777, A.J.D.A.

2000, p. 178 ; C.A.A. de Nancy, 21 juin 2004, Cne de Maizières-les-Metz, n° 00NC00716, J.C.P. A 2005, n° 1628, note J. MOREAU.

3 Comp. C.E., Sect., 21 févr. 1947, Sieur Barsi, préc. et Sect., 21 févr. 1947, Sieur Varlet, n° 77.165,Rec. p. 74.Cf.également, C.E., 19 mai 1954,Sieur Lagrèze, préc. et – 9 févr. 1973,Sieur Rousseau, n° 82.080,Rec. p. 127.

4 Incurie par ailleurs encouragée par les juridictions qui, peu au fait des impératifs de l’hygiène publique, définissaient restrictivement leurs compétences en ce domaine : v. supra n° 59 et infra

n° 296.

5 Sur cette question,cf.notamment F. MODERNE, Le régime juridique des vaccinations obligatoires,

op. cit., p. 196.

6 En ce sens, v. notamment É. PICARD, L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public,op. cit., p. 57 : «Comme norme gouvernant ou même fondant l’action unilatérale des autorités publiques à l’égard des sujets de droit, c’est-à-dire en droit public, l’ordre public comporte également

notions de protection et de sécurité sous un angle positif, plus dynamique. L’ordre public sanitaire contribue alors à la promotion de la santé publique par la définition des

conditions propres à permettre le «développement du potentiel sanitaire» de la

population1.

2) Une fonction secondaire d’organisation des conditions sanitaires de

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