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L A PÉNALISATION DES FAUTES D ’ INACTION

b) L’interdiction de méconnaître la portée des règles de protection de la santé publique : l’exemple des dérogations

B.- L A PÉNALISATION DES FAUTES D ’ INACTION

199 Depuis plusieurs années, la France s’est engagée dans un mouvement de

«criminalisation de l’action publique»2. L’origine de cette évolution peut être située dans la réforme du Code pénal de 1992-1993 qui a notamment reconnu la responsabilité pénale des personnes morales, dont les personnes publiques autres que l’État. La possibilité d’engager la responsabilité pénale des personnes publiques est toutefois limitée par l’article 121-2 du Code pénal. Celui-ci ne sanctionne en effet que les «infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de services publics», ce qui excluta priorila police administrative qui, bien que relevant elle-même d’une activité de service public3, obéit à un régime particulier qui empêche notamment sa sa délégation4. En revanche, la responsabilité d’une collectivité peut être engagée pour toutes les fautes commises par ses services d’hygiène et de sécurité. Par ailleurs, la mise en danger de la sécurité ou de la vie d’autrui est une source d’infractions qui peut entraîner la condamnation des personnes physiques comme des personnes morales de droit privé ou de droit public. Enfin, la responsabilité pénale personnelle des agents publics, dont celle de l’élu local, peut être recherchée pour les fautes commises dans l’exercice de leurs fonctions et, notamment, en cas de négligence ou d’imprudence5.

200 En premier lieu, de nombreux textes, notamment relatifs à la protection de

l’environnement, ont institué de nouvelles infractions qui créent autant d’occasions de fautes pénales involontaires susceptibles d’être reprochées à des élus ou à des agents

1Sur ce point,cf.infranos472, 525 et 651.

2 Cf. notamment D. SALAS, Criminalisation de la responsabilité, inDe quoi sommes-nous responsa-bles ?, Huitième forumLe MondeLe Mans des 25, 26 et 27 oct. 1996, textes réunis et présentés par T. FERRENCZI, Paris, Le Monde éditions, p. 90-103.

3 En ce sens, par exemple, G. LEBRETON,Droit administratif général, op. cit., p. 189-190. Ce point sera étudiéinfran° 283.

4 Cf. en ce sens, C.A. d’Amiens (ch. d’acc.), 9 mai 2000, Gaz. Pal. 11 juill. 2000, p. 32, note S. PETIT.

5 V. E. BREEN, Responsabilité pénale des agents publics : l’exemple de l’affaire du sang contaminé,

A.J.D.A.1995, p. 781-791 et J.-C. MAYMAT,L’élu et le risque pénal, Paris, Berger-Levrault, 1999, 273 p., coll. Administration locale, spéc. le Chapitre 4 : l’exercice des pouvoirs de police, p. 163 s.

publics. C’est le cas, par exemple, de la loi sur l’eau du 3 janvier 19921ou de celle du 2 février 1995 sur le renforcement de la protection de l’environnement2.

201 En second lieu, les agents publics peuvent tomber sous le coup d’infractions

générales au premier rang desquelles figurent les délits d’homicide ou de blessures

involontaires réprimés par les articles 221-6 et 221-19 du Code pénal3 et les délits

«d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements» prévus par l’alinéa 3 de l’article 121-3 du Code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 96-393 modifiée du 13 mai 19964. Cette responsabilité intéresse un certain nombre de fautes relatives, par exemple, à l’entretien d’ouvrages appartenant à une collectivité territoriale5. Elle concerne aussi les négligences négligences commises dans l’exercice des pouvoirs de police administrative. Commet donc un délit d’imprudence le maire qui s’est abstenu d’utiliser ses pouvoirs de police afin de prévenir une pollution provenant de rejets d’agriculteurs dans le réseau public d’assainissement6, une pollution des eaux d’une station d’épuration7ou le rejet d’effluents d’effluents non traités de la station d’épuration8. C’est par ailleurs sur ce fondement que la Cour de Justice de la République a, le 9 mars 1999, retenu la culpabilité de M. HERVÉ

dans la contamination de personnes hémophiles par le virus du sida. Pour la Cour, en ne prenant pas les mesures d’accompagnement des arrêtés du 23 juillet 1985, afin d’imposer le dépistage obligatoire ou la destruction des produits sanguins qui, prélevés avant le 1er août 1985, n’avaient pas été testés ou inactivés et en ne donnant pas les instructions nécessaires pour que soient recherchées et rappelées les personnes susceptibles d’avoir été antérieurement contaminées par voie de transfusion sanguine, l’ancien ministre «a commis une faute d’imprudence ou de négligence et un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence qui lui était imposée par le Code de la santé publique»9.

202 Pas plus qu’en droit administratif, l’obligation d’action qui découle de l’obligation

pénale de sécurité et de prudence ne doit être considérée comme une obligation de

1 L. n° 92-3 du 3 janv. 1992 sur l’eau, J.O. du 4 janv., p. 187 modifiée. V. les art. L. 1324-1 à L. 1324-5 C.S.P.

2L. n° 95-101 du 2 févr. 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement,J.O.du 3 févr., p. 1840.

3Cass. crim., 30 sept. 1998, Cts Antunes c. Jean Jouannes et a., n° 97-80705, Gaz. Pal 1999, 2, somm. 735.

4L. n° 93-463 du 13 mai 1993 relative à la responsabilité pénale pour des faits d’imprudence ou de négligence,J.O.du 14 mai, p. 7211.Cf. également l’art. L. 2123-34 C.G.C.T.

5Cf. M. CEOARA, La responsabilité des élus à raison des délits liés au manque de précaution,Petites affiches1995, n° 20, Dossier spéc. : « Responsabilité pénale des maires et des élus », p. 15. L’auteur donne plusieurs illustrations de ce type d’affaires.

6T.G.I. de Chaumont, 17 mai 1994,Proc. Rép. Chaumont c. X.,D.1995, p. 191, note D. GUIHAL.

7T.G.I. de Rennes, 9 févr. 1994, n° 549/94, inédit.

8T.G.I. de Caen, 8 mars 1994, n° 698/94, inédit.

9C.J.R., 9 mars 1999, n° 99-001, R.D.P. 199, n° 2, p. 329. Sur ce point, v. notamment le dossier spéc. : sang contaminé,R.D.P.1999, n° 2, p. 313-455 et O. BEAUD,Le sang contaminé, Paris, P.U.F., 1999, 171 p., coll. Béhémoth.

résultat1. Sous la pression des élus locaux notamment, la loi du 13 mai 1996 a en effet limité la possibilité de condamner un maire sur le fondement de l’article 121-3 du Code pénal aux cas où «il est établi qu’il n’a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, des pouvoirs et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie»2. Par ailleurs, la loi n° 2000-647 du du 10 juillet 20003 a précisé la définition des délits non intentionnels en remplaçant l’alinéa 3 de l’article 121-3 par deux nouveaux alinéas dont le premier indique que le délit d’imprudence n’est constitué que si «l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que des pouvoirs et moyens dont il disposait»4. Il n’en demeure pas moins que le droit pénal a lui aussi reconnu l’existence d’une obligation générale de sécurité qui s’impose notamment aux autorités de police sanitaire dont la négligence peut être durement sanctionnée.

Le maintien de l’ordre public sanitaire n’est donc pas une faculté, mais bien une obligation qui enferme les autorités de police dans une compétence liée du premier et du

second degré5. Celles-ci ne disposent en effet que d’une marge de manœuvre

extrêmement réduite, tant dans le choix de leur intervention que dans celui du moment et du sens de leur action.

1Encore faut-il d’ailleurs que les textes imposent aux autorités concernées une obligation de sécu-rité, ce qui n’est pas le cas, par exemple, en matière de protection contre les effets de la pollution atmosphérique : Cass. crim., 25 juin 1996,Mme Graignic, n° 95-86.205,Bull. crimn° 274, p. 228.

2Art. L. 2123-34 C.G.C.T.

3L. n° 2000-647 du 10 juill. 2000 tendant à préciser la définition des délits non-intentionnels,J.O.

du 11 juill., p. 10484 ;J.C.P.2000, III, 20330, comm. F. LEGUNEHEC;A.J.D.A.2000, p. 924, comm. J.-H. ROBERT.

4Sur ce point,cf. C.A. d’Amiens, 9 mai 2000, préc. Sur les critères de définition et qualification de la faute de prudence et de diligence : Cass. crim., 9 avr. 2002, Alain Z...,n° 01-85510, inédit (à propos de la culpabilité d’un responsable technique de la mairie pour homicide involontaire. Pour la Haute juridiction, la Cour d’appel a suffisamment justifié sa décision en énonçant «que, sans consulter aucune personne qualifiée, le prévenu s’est borné à confier à un subordonné peu compétent et peu diligent le soin de concevoir et de réaliser les modifications du portail, alors qu’il avait vu celui-ci dé-monté en atelier et avait ainsi pu mesurer le danger potentiel qu’il présentait en raison de son poids important». C’est à bon droit que les juges ont considéré que «par son comportement, il a contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter et a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer».

5 Sur cette distinction, cf. L. DIQUAL,La compétence liée, Th. Droit, Paris, L.G.D.J., 1964, 626 p., coll. Bibl. de droit public, t. LIX, Préface de R. DRAGO.

CONCLUSION DU CHAPITRE

203 Proposition de droit consubstantielle à la liberté, l’ordre public sanitaire répond,

comme la norme générale d’ordre public, à un principe de nécessité qui l’impose comme une norme contraignante du droit public. Elle joue, déjà, comme une source directe ou indirecte d’habilitation à agir de l’administration qui peut, en son nom, recourir à l’ensemble de ses prérogatives de puissance publique, et plus spécialement limiter l’exercice des droits et libertés. Elle est, ensuite, une source d’obligations pour l’administration qui ne peut ignorer son devoir régalien de protection de la santé publique. Le maintien de l’ordre public sanitaire relève de la sorte d’une compétence liée des autorités de police, qui s’apprécie tant d’un point de vue fonctionnel que matériel.

Sauf à commettre une incompétence négative et à engager leur responsabilité pour faute, les autorités chargées du maintien de l’ordre public sanitaire ne peuvent déjà renoncer à leurs prérogatives et à en faire usage lorsque les circonstances de droit ou de fait l’exigent. L’ordre public sanitaire limite par ailleurs le choix des mesures qui peuvent être adoptées en son nom, celles-ci étant subordonnées à une double exigence de suffisance et de modération. Guidée par un principe de nécessité, l’intervention des autorités de police sanitaire doit respecter celui de la proportionnalité qui en dérive et qui, notamment, leur interdit de dépasser un certain degré dans la restriction des droits et des libertés. Cette exigence est protectrice des administrés, dès lors qu’elle permet de limiter les atteintes ponctuelles portées à la liberté à ce qui est effectivement nécessaireau bon ordre. Mais elle suppose également que la mesure adoptée soit suffisante pour atteindre l’objectif visé : l’ordre public sanitaire exige des autorités publiques qu’elles interviennent positivement pour protéger les individus, dont les droits sont autant menacés par la carence de la puissance publique que par ses excès.

De la sorte, si le maintien de l’ordre public sanitaire fait effectivement appel aux instruments disciplinaires de la puissance publique, il faut considérer que leur mise en

œuvre relève avant tout pour cci d’une obligation juridique, qui correspond elle-même au principe de nécessité. Elle repose en effet sur l’idée bien comprise que la protection de la santé publique est indispensable au bon ordre, sans lequel les droits et libertés de l’homme ne pourraient s’exercer durablement. La santé publique participe « par nature » ou « par essence » à la garantie des droits de l’Homme, indépendamment même de son affirmation comme tel par les pouvoirs publics.

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