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Le dépassement manifeste de la salubrité publique

LA SANTÉ PUBLIQUE, COMPOSANTE DE L’ORDRE PUBLIC

L A PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE , CONDITION DU MAINTIEN DE L ’ORDRE PUBLIC

A.- U NE PERSPECTIVE ÉLARGIE DES EXIGENCES SANITAIRES DE L ’ ORDRE PUBLIC

2) Le dépassement manifeste de la salubrité publique

76 Dès l’époque de l’hygiénisme, et surtout dans la première moitié du XXesiècle, la

police sanitaire a été inscrite dans une perspective plus volontariste qui, débordant amplement le cadre de la salubrité publique, a débouché sur les exigences, plus 1 L’utilisation récurrente par le juge administratif de formules négatives telles que «le maintien» (C.E., 14 mars 1919,Sieur Ghesquière, n° 57.768,Rec.p. 257) ou «la sauvegarde de la santé publi-que» (C.E., Sect., 2 nov. 1956, Soc. coop. laitière de Hermes, préc.) ou de références à l’existence d’une «menace» (C.E., 1erdéc. 1972,Sieur Lassieur, n° 84.743,Rec.p. 769 ;Sect., 28 nov. 1980,

Cne d’Ardres, n° 04.551,Rec.p. 449 ;D.1981, IR, 117, obs. DELVOLVÉ), d’un «danger» pour la santé publique (C.E., 10 janv. 1913, Moyaux, n° 46.503,Rec. p. 25 ; 23 janv. 1946,Dames Hubert et Crépelle, n° 81.273,Rec.p. 300 ;Sect. 2 nov. 1956,Soc. coop. laitière de Hermes, préc. ;4 janv. 1961,Sieur Palmier, n° 46.795,Rec.p. 2) ou de circonstances de nature à la «compromettre» (C.E., 18 févr. 1931, Sieur Périgaud, préc. ; 20 juin 1934, Soc. Lyonnaise des eaux, n° 23.881, Rec. p. 703 ; – 14 janv. 1948, Sieur Malézieux, n° 90.342,Rec.p. 20) est tout à fait significative de cette approche conservatrice de la santé publique.

contraignantes, de santé publique. La lutte contre les désordres sanitaires s’est ainsi élargie du point de vue de son objet et de ses moyens.

77 L’extension du champ matériel de l’ordre public sanitaire s’observe en particulier

dans le domaine de la lutte contre les maladies qui, accordant une large place à la prévention médicale, se distingue fondamentalement de la salubrité publique. Ce secteur intéresse les maladies infectieuses les plus graves qui ne peuvent être efficacement combattues que par une action médicale sur leur vecteur principal de transmission : l’homme. En partant du principe de l’interdépendance sanitaire des hommes mis en exergue par PASTEUR, il s’agit ici de briser la chaîne de transmission des maladies par une intervention directe sur les individus qui en composent les maillons. La prévention médicale ne se borne donc plus à agir sur les facteurs de risque extérieurs à l’homme, mais elle tend bien au-delà à imposer aux individus un comportement sanitaire déterminé. Cette forme médicalisée de la prévention sanitaire s’articule autour de trois logiques prophylactiques complémentaires. Elle suggère d’abord une surveillance efficace de l’évolution des maladies. Ceci se traduit juridiquement par l’institution de dépistages et d’examens médicaux obligatoires réalisés sur certaines catégories de

personnes1 et par l’obligation de signalement de certaines pathologies à l’autorité

sanitaire2. Elle suppose ensuite, lorsque cela est techniquement possible, que la

population soit protégée contre les maladies transmissibles les plus graves. L’origine précise de ces maladies ne pouvant être détectée ou maîtrisée, il s’agit alors d’empêcher leur propagation par l’immunisation des personnes les plus exposées3. La protection de la collectivité contre ces maladies justifie, enfin, tout un ensemble de mesures destinées à contraindre les individus malades à se soigner pour éviter qu’ils ne transmettent la maladie à d’autres. Cette obligation de soins est parfois directement imposée par l’autorité de police qui peut, le cas échéant, enjoindre au malade de suivre un traitement voire, en cas de refus, provoquer son hospitalisation d’office4. Les soins peuvent aussi s’imposer de fait sans être directement ordonnés par l’autorité sanitaire, en conséquence d’une éviction scolaire ou d’un arrêt de travail qui s’appliquent tant qu’existe un danger de contagion5.

1Ces examens peuvent ou non être réalisés dans le cadre de services de médecine préventive.

2Cf. infranos265 et 542.

3On perçoit ici toute la différence entre les logiques de la salubrité et celles de la médecine préven-tive : la salubrité suppose que l’on désinfecte, que l’on décontamine, alors que la vaccination, à l’inverse, est une méthode d’incubation volontaire de la maladie, certes sous une forme désactivée, pour susciter les réactions immunitaires de l’organisme. Pour caricaturer, l’on pourrait dire que la salubrité consiste à désinfecter et la vaccination à infecter.

4Cf. notamment les anciens art. L. 275 et L. 278 C.S.P. (non repris) pour les maladies vénériennes, mais dont les logiques restent théoriquement applicables dans le cadre plus général et imprécis de la police de l’urgence sanitaire créée par la L. n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, préc. (v.infranos274 et 636).

5Se reporter notamment à l’arr. du 3 mai 1989 relatif aux durées et aux conditions d’éviction et aux mesures à prendre à l’égard des élèves et du personnel dans les établissements d’enseignement et

78 Autre exemple, situé en dehors du cas particulier de la médecine préventive, le champ de la police sanitaire a également été étendu à des activités et à des comportements dont la science a souligné le caractère nocif pour la santé et le lien direct à certaines pathologies graves, à caractère épidémique bien que non transmissibles, telles que les maladies cancéreuses ou nerveuses. S’inscrivent dans ce cadre les polices relatives à la lutte contre les nuisances sonores, le tabagisme, l’alcoolisme, la toxicomanie, mais aussi certains des dispositifs réglementant l’usage des appareils ionisants, les installations nucléaires, certaines installations classées pour la protection de l’environnement, etc. À l’inverse de la médecine préventive, ces dispositifs ne touchent pas directement les individus mais portent sur des déterminants qui leurs sont extérieurs. Cette extériorité du risque et de l’action pourrait les rapprocher de l’hygiène et de la salubrité publiques. On a ainsi pu parler d’ « hygiène sonore » pour évoquer l’objectif visé par la lutte contre le bruit. Ce type de qualification est néanmoins trompeur car de telles actions de prévention, si elles révèlent une perspective élargie des risques pour la santé, ne consistent pas pour autant en un élargissement de la notion de salubrité. À cet égard, on peut rappeler que si la lutte contre le bruit s’inscrit dans le champ de la réglementation sanitaire, le Conseil d’État rattache régulièrement les mesures de police édictées dans ce cadre à la tranquillité publique1 plutôt qu’à la santé publique2. Sans doute faut-il voir ici un signe de l’étroite complémentarité des éléments matériels de l’ordre public. Cette attitude témoigne en tous cas d’une perspective stricte de la notion de salubrité publique, qui ne saurait être élargie au gré de l’extension des objets soumis à l’intervention de police sanitaire.

d’éducation publics et privés en cas de maladies contagieuses (J.O.du 31 mai, p. 6806) qui, selon la maladie en cause, subordonne la réintégration du malade à sa guérison clinique, à la disparition du virus ou, au minimum, à l’attestation, par certificat médical, d’un traitement approprié.Cf. encore l’ancien art. L. 277 C.S.P. (non repris) pour les personnes victimes d’accidents vénériens présentant un danger de contagion : si le malade ne donne pas suite à l’ «invitation» de renoncer immédiate-ment à l’exercice de sa profession, il peut faire l’objet d’une hospitalisation d’office.

1 C.E., Sect., 29 juin 1983, Maignan, n° 35.578, Rec. p. 128 ; 8 juill. 1992, Ville de Chevreuse, n° 80775,Rec. p. 281; 29 déc. 1995,Ville de Nancy, n° 111704, inédit au Rec. ;26 juin 1996,

Cne de Méjannes-les-Alès, n° 132043,Rec.tables p. 1058 ;2 juill. 1997,M. Bricq, n° 161369,Rec. p. 275 ; D.A. 1997, n° 323 ; R.F.D.A. 1997, p. 1104, n° 27 ; C.A.A. de Lyon, 15 oct. 1998, Predo, n° 97LY02711, Rec. tables p. 1061 ; 29 mars 2005, X, n° 00BK02120, J.C.P. A 2005, n° 1338, p. 11, chron. B. PACTEAU;27 juill. 2005,Ville de Noisy-le-Grand, n° 257394, Rec. tables p. 758 ;

Coll. terr. 2005, n° 207, p. 26, obs. L. ESTREIN;R.L.C.T. 2005, n° 8, p. 20, obs. E. GLASER;A.C.L.

2006, p. 38 ; 30 nov. 2007, S.A.R.L. Coucou, n° 284124, J.C.P. A 2007, act. 1076, obs. M.-C. ROUAULT(sera mentionné aux tables duRec.Lebon).

2 Cf.néanmoins C.E., 12 juin 1998, Cne de Chessy et a., n° 153546,Rec. p. 233 ;J.C.P.1998, IV, 3185, obs. M.-C. ROUAULT;D.A.1999, n° 15, note D.C. évoquant des «nuisances sonores portant une atteinte excessive à la protection de la santé publique dans le département» et C.A.A. de Marseille, 4 avr. 2005, n° 01MA02513, B.J.C.L. 2005, n° 6, p. 384, concl. J.-J. LOUIS: Les dispositions «du Code de la santé publique et du Code général des collectivités territoriales, d’origine législative et ré-glementaire, donnent compétence au représentant de l’Etat dans le département, et au maire, pour édicter des dispositions particulières complétant celles résultant du décret susvisé du 5 mai 1988 et propres à préserver la santé de l’homme, notamment en matière de lutte contre les bruits de voisi-nage».

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