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La participation de la protection de la santé à la garantie de la dignité de la personne humaine

L ES MUTATIONS CONTEMPORAINES DU DROIT DE LA SANTÉ PUBLIQUE

II.- L’ ANCRAGE DU DROIT DE LA SANTÉ DANS LA FONDAMENTALITÉ DES DROITS DE LA PERSONNE HUMAINE

2) La participation de la protection de la santé à la garantie de la dignité de la personne humaine

fondamentalité.

2) La participation de la protection de la santé à la garantie de la dignité de la

personne humaine

À l’association du droit à la protection de la santé au respect de la dignité de la personne humaine correspond une double évolution du droit de la santé.

25 La première, et non la moindre, est celle de l’humanisation progressive de ce droit

que Bernard KOUCHNER a souhaité mettre en relief sous l’angle de sa

« démocratisation »4. Cette évolution vers la reconnaissance de droits subjectifs,

individuels et collectifs, de la « personne malade » prend, elle aussi, racine dans les années 19905.

En 1993, l’arrêt d’AssembléeMilhauddu Conseil d’État «réinventait l’humanisme médical»6en reconnaissant l’existence de principes déontologiques fondamentaux qui, relatifs au respect de la personne humaine, s’imposent au médecin par-delà la mort de son patient7. L’année suivante, la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 chapeautait le Code civil de l’article 16 selon lequel «la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte

1L. n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, J.O.du 5 mars, p. 4118.

2L. n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie,J.O.du 23 avr., p. 7089.

3Art. L. 1111-4 C.S.P.

4Sur la controverse nouée autour de cette «fausse bonne idée» et l’état actuel de la question, cf.M. BOUTEILLE, La démocratie sanitaire,R.G.D.M.2007, n° 23, p. 23-41.

5Quoique le droit international et européen s’intéresse à la question depuis le début des années 1980. Cf. A. PONSEILLE, Le droit de la personne malade au respect de sa dignité, R.G.D.M. 2003, n° 11, p. 159.

6M.-L. MOQUET-ANGER, Droit de la santé, unité ou dualité de l’ordre juridique,op. cit., p. 126.

7C.E., Ass., 2 juill. 1993, Milhaud, n° 124960, Rec. p. 194, concl. D. KESSLER; R.D.S.S. 1994, p. 52, concl. ;R.F.D.A.1993, p. 1002, concl. ;A.J.D.A.1993, p. 530, chron. C. MAUGÜÉet L. TOUVET; D. 1994, p. 74, note J.-M. PEYRICAL;J.C.P 1993, II, 22163, note P. GONOD;Petites affiches 1994, n° 144, p. 19, note C. SCHAEGIS. Rapp. Trib. corr. de Domfront, 21 déc. 1945, Gaz. Pal. 1946, 1, 153 ;D.1947, 2, 65.

à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie»1. De ce principe d’ordre public2ont notamment été tirés le droit de chacun au respect de son corps (article 16-1) et celui du consentement de la personne aux actes médicaux (article 16-3). L’année 1995 fut marquée par la publication de la Charte du patient hospitalisé3, à laquelle l’article 1er de l’ordonnance du 24 avril 1996 donnera une autorité juridique4, puis par la réforme du Code de déontologie médicale5qui a accordé de nouveaux développements aux droits des patients. En 1997, l’arrêtHédreulde la Cour de cassation renforçait le droit à l’information médicale du malade dans une solution dont les principes et les règles seront, quoique sur d’autres fondements, repris le 5 janvier 2000 par la Section du contentieux du Conseil d’État6. La Cour de cassation précisera, le 9

octobre 2001, que le devoir du médecin d’informer son patient «trouve son fondement

dans l’exigence du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine»7. En 1998 et en 1999, c’est le législateur qui a innové en votant la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, qui comporte plusieurs dispositions d’ordre sanitaire8, puis en bousculant l’organisation du Code de la santé publique par l’introduction d’un Livre préliminaire relatif aux « Droits de la personne malade et des

usagers du système de santé »9. Ses dispositions, qui accordent au malade le droit

1L. n° 94-653 du 29 juill. 1994 relative au respect du corps humain, J.O.du 30 juill., p. 11056 ; J.C.P.1994, III, 66973.

2Art. 16-9 C. civ.

3Circ. DGS/DH n°95-22 du 6 mai 1995 relative aux droits des patients hospitalisés et comportant une charte du patient hospitalisé,B.O. Santén° 95/21 du 25 juill. 1995, p. 11.

4Art. 1erde l’ord. n° 96-346 du 24 avr. 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée, J.O.du 25 avr., p. 6324.

5Décr. n° 95-1000 du 6 sept. 1995,J.O.du 7 sept., p. 13305.

6Cass. civ. 1ère, 25 févr. 1997,Hédreul, n° 94-19685,Bull. civ. I, n° 75, p. 49 ;Petites affiches1997, n° 85, p. 17, note A. DORSNER-DOLIVET;R.D.S.S.1997, p. 288, note L. DUBOUIS;Gaz. Pal. 1997, 1, 274, rapport P. SARGOS, note J. GUIGNE;D. 1997, SC, p. 319, obs. J. PENNEAU;R.T.D.Civ. 1997, p. 434, note P. JOURDAIN;Contrats-Concurrence-Consommation1997, n° 5, p. 4, note L. LEVENEURet C.E., Sect., 5 janv. 2000,Cts Telle c.. A.P.-H.P., n° 181899 (et, du même jour,A.P.-H.P. c. M. Guilbot), Rec. p. 5, concl. D. CHAUVAUX;D.2000, IR, p. 28 ;R.F.D.A.2000, p. 646, concl. et note BON;Gaz. Pal. des 28-29 juin 2000, concl. ;A.J.D.A.2000, p. 137, chron. M. GUYOMARet P. COLLIN;D.A.2000, p. 46, note C. ESPER; J.C.P. 2000, II, 10271, note J. MOREAU; R.D.P 2001, p. 4012, note C. GUETTIER; R.D.S.S. 2000, p. 357, note L. DUBOUIS;R.J.O. 2000, p. 177, note M.-L. MOQUET -ANGER.

7Cass. civ. 1ère, 9 oct. 2001,M. Franck X., n° 00-14564, Bull. civ. I, n° 249, p. 157 ; D. 2001, p. 3470 et p. 3475, note P. SARGOSet obs. D. THOUVENIN;R.T.D.Civ.2002, p. 176, note R. LIBCHABER et p. 507, note J. MESTREet B. FAGES;R.J.P.F.2002, p. 21, note F. CHABAS.

8L. n° 98-657 du 29 juill. 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, J.O. du 31 juill., p. 11679. Outre le dispositif de lutte contre le saturnisme chez les enfants, le texte comprend plusieurs dispositions visant à améliorer la protection de la santé des personnes les plus vulnéra-bles dont l’art. 71 qui institue un programme régional pour l’accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies, élaboré et mis en œuvre par le représentant de l’État dans la région sur la base d’une analyse départementale de la situation en matière d’accès aux soins et à la préven-tion des personnes démunies (cf. le décr. n° 98-1216 du 29 déc. 1998, J.O.du 30 déc., p. 19812). L’art. 76 prévoit, pour sa part, la mise en place par les établissements de santé du service public hospitalier de permanences d’accès aux soins de santé et la mise en place de la couverture maladie universelle. Sur les « résultats satisfaisants » de ces dispositions,cf. notamment le Rapport n° 2004-054 de l’I.G.A.S.,Synthèse des bilans de la loi d’orientation du 29 juill. 1998 relative à la loi contre les exclusions, mai 2004,www.ladocumentationfrancaise.fr,A.J.D.A.2004, p. 1113, obs. S. BRONDEL.

9Art. 1er de la L. n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, J.O.du 10 juin, p. 8487.

d’accéder à des soins palliatifs et lui reconnaissent la possibilité de s’opposer à tout investigation ou thérapeutique, annoncent le plan de recodification de 20001.

Ce mouvement général d’humanisation du droit de la santé a trouvé son apogée (mais non son terme) dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui a consacré l’existence d’un droit commun des malades, visant à assurer et à renforcer le respect de leur dignité, de leur sécurité et de leur liberté2.

Cette évolution ne peut ni ne doit être ignorée, ne serait-ce que parce que le Code de la santé publique, qui depuis son adoption en 1953 accordait ses premiers chapitres aux préoccupations collectives de la protection de la santé publique, s’ouvre désormais sur la protection des droits des personnes dont la dignité est réaffirmée et garantie dès le second article. Cela montre à tout le moins la transformation des priorités et des caractères premiers de ce droit (ce que confirme entre autres la loi Léonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ; modestement composée de quinze articles, dont seulement neuf sont directement consacrés aux droits des malades, ce texte n’en rappelle pas moins à quatre reprises l’obligation du médecin de sauvegarder la dignité du mourant3).

26 Le premier article du Code, l’article L. 1110-1, correspond à la seconde évolution

de la matière : celle de la reconnaissance spécifique du droit fondamental à la protection de la santé. Le droit à la protection de la santé, précise le texte, «doit être mis enœuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne». Pour ce faire, «les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d’assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible».

1Ord. n° 2000-548 du 15 juin 2000 relative à la partie Législative du Code de la santé publique,J.O. du 22 juin, p. 9340, ratifiée par l’art. 92 de la L. n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, préc.

2L. n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, préc. On relèvera d’emblée cependant qu’à l’inverse de l’égalité et la sécurité, la liberté n’apparaît pas dans la définition légale du droit à la protection de la santé donnée à l’art. L. 1110-1 C.S.P. Ce n’est en effet qu’à l’art. L. 1110-8 qu’intervient la première référence à la liberté par l’intermédiaire du «droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement ». La liberté de consentir ou de refuser des soins est, quant à elle, reléguée à l’art. L. 1111-4. On notera par ailleurs que les droits des malades débordent de plus en plus largement la stricte relation de santé pour s’étendre à tous les types de relation interpersonnelle et sociale. Outre l’élaboration d’un cadre législatif protecteur des personnes handicapées (L. n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées,J.O.du 1erjuill., p. 11944 et L. n° 2005-102 du 11 févr. 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées,J.O.du 12 févr., p. 2353), c’est ce qu’illustre, par exemple, la L. n° 2007-131 du 31 janv. 2007 relative à l’accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé,J.O.du 1erfévr., texte n° 5 (art. L. 1141-2 à L. 1141-4 C.S.P.) ;Gaz. Pal. 6-7 juin 2007, chron. V. LEFÈVRE.

L’affirmation du droit à la protection de la santé au niveau législatif peut ne pas paraître décisive de prime abord. Expressément visé par l’alinéa 2 du Préambule de la Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé du 22 juillet 19461, ce droit est, au niveau national, garanti par l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre

1946 : La Nation «garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux

travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs».

Ce « principe particulièrement nécessaire à notre temps » a, d’abord

indirectement2, puis de façon explicite3, été introduit par le Conseil Constitutionnel dans le bloc de constitutionnalité et constitue une référence permanente du contrôle de conformité des lois à la Constitution. Il faut toutefois se souvenir que ce droit a d’abord été conçu comme un droit économique et social destiné à assurer à tous et à chacun un égal accès au système de santé et aux soins. Si son affirmation a incontestablement renforcé l’interventionnisme sanitaire de l’État, son objet initial était de garantir la solidarité nationale en matière de santé. Ce n’est guère qu’à partir de 1991 que le Conseil constitutionnel a donné une dimension préventive et collective au droit posé à l’alinéa 11 du Préambule de 1946 en l’élargissant à la protection de la santé publique4. Et il faudra plus de dix ans pour que le Conseil d’État, saisi de l’ordonnance de recodification du

La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale». Le problème reste ici celui de la définition holistique et, partant, difficilement accessible au droit que l’alinéa 1 du même Préambule donne de la santé, «état complet de bien-être physique, mental et social [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité». Pour une synthèse des commentaires des juristes et une défense, mesurée, de cette définition : cf. J.-S. CAYLA, La santé et le droit, R.D.S.S. 1996, n° 2, p. 278-287. V. également La santé. Usages et enjeux d’une définition,Prévenir1996, n° 30, 227 p. ; C. EVIN, La portée de la défini-tion O.M.S. de la santé, inLa France à l’O.M.S. La protection internationale de la santé aujourd’hui, hier, demain, Actes du colloque C.E.R.D.E.S.-A.F.D.S. du 27 nov. 1998,R.G.D.M.1999, n° 1, p. 117-127 et M. BÉLANGER, Une solution dans le débat sur le droit à la santé ? Le droit à la sécurité sanitaire, in Au carrefour des droits. Mélanges en l’honneur de Louis DUBOUIS, Paris, Dalloz, 2002, p. 767-775. Le droit à la protection de la santé apparaît également, sous des formes plus ou moins larges, dans de nombreux textes internationaux à vocation universelle ou régionale. L’article 25 § 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme consacre ainsi le droit de toute personne «à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé». L’article 15 du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels reconnaît que «toute personne a le droit de jouir du meilleur état physique et mental qu’elle est capable d’atteindre». On peut encore ici évoquer la Charte sociale européenne qui, dans son article 11, affirme le droit de toute personne à «bénéficier de toutes les mesures lui permettant de jouir du meilleur état de santé qu’elle puisse atteindre», complété du droit à la sécurité sociale (art. 12) et du droit à l’assistance sociale et médicale (art. 13) ainsi que la Conven-tion européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales qui garantit le droit de toute personne à la vie (art. 2) et fait de la protection de la santé un motif nécessaire et suffisant à l’ingérence de la loi dans l’exercice de droits fondamentaux.

2C.C. n° 71-44 DC du 16 juill. 1971 diteLiberté d’association(Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1erjuill. 1901 relative au contrat d’association),Rec. p. 29 ;R.J.C.p. I-24 ; G.D.C.C.n° 19 ;A.J.D.A.1971, p. 537, note J. RIVERO;R.D.P.1971, p. 1171, note J. ROBERT;J.C.P. 1971, II, 16823 ;D.1974, p. 83, chron. L. HAMON.

3C.C. n° 74-54 DC du 15 janv. 1975, préc.

4C.C. n° 90-283 DC du 8 janv. 1991 (Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme),Rec. p. 11 ; R.J.C., p. I-417 ; J.O.du 10 janv., p. 524 ; R.D.S.S. 1991, p. 204, note J.-S. CAYLA;A.J.D.A. 1991, p. 382, note P. WACHSMANN;R.F.D.C.1991, p. 293, note L. FAVOREU;Pouvoirs1991 (58), p. 57 et p. 142, notes P. AVRIL et J. GICQUEL, notamment confirmée par C.C. n° 90-287 DC du 16 janv. 1991 (Loi portant diverses dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales),Rec. p. 24 ;R.J.C.p. I-432 ;J.O.du 18 janv., p. 924 ;Rev. de jurisprudence sociale, 3/91 n° 388 et 389 ; R.D.S.S.1991, p. 246, note X. PRÉTOT;R.F.D.C.1991, p. 293, note L. FAVOREU;Pouvoirs1991 (58), p. 134 et p. 145, note P. AVRILet J. GICQUEL.

droit de la santé publique, rejoigne enfin cette conception globale et achevée du droit garanti par le bloc de constitutionnalité1.

Dans cette mesure, et même si elle n’intervient qu’au niveau législatif, l’affirmation du droit de la personne à la protection de la santé par le Code de la santé publique ne doit pas être négligée. D’une part, elle offre une définition globale et plus achevée de ce droit, dont la complétude est officiellement reconnue par l’association de la prévention et de la sécurité sanitaire au droit à l’égal accès aux soins. D’autre part, elle se fait l’écho d’une conception renouvelée de la protection de la santé qui, garante du principe matriciel de la dignité humaine, entre de plain pied dans le champ de la fondamentalité.

27 En affirmant la primauté de la personne et le nécessaire respect de son corps aux

articles 16-1 et suivants du Code civil, le législateur du 29 juillet 1994 a d’abord eu un objectif de régulation juridique des problèmes éthiques soulevés par le progrès des connaissances scientifiques et médicales, notamment dans le domaine de la biologie et de la santé2. Il reste que la centralité nouvelle de la personne humaine dans notre ordre juridique a aussi eu un effet de promotion des droits associés au respect de sa dignité, dont le droit à la protection de la santé. Comme l’ont bien relevé M. MOREAUet M. TRUCHET, le droit de la santé devient, « à travers la médiation du corps, une des facettes de la dignité de l’homme»3. Ainsi élevée au rang d’un droit fondamental de la personne

1C.E., 26 nov. 2001,A.L.I.S. et a,préc. Même si l’arrêt se réfère explicitement aux principes et aux objectifs du droit constitutionnel français, on peut considérer que cette évolution doit autant à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu’à l’influence croissante de la C.E.D.H. dans notre ordre juridique (C.E., Ass., 21 déc. 1990, Conféd. nat. des assoc. familiales catholiques, nos 105743, 105810, 105811 et 105812,Rec. p. 369, concl. B. STIRN;R.F.D.A. 1990, p. 1065, concl. ;A.J.D.A. 1991, p. 91, chron. C.M., F.D. et Y.A. ;R.D.P.1991, p. 525, note J.-M. AUBY;D.1991, p. 283, note SABOURIN; R.U.D.H.1991, p. 1, note H. RUIZ-FABRI et C.E., Sect., 2 juin 1999, Meyet, n° 207752, Rec. p. 160 ;Petites affiches 1999, n° 113, p. 11, concl. C. BONICHOT;A.J.D.A.1999, p. 560, chron. F. RAYNAUD et P. FOMBEUR; R.D.P. 2000, p. 371, obs. C. GUETTIER et p. 563, note DESMOULIN; R.F.D.Comp.2000, p. 359, note M. VERPEAUX). On rappellera que selon l’art. 2 de la Convention, «le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi », ce qui implique notamment que les États prennent les mesures nécessaires à la protection de la vie et, partant, de la santé, des personnes placées sous leur juridiction, y compris si cela conduit à une ingérence de l’autorité publique dans l’exercice des droits fondamentaux (C.E.D.H. 9 juin 1988,L.C.B. c. Royaume-Uni, § 36,Rec. 1998-III, et 3 avr. 1992,Keenan c. Royaume-Uni, n° 27229/95, § 89, Rec. 2001-III ; A.J.D.A. 2001, p. 1060, chron. J.-F. FLAUSS). Ainsi l’ancienne Commission européenne des droits de l’Homme a-t-elle considéré, le 10 déc. 1984, que l’atteinte occasionnée au droit au respect de la vie privée de requérants condamnés à des peines d’amendes pour avoir refusé de se soumettre ou de soumettre leurs enfants au test obligatoire de dépistage de la tuberculose est justifiée au regard de la Convention par la protection de la santé publique et celle des enfants eux-mêmes (Acmann et a. c. Belgique, n° 10435/83,D.R.40, p. 251, cité par G. ARMAND, L’ordre public de protection individuelle, op. cit., p. 1595, note 89).

2Ce fut d’ailleurs l’objectif du décret présidentiel du 23 février 1983 créant le Comité consultatif national d’éthique (décr. n° 83-132,J.O.du 25 févr., p. 630), dont l’existence a été consacrée avec quelques modifications par le législateur de 1994, puis par celui de 2004 (L. n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique,J.O.du 7 août, p. 14040). À l’heure actuelle, le Comité a pour mission «de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé» (art. L. 1412-1 C.S.P.). Sur cette question, cf. notamment le rapport du Conseil d’État, Sciences de la vie : de l’éthique au droit, Paris, La documentation française, 1988 ; P. PY, Vers un statut de l’homme biologi-que. Les lois sur la bioéthique,R.D.P.1996, n° 5, p. 1319-1346 et D. SICARD, éd.,Travaux du Comité consultatif national d’éthique. 20èmeanniversaire, Paris, P.U.F., 2003, coll. Quadrige.

humaine, la protection de la santé impose à la puissance publique des efforts redoublés pour sa garantie car «ce n’est plus seulement les maladies et fléaux sociaux qu’il convient de prévenir ou de combattre, mais toutes atteintes susceptibles d’être portées au corps humain puisque toutes mettent en péril la dignité humaine »1. C’est bien ce qu’indique l’article L. 1110-1 du Code de la santé publique en définissant le droit fondamental à la protection de la santé par le triptyque de la prévention, de l’accès aux soins et de la sécurité sanitaire.

28 On ira peut-être plus loin en affirmant que le droit à la protection de la santé impose

aujourd’hui à la Nation la tâche de protéger et de garantir les personnes contre toutes les formes d’insécurité sanitaire, que celle-ci se rapporte à une menace directe pour la santé (un risque de maladie ou d’accident) ou bien à des difficultés d’accès à la prévention et aux soins2. Il s’agit là d’un objectif particulièrement ambitieux3dont la responsabilité a été expressément confiée à l’État par le législateur du 9 août 20044. Selon les termes de l’article L. 1411-1 du Code de la santé publique, c’est certes à la Nation dans son ensemble qu’il revient de définir sa politique de santé selon des objectifs pluriannuels,

mais «la détermination de ces objectifs, la conception des plans, des actions et des

programmes de santé mis en œuvre pour les atteindre ainsi que l’évaluation de cette politique relèvent de la responsabilité de l’État».

29 Les conséquences de cette évolution sont sans doute trop nombreuses pour que l’on

puisse toutes les évoquer5. Deux paraissent ici essentielles. On soulignera tout d’abord la collectivisation croissante du droit de la santé. Celle-ci est liée d’une part, à la transformation des liens entre malades et médecins. D’une conception individualiste des

relations de soins, note ainsi Mme DEGUERGUE, on est passé à une appréhension plus

collective des problèmes de santé6. Ce glissement a favorisé la transformation massive de 1J. MOREAUet D. TRUCHET,ibid., p. 5.

2 Sur ce point, et même si l’on peut douter de leur pertinence en termes d’« efficacité », cf. notamment les réserves posées par le Conseil constitutionnel à l’institution du médecin traitant, du ticket modérateur et des franchises médicales : C.C. n° 2004-504 DC du 12 août 2004 (Loi rela-tive à l’assurance maladie), J.O.du 17 août, p. 14657 ;Rec. p. 153 ;Petites affiches2004, n° 185, p. 6, note J.-E. SCHOETTLet 2005, n° 248, p. 6, note A.-L. VALEMBOIS et n° 2007-558 DC du 13 déc. 2007, J.O. du 21 déc., p. 20648 ; Cahiers du Conseil constitutionnel n° 24. V. également l’art. L. 1411-1-1 introduit par la L. n° 2004-806 du 9 août 2004 qui, dans la lignée de l’art. 71 de la

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