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L’ ÉVOLUTION SUBSÉQUENTE DE L ’ ORDRE PUBLIC SANITAIRE

34 L’ancrage du droit de la santé dans la fondamentalité ne peut rester sans effet sur la

notion d’ordre public, et plus particulièrement d’ordre public sanitaire, qui a précisément pour fonction de préserver les valeurs fondamentales de la société de droit. Il y a sans doute ici une première explication de la dualité des définitions doctrinales de l’ordre public sanitaire. Plus encore, s’impose l’idée que l’ordre public sanitaire, aussi ancien soit-il, va être affecté par l’évolution contemporaine du droit de la santé.

35 Loin de reprendre la logique de l’ordre public sanitaire, le droit fondamental à la

protection de la santé donne une image exactement inversée des rapports liant la collectivité aux individus en matière de santé. Le droit à la protection de la santé offre en

juin 1967,Ligue nat. pour la liberté des vaccinations, n° 66.840,Rec. p. 259 ;A.J.D.A.1968, p. 166, obs. G. PEISER;J.C.P.1967, II, 15303, concl. Y. GALMOT.

1D. TRUCHET, L’obligation d’agir pour la protection de l’ordre public : la question d’un droit à la sécurité, inL’Ordre public : Ordre public ou ordres publics ?...,op. cit., p. 316.

effet à ces derniers une créance de santé qui, largement entendue, s’étend à la prévention des risques et à la sécurité sanitaire. Opposable à tous1, cette créance pèse sur l’ensemble de la collectivité et principalement sur l’État, responsable de la politique de santé publique.

Dans cette perspective, ce n’est donc plus l’individu qui est comptable de sa santé envers la collectivité, mais bien cette dernière qui lui doit la protection de sa santé. Si l’on s’en tient aux dispositions de l’article L. 1110-1 du Code de la santé publique, toute

personne dispose d’une créance qui oblige la collectivité à fournir à tous et à chacun un certain nombre de prestations de santé, dont des prestations de prévention et de lutte contre les risques sanitaires. Miroir de l’ordre public sanitaire, le droit fondamental à la protection de la santé renverse ainsi les relations sanitaires de l’individu à la collectivité et à l’autorité publique.

36 Ce droit revisite également les liens classiquement établis par l’ordre public entre la

santé et la sécurité. Enrichi par la sécurité sanitaire, le droit fondamental à la protection de la santé ajoute à la lutte contre les risques sanitaires de désordre, un volet nouveau de lutte contre les désordres en matière sanitaire. Il offre ainsi à chacun un véritable droit à la sécurité pour sa santé qui, associant la prévention, l’accès aux soins et la sécurité sanitaire, va très au-delà des objectifs de l’ordre public sanitaire.

La question essentielle se pose alors de savoir comment ces logiques nouvelles interagissent sur la notion classique d’ordre public sanitaire.

37 Dans sesRéflexions sur le droit de la santéintroduites au Rapport public 1998, la

section des études du Conseil d’État soulignait la filiation entre le droit à la protection de la santé et l’ordre public sanitaire en relevant que «le droit à la protection de la santé s’inscrit dans la longue tradition de la police sanitaire en application de laquelle les pouvoirs publics ont un devoir de protéger collectivement les populations contre les risques qui pourraient menacer leur santé»2. Quelques années plus tard, lors des débats

parlementaires sur la loi du 9 août 2004, M. MATTÉI affirmait que « le droit à la

protection de la santé correspond au devoir des pouvoirs publics de protéger collectivement les populations contre les risques qui pourraient menacer leur santé»3.

Le sens de l’évolution est clair : il ne s’agit plus désormais de concevoir l’ordre public sanitaire comme cette part de santé publique qui, indispensable au bon ordre, permet aux autorités de puissance publique de restreindre l’exercice des libertés 1Cf. C. SAUVAT,Réflexions sur le droit à la santé, Aix-en-Provence, P.U.A.M., 2004, coll. du Centre Pierre Kayser, 538 p., Préface de A. LEBORGNE.

2Conseil d’État,Rapport public 1998. Réflexions sur le droit de la santé, op. cit., p. 239 (mot souligné par l’auteur).

3J.-F. MATTÉI, ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées, compte-rendu des travaux de l’Assemblée nationale, 1ère séance du 2 oct. 2003. Le ministre reprendra cette formule presque à l’identique lors de la séance de travaux du Sénat du 13 janv. 2004.

publiques, mais bien d’en faire un instrument de la politique de protection sanitaire destiné à garantir le droit fondamental à la protection de la santé. Plus que la part sanitaire de la sécurité collective, l’ordre public sanitaire exprime aussi aujourd’hui les dimensions préventives et sécuritaires de la santé auxquelles renvoie l’obligation de l’État d’assurer à tous et à chacun la protection de la santé.

38 On observera que cette évolution ne change en rien le principe de l’obligation

d’agir de la puissance publique. Celle-ci se rattache comme auparavant à cette fonction minimale et obligatoire de protection des administrés et des valeurs sociales fondamentales1. Elle en transforme néanmoins les objectifs et le contenu, en ce qu’elle assigne à l’administration des obligations qui, comme l’atteste le traitement contentieux de l’affaire de l’amiante par le Conseil d’État, étendent ses devoirs traditionnels de police administrative2.

39 La notion même de police sanitaire porte la marque de ces bouleversements. Peu à

peu détachée de sa définition institutionnelle classique, qui en fait une «activité

spécifique de prescription, consistant à réglementer des activités privées en vue du maintien de l’ordre public»3en l’occurrence sanitaire, la police sanitaire tend aujourd’hui à rejoindre les contours plus vastes, mais aussi plus imprécis, de l’action publique de protection de la santé. On peut, pour illustrer ce point, reprendre ce passage du manuel de

Droit de la santéde Mme LAUDE, M. MATHIEU et M. TABUTEAU, affirmant que «l’État tient de ses pouvoirs généraux de police sanitaire une compétence générale d’information du public en cas de risque pour la santé publique»4. L’assertion, étayée par le droit positif, n’est pas fausse5. Mais l’association de la police et de l’information, qui sur le plan de la stricte exégèse ne peut guère être qualifiée que comme une prestation immatérielle de service public, montre bien à quel point l’appréhension de la police sanitaire a changé. On aperçoit d’ailleurs la même évolution en jurisprudence. C’est ainsi

1En ce sens, dans ses conclusions sur l’arrêtS.F.R.du 22 mai 2002, le commissaire du Gouverne-ment notait que le principe de précaution peut apparaître comme l’aboutisseGouverne-ment d’une construction juridique ancienne qui consiste à obliger la puissance publique à user de ses pouvoirs, notamment de police, pour assurer l’une des fonctions qui fondent sa légitimité, à savoir la protection des administrés (cité par le Conseil d’État, Rapport public 2005. Responsabilité et socialisation des ris-ques, Paris, La documentation française, 2005, E.D.C.E. n° 56, p. 279).

2C.E. Ass., 3 mars 2004, Min. de l’Emploi et de la Solidarité c. Bourdignon, n° 241150, Min. de l’Emploi et de la Solidarité c. Botella, n° 241151,Min. de l’Emploi et de la Solidarité c. Cts Thomas, n° 241152 etMin. de l’Emploi et de la Solidarité c. Cts Xueref, n° 241153 ;A.J.D.A.2004, p. 473, obs. M.-C.DEMONTECLERet p. 974, chron. F. DONNATet D. CASAS;R.F.D.A.2004, p. 612, concl. E. PRADA -BORDENAVE;D.2004, p. 974, note H. ARBOUSSET;D.A.2004, n° 87, p. 35, note G. DELALOY;Resp. civ. et assur.2004, comm. 234, note C. GUETTIER. V. également, C. GUETTIER, L’amiante : une affaire d’État,R.D.S.S.2006, n° 2, p. 202-214.

3 A. VAN LANG, G. GONDOUIN et V. INSERGUET-BRISSET, Dictionnaire de droit administratif, Paris, Armand Collin, 4eéd., 2005,verbo« Police administrative ».

4A. LAUDE, D. TABUTEAUet B. MATHIEU,Le droit de la santé, Paris, P.U.F., 2007, coll. Thémis Droit, p. 91, n° 92.

que la Cour administrative d’appel de Nantes a récemment indiqué que l’État n’a pas commis de faute «dans l’exercice de ses pouvoirs de police sanitaire» en décidant de mettre enœuvre une campagne nationale de promotion de la vaccination contre l’hépatite B1.

40 Le suspens n’est pas de mise ici. On retrouve en matière de santé ce double

phénomène inverse et concomitant d’interpénétration de l’ordre public et des droits

fondamentaux qu’a bien mis en relief Mme REDOR2. D’un côté, la santé publique,

composante traditionnelle de l’ordre public, a été érigée au rang d’un droit fondamental de la personne. Cette promotion est peut-être moins évidente que dans le domaine de la sécurité. Elle est toutefois bien révélée par la jurisprudence qui définit de plus en plus couramment le droit garanti par l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 comme le droit à la protection de la santépublique3. De l’autre, le droit fondamental à la protection de la santé, qui ne saurait être limité à la dimension sanitaire de l’ordre public, vient, en l’enrichissant, perturber les équilibres classiques de l’ordre public sanitaire jusqu’à en faire un instrument des politiques publiques de protection sanitaire. C’est dès lors à une véritable renaissance de l’ordre public sanitaire, entièrement refondé sur le droit fondamental à la protection de la santé, que l’on assiste aujourd’hui.

Il reste que l’on ne peut véritablement comprendre les logiques et les voies de cette refondation, ni même en saisir les conséquences sans un certain recul sur ce qui, traditionnellement, constitue l’ordre public sanitaire. Ce n’est en effet qu’après avoir pris la mesure de la réception de la santé publique par l’ordre public (Partie 1) que l’on pourra mieux approcher les transformations de l’ordre public sanitaire induites par ces évolutions majeures de la santé publique (Partie 2).

1Campagne qui, comme le précise l’arrêt, n’a pas été «menée dans des conditions de nature à in-duire en erreur la population visée […] sur le caractère non obligatoire de ladite vaccination» : C.A.A. de Nantes, 29 déc. 2006, n° 05NT00014,A.J.D.A.2007, n° 16, p. 873. V. dans le même sens, C.A.A. de Douai, 10 janv. 2008,Mme H. et a., nos 06DA01012 à 06DA01014, A.J.D.A. 2008, p. 766, (1ère esp.), concl. J. LEPERSqui, à propos de l’absence d’information ciblée sur les risques pour l’enfant à naître de la consommation même modérée d’alcool par les femmes enceintes avant 2001, retient que l’ État n’a pas commis de faute «dans l’exercice de son pouvoir général de police sanitaire ou dans la mise enœuvre de la protection de la santé de la mère et de l’enfant qui figure au 11 du préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie celui de la Constitution du 4 octobre 1958».

2M.-J. REDOR, Ouverture du colloque de Caen des 11 et 12 mai 2002,L’Ordre public : Ordre public ou ordres publics ? …,op. cit., p. 13-14.

3 Outre les décisions précitées du Conseil constitutionnel de 1991, il faut ici se reporter à l’ordonnance du juge du référé-liberté du Conseil d’État du 8 sept. 2005 (Garde des Sceaux – Min. de la Justice c. M. Brunet, n° 284803, Rec. p. 388 ;D. 2006, J., p. 124, note X. BIOY;A.J.D.A. 2006, n° 7, p. 376, note M. LAUJIDOIS; Gaz. Pal. mars-avr. 2006, J., p. 1077, note J.-L. PISSALOUX) qui considère, sans autre forme de procès, qu’«en raison du renvoi fait par le Préambule de la Constitu-tion de 1958 au Préambule de la ConstituConstitu-tion de 1946, la protecConstitu-tion de la santépubliqueconstitue un principe de valeur constitutionnelle » (nous soulignons).

LA RÉCEPTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE PAR

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